« La baisse du prix des équipements photovoltaïques accentue le phénomène d’une rentabilité perçue comme anormale »

L’État a réduit les tarifs pour acheter l’électricité produite par les installations photovoltaïques. Cette décision est entrée en vigueur le 1er décembre 2021. Décryptage de Clément Fouchard, avocat associé du cabinet Reed Smith, spécialisé en arbitrage international et d’investissement.

 

Quelles sont les raisons qui ont motivé le gouvernement à prendre la décision de réduire le tarif de l’Etat pour acheter l’électricité produite par les installations photovoltaïques ?

Le gouvernement a introduit en décembre 2020 cette baisse de tarif dans un article 225 de la loi de finance 2021. Pour rappel, cette baisse concerne le tarif de rachat de l’électricité produite par les installations photovoltaïques dont la puissance de crête est supérieure à 250 kilowatts et dont les contrats avec l’État ont été signés entre 2006 et 2010. Soit environ 1000 contrats.

Il faut d’ailleurs rappeler qu’entre 2006 et 2010, des arrêtés tarifaires ont autorisé la conclusion de contrats d’achat de l’électricité produite par des installations photovoltaïques pour une durée de 20 ans sur la base de tarifs très avantageux.

Sur cette base, près de 235 000 contrats ont été signés représentant une puissance installée de 3,6 gigawatts (GW) fournissant moins de 1 % de l’électricité produite en France. Par la suite, un décret a suspendu l’obligation d’achat née de ces arrêtés tarifaires à compter du 10 décembre 2010. Les contrats signés antérieurement ont cependant continué à être honorés et de nouveaux arrêtés ont encadré les contrats conclus postérieurement.

Le coût cumulé des contrats antérieurs au moratoire de 2010 représenterait 40 milliards d’euros (dont 23 à 23,5 milliards d’euros restent à payer d’ici 2030). Ces contrats ont fait l’objet de critiques régulières, notamment par la Commission de régulation de l’énergie, mettant en avant un risque de charge excessive sur les finances de l’Etat.

La baisse continue du prix des équipements photovoltaïques depuis plus de 10 ans accentue le phénomène d’une rentabilité perçue comme anormale.

Les raisons qui ont motivé cette mesure sont donc essentiellement budgétaires. Selon le rapport présenté à l’Assemblée nationale, la baisse a pour but de corriger une rémunération excessive et de permettre une économie d’environ 300 à 400 millions d’euros par an, soit de 3 à 4 milliards d’euros d’ici l’échéance de ces contrats en 2030.

Cela va-t-il dans le bon sens ?

Du strict point de vue des finances publiques, la disposition peut se comprendre dans la mesure où elle conduira directement à des économies. Néanmoins, elle pose plusieurs questions importantes :

  • Filière du photovoltaïque en France : la mesure concerne uniquement les plus grosses installations. Bien que le dispositif prévoit un mécanisme de sauvegarde, ce dernier est réservé aux opérateurs dont la viabilité économique est compromise par la réduction tarifaire. Il est donc possible que la réduction tarifaire, sans compromettre la viabilité économique du producteur, affecte tout de même sa situation financière ou la valeur de ses actifs. La mesure risque donc de déstabiliser toute la filière.

 

  • Opportunité : le gouvernement a mis en avant le fait que la dépense relative à ces contrats représente plus du tiers des crédits inscrits dans le projet de loi de finance au titre du soutien aux énergies renouvelables électriques en 2021, et que la mesure pourra être une source d’économie mobilisable pour le soutien aux énergies renouvelables les plus performantes. Selon les représentants du secteur, au contraire, la mesure porte une atteinte au développement des renouvelables en France et au respect des engagements climatiques de l’État.

 

  • Légalité : la réduction tarifaire a un effet rétroactif et revient, pour l’Etat, à revenir sur sa parole. Alors que les contrats signés avant le moratoire de 2010 devaient bénéficier d’un tarif de rachat stable pendant 20 ans, le gouvernement vient, avec cette mesure, changer les règles du jeu. Cela n’est évidemment pas satisfaisant d’un point de vue juridique, même si on doit noter que, saisie de la question, le Conseil Constitutionnel a estimé légitime que la loi puisse « mettre un terme aux effets d’aubaine excessifs».

Les industriels ont-ils des recours contre l’État ?

Les producteurs d’électricité disposent en effet de plusieurs recours. Tout d’abord, les opérateurs français pourront utiliser les recours internes du droit administratif.

 

  • Le recours pour excès de pouvoir : dans un délai de deux mois à compter de la publication du décret et de l’arrêté (27 octobre 2021), il est possible de former un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’État contre l’un ou l’ensemble de ces actes afin de contester leur légalité interne ou externe et tenter d’obtenir leur annulation.

Si le décret et l’arrêté sont déclarés illégaux, l’opérateur ayant obtenu gain de cause pourra engager la responsabilité de l’État de toute illégalité qu’il a commis.

 

  • Le référé suspension : en cas d’urgence et de doute sérieux quant à la légalité d’un des deux actes, le juge peut également suspendre la décision.

 

C’est précisément ce qu’a fait la filière solaire photovoltaïque française (représentée par ENERPLAN, le SER (Syndicat des énergies renouvelables) et l’association Solidarité Renouvelables) qui a déposé 29 novembre un recours en référé devant le conseil d’État afin d’obtenir la suspension et l’annulation du décret et de l’arrêté qui mettent en œuvre la réduction tarifaire des contrats solaires.

Ils soutiennent que ces nouveaux textes devraient être suspendus pour différentes raisons :

  • ils remettent en cause la pérennité économique des producteurs auxquels ils s’appliquent et portent une atteinte grave et immédiate à leurs intérêts financiers et patrimoniaux ;
  • ils dégradent les conditions de financement de la production d’électricité d’origine renouvelable ;
  • ils portent une atteinte grave et immédiate à l’intérêt public tenant au développement des énergies renouvelables et au respect des engagements climatiques de l’Etat.

Les investisseurs étrangers affectés par la réduction tarifaire bénéficient également de certaines garanties au titre des traités bilatéraux ou multilatéraux conclus par la France.

Comment peuvent-ils se protéger ?

Les industriels peuvent tout d’abord mettre en œuvre la clause de sauvegarde prévue par le texte. Ainsi, sur demande motivée, les ministres chargés de l’énergie et du budget pourront alors, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie, fixer par arrêté conjoint un niveau de tarif ou une date différente, si ceux-ci sont de nature à compromettre la viabilité économique du producteur.

À noter que la demande de réexamen suspend l’application de la réduction de tarif pour une période de seize mois maximum. Au terme de cette période de suspension, à défaut de décision dans le sens contraire, le nouveau tarif s’applique.

Les investisseurs étrangers établis hors de l’UE et affectés par la mesure peuvent chercher à engager la responsabilité internationale de la France au titre de traités de protection des investissements.

En effet, la baisse des tarifs garantis pourrait être interprété comme une atteinte par l’État d’obligations de maintenir un environnement juridique stable et de répondre aux attentes légitimes des investisseurs.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en Espagne après la fin d’un régime incitatif dans le secteur solaire où de nombreuses actions (sous la forme de procédures arbitrales) ont été lancées par des producteurs d’électricité contre l’Etat.

commentaires

COMMENTAIRES

  • Ceci met surtout en évidence une énorme anomalie concernant la réponse aux besoins d’alimentation de notre réseau électrique.
    Le système de génération d’électricité doit alimenter le réseau, en temps réel, au niveau de la consommation des usagers.
    Ceci signifie que les sources d’énergie utilisées doivent être pilotable. Le train part à l’heure, pas lorsque le vent le permet.
    Or, le solaire comme l’éolien mais en pire, est intermittent.
    Il est donc, comme l’éolien mais en pire, obligatoirement doublé par des installations pilotables, par exemple centrales à gaz.
    Et les contrats d’EDF ne devraient concerner que des fournisseurs d’énergie pilotable.
    Sinon, ceux qui fournissent de l’énergie lorsque le vent souffle et le soleil luit reportent sur d’autres la charge de fournir à la demande le reste.
    Trop facile. et globalement non rentable.

    Nous devrions donc avoir deux prix de l’électricité :
    – un fort, pour les fournisseurs pilotables
    – un faible, pour les intermittents, correspondant à l’économie réalisée par leur fonctionnement, le seul carburant des centrales à gaz, puisque les investissements pour celles-ci sont réalisées.

    Répondre
commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

on en parle !
Partenaires
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective
20 nov 2015
Les principales causes de mortalité dans le monde : mise en perspective