Ce 25 avril 2024 a lieu une visite du site du laboratoire souterrain de l’Andra (Agence Nationale pour la gestion des déchets radioactifs), à Bure. Le 24 avril 2024, l’Andra a inauguré Cigéo Dessus dessous, une exposition de maquettes de 400 mètres carrés permettant de mieux comprendre la façon dont les colis radioactifs seront acheminés puis traités et stockés.

Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) est le projet français de centre de stockage profond conçu pour les déchets hautement radioactifs et à durée de vie longue produits par le parc nucléaire actuel. A cette occasion, Émilia Huret, cheffe du Centre de Meuse/Haute-Marne de l’Andra, fait le point, dans cet entretien au Monde de l’Énergie, sur ce projet et sur les efforts de pédagogie pour l’expliquer aux populations.

Le Monde de l’Énergie —Pouvez-vous nous rappeler les missions confiées à l’Andra ?

Émilia Huret —En tant qu’Agence publique, l’Andra met son expertise au service de l’État pour trouver, mettre en œuvre et garantir des solutions de gestions sûres pour l’ensemble des déchets radioactifs français, afin de protéger l’Homme et l’environnement du risque que présentent ces déchets. Nous avons également d’autres missions telles que la réalisation de l’Inventaire national de l’ensemble des matières et des déchets radioactifs situés sur le territoire français, la collecte des objets radioactifs détenus par les particuliers, l’assainissement de sites pollués par la radioactivité ainsi qu’une mission d’information et de dialogue avec tous les publics.

Le Monde de l’Énergie —Quel est le principe du projet Cigéo d’enfouissage profond des déchets nucléaires ? Quels déchets sont concernés ? Pourquoi cette solution est actuellement privilégiée ?

Émilia Huret —Cigéo est le projet de stockage géologique profond conçu pour mettre en sécurité les déchets les plus radioactifs et à vie longue issus des installations nucléaires françaises. Ces déchets dits de Haute Activité (HA) et de Moyenne Activité à Vie Longue (MA-VL) sont issus principalement du retraitement des combustibles usés provenant des réacteurs nucléaires français.

Cela fait maintenant 30 ans que nous travaillons sur le stockage géologique profond. Cette solution a été retenue par une loi votée en 2006, et c’est aujourd’hui la seule solution sûre à long terme qui permet de ne pas reporter la charge de la gestion des déchets sur les générations futures. En effet, par cette solution, c’est le milieu géologique qui va assurer la protection de l’Homme et de l’environnement une fois l’installation de stockage fermée. C’est une solution qui fait d’ailleurs consensus à l’international.

Le principe de Cigéo est de stocker à plusieurs centaines de mètres de profondeur, les déchets radioactifs dans une couche d’argile très peu perméable qui va isoler et confiner les déchets radioactifs sur de très longues échelles de temps. Et pour préparer Cigéo, nous disposons, depuis plus de 20 ans, d’un laboratoire de recherche souterrain situé à 500 m de profondeur, dans la région de Meuse/Haute-Marne, qui nous a permis d’étudier les propriétés de cette argile et de vérifier sa capacité à confiner les éléments radioactifs. Il nous a permis également de concevoir Cigéo et d’apporter des éléments pour en démontrer sa sûreté.

Le Monde de l’Énergie —De nombreux opposants au nucléaire affirment que l’on ne sait pas gérer les déchets sur le long terme. Des défenseurs affirment, au contraire, qu’une solution a été trouvée et validée, en France, avec Cigéo à Bure. Comment vous positionnez-vous dans ce débat ? Comment mieux informer la population sur les choix technologiques faits dans ce domaine ?

Émilia Huret —On a tendance parfois à l’oublier mais l’Andra exploite déjà des centres de stockage pour les déchets de très faible activité et pour ceux à durée de vie courte. Ces deux centres de stockage qui sont implantés dans l’Aube permettent de gérer 90% du volume des déchets radioactifs.

Pour les déchets les plus radioactifs et à vie longue (HA et MA-VL), la faisabilité du stockage géologique profond a déjà été démontrée et retenue comme solution de référence par la loi de 2006. Cigéo est issu d’un long processus démocratique avec 3 lois votées et 3 débats publics. Au cours des 30 dernières années, nos dossiers ont régulièrement été évalués par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et si nous avons déposé début 2023 la demande d’autorisation de création de Cigéo, c’est bien parce que le projet est suffisamment mature pour cette étape.

Informer les riverains et de façon plus générale les Français sur la gestion des déchets radioactif fait pleinement partie des missions de l’Andra. Nos sites sont ouverts à tous les publics : nous organisons des journées portes ouvertes, des visites du laboratoire souterrain, des réunions dans les communes pour parler de l’actualité du projet Cigéo. Nous concertons depuis plus de 10 ans sur des sujets tels que l’aménagement du territoire, le transport, l’énergie… Autant d’occasions qui participent à la diffusion de l’information et aux échanges avec les publics, y compris avec ceux qui s’opposent au projet.

Le Monde de l’Énergie —En quoi la mise en place d’une exposition avec des maquettes doit vous aider dans cette mission ?

Émilia Huret —Il n’est pas toujours évident pour le public de se représenter Cigéo alors qu’il n’existe pas encore. Bien sûr nous avons le laboratoire souterrain où sont réalisés des démonstrateurs types des futurs ouvrages de Cigéo, une halle d’exposition avec des prototypes de robots et d’engins de manutention qui permettent de comprendre et visualiser son fonctionnement. Avec cette nouvelle exposition, inaugurée le 24 avril sur notre site de Meuse /Haute-Marne, nous souhaitions donner une vision d’ensemble de Cigéo en présentant le parcours d’un colis de déchets depuis sa production jusqu’à sa mise en stockage dans les galeries souterraines de Cigéo. Les maquettes permettent de présenter chacune des grandes étapes du stockage : la réception des colis de déchets sur le site, leur contrôle, leur transfert vers les installations souterraines et les robots permettant leur mise en place dans les galeries de stockage.

Le Monde de l’Énergie —Quel est le calendrier de mise en service de Cigéo ? Quels sont les prochaines étapes cruciales ?

Émilia Huret —La demande d’autorisation de création de Cigéo est en cours d’instruction par l’ASN. Le décret d’autorisation pourrait être obtenu à l’horizon fin 2027 / début 2028, et cela marquera le début de la phase industrielle pilote de Cigéo : c’est à dire les premières années de développement de l’installation avec la construction et le début d’exploitation. Les premiers colis de déchets pourraient être stockés après l’autorisation de mise en service délivrée par l’ASN à l’horizon 2040-2045. La phase pilote a pour objectif de consolider les éléments à apporter au Parlement pour qu’il puisse fonder sa décision sur les conditions de poursuite de Cigéo à l’horizon 2050. Le stockage se développera progressivement durant plus d’un siècle.