« Les géostructures énergétiques, une alternative durable et efficace aux systèmes basés sur les combustibles fossiles »
Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Jean de Sauvage, ingénieur-chercheur au sein du laboratoire Sols, Roches et Ouvrages géotechniques de l’Université Gustave Eiffel, et à Hussein Mroueh, professeur-chercheur au sein du Laboratoire de génie civil et de géo-environnement de l’Université de Lille (LGCgE), pour évoquer avec eux le potentiel de la géothermie de surface, en particulier des géostructures énergétiques, dans le prolongement de l’article de Jean de Sauvage et Antoine Voirand, Géothermie et transports, un potentiel inexploité ? L’exemple du métro de Renne.
Le Monde de l’Énergie —Pouvez-vous nous rappeler les grands principes de la géothermie de surface, et ses différences avec la géothermie profonde ?
Jean de Sauvage et Hussein Mroueh —La géothermie de surface et la géothermie profonde sont deux approches pour exploiter la chaleur naturelle du sous-sol, mais elles ont des principes de fonctionnement distincts.
La géothermie de surface exploite la chaleur emmagasinée dans les premières couches du sol, généralement à une profondeur de moins de 200 mètres. La chaleur n’est pas utilisable directement mais est extraite à l’aide de systèmes tels que des pompes à chaleur géothermiques (PAC géothermiques). Ces systèmes transfèrent la chaleur du sol vers un fluide caloporteur, tel que l’eau ou un mélange eau-glycol, qui est ensuite utilisé pour le chauffage ou la production d’eau chaude sanitaire dans les bâtiments.
La géothermie de surface est principalement utilisée pour le chauffage et la climatisation des bâtiments résidentiels, commerciaux et industriels, ainsi que pour la production d’eau chaude sanitaire (bien que le rendement soit plus faible dans ce dernier cas). Elle peut également être utilisée pour chauffer les serres agricoles et les piscines.
Contrairement à la géothermie de surface, la géothermie profonde exploite la chaleur située à plusieurs kilomètres sous la surface de la Terre, généralement entre 1 500 et 10 000 mètres de profondeur. La chaleur est extraite à partir de réservoirs géothermiques naturels ou de formations géologiques chaudes.
La géothermie profonde est principalement utilisée pour la production d’électricité géothermique, où la chaleur extraite est convertie en électricité par des turbines. Elle peut également être utilisée pour le chauffage urbain à grande échelle dans les réseaux de chauffage urbain.
Le Monde de l’Énergie —Comment fonctionnent les géostructures énergétiques, et, plus spécifiquement, les pieux géothermiques ?
Jean de Sauvage et Hussein Mroueh —Les géostructures énergétiques appartiennent à la famille de la géothermie de surface. Leur principe est d’utiliser comme échangeurs thermiques des éléments de structure enterrés dans le sous-sol (fondations, soutènements, parois, tunnels).
Les pieux géothermiques sont des éléments de fondation en béton armé principalement, utilisés dans la construction des bâtiments. Ils assurent en premier lieu donc un rôle structural. On leur confère un second rôle d’échangeur de chaleur, en y insérant des tubes en matériau thermiquement conducteur, tels que le polyéthylène réticulé (PEX), attachés à la cage d’armature des pieux pendant la phase de construction. Les pieux géothermiques exploitent le principe de transfert de chaleur par conduction thermique. Lorsque le fluide caloporteur circule à travers les tubes, il absorbe la chaleur du sol environnant en hiver pour chauffer le bâtiment. En été, le processus est inversé, et la chaleur excédentaire est rejetée dans le sol pour refroidir le bâtiment. Une fois que le fluide caloporteur a absorbé la chaleur du sol, il est pompé vers une pompe à chaleur géothermique à l’intérieur du bâtiment. Cette pompe à chaleur utilise ensuite la chaleur récupérée pour chauffer l’air ou l’eau qui est distribué dans le bâtiment à des fins de chauffage.
Le Monde de l’Énergie —Quels sont les avantages et les risques associés à cette technologie ?
Jean de Sauvage et Hussein Mroueh —Les pieux géothermiques offrent plusieurs avantages, notamment une efficacité énergétique élevée, une empreinte carbone réduite et des coûts d’exploitation plus faibles par rapport aux systèmes de chauffage et de climatisation traditionnels. De plus, ils ne nécessitent pas d’espace au sol supplémentaire, ce qui les rend adaptés aux bâtiments urbains ou aux sites où l’espace est limité.
Les risques associés à cette technologie se situent principalement dans la phase d’exécution car elle nécessite des précautions particulières pour ne pas endommager les tubes échangeur de chaleur en tête des pieux.
Le Monde de l’Énergie —Vous avez étudié en particulier le cas du métro de Rennes. En quoi est-il emblématique du potentiel des géostructures énergétiques ?
Jean de Sauvage et Hussein Mroueh —Nous n’avons pas étudié le cas du métro de Rennes mais nous l’avons signalé parce qu’il permet de montrer que la détermination d’un maître d’ouvrage peut permettre d’aboutir à un résultat très satisfaisant. En effet, dans ce cas, des parois moulées, nécessaires à la mise en place d’une station de métro, auraient pu rester inertes dans le sol. Elles servent finalement d’échangeurs de chaleur et permettent de chauffer des habitations et des bureaux. Cela illustre le potentiel des géostructures énergétiques dans la transition écologique des espaces urbains. Le cas du métro de Rennes est également emblématique dans le sens où les nombreuses difficultés administratives et techniques que représentent ces chantiers ont pu être surmontées.
Le Monde de l’Énergie —Quelles sont les perspectives de développement de cette technologie ? Où en sont les projets en cours ? Pourquoi n’est-elle pas plus massivement utilisée, vu ses avantages ?
Jean de Sauvage et Hussein Mroueh —Les pieux géothermiques et les géostructures énergétiques en général offrent des perspectives prometteuses de développement dans le domaine du chauffage et de la climatisation des bâtiments. Avec la prise de conscience croissante des défis liés au changement climatique et à la nécessité de réduire les émissions de carbone, les solutions de chauffage et de climatisation à faible impact environnemental gagnent en popularité. Les géostructures énergétiques offrent une alternative durable et efficace aux systèmes traditionnels basés sur les combustibles fossiles.
Par ailleurs, des progrès continus sont réalisés dans le développement de nouvelles technologies et de matériaux plus efficaces pour les géostructures énergétiques. Par exemple, des recherches sont menées sur des revêtements de tubes de pieux géothermiques améliorant leur efficacité de transfert thermique, ainsi que sur des méthodes de forage plus rapides et moins invasives.
Enfin, les normes de construction durables et les réglementations gouvernementales incitent de plus en plus à l’adoption de solutions énergétiques renouvelables et à faible consommation d’énergie. Les pieux géothermiques s’inscrivent dans cette tendance en contribuant à la réduction de la consommation d’énergie des bâtiments et à la diminution des émissions de gaz à effet de serre.
De nombreux projets pilotes et démonstrateurs de pieux géothermiques sont en cours dans le monde entier, visant à évaluer leur performance, leur rentabilité et leur viabilité à grande échelle. Ces projets fournissent des données et des retours d’expérience essentiels pour guider le développement futur de la technologie. Malheureusement l’accès à ces données n’est pas toujours exhaustif. Dans le cadre d’une Action COST (financement européen) en cours, nommée FOLIAGE (https://www.ca-foliage.eu/), un recensement a montré qu’il existait plus de 814 chantiers d’installation de pieux géothermiques à travers le monde, dont 11 en France. L’Université Gustave Eiffel et l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées ont réalisé des pieux expérimentaux sur leur campus de Marne-la-Vallée pour tester l’impact du chargement thermique sur leur comportement mécanique (https://theses.hal.science/tel-02395284). Cette collaboration continue dans le cadre d’un projet de recherche financé par l’ANR et intitulé COOP. Enfin, l’Université de Lille déploie actuellement un démonstrateur de la géothermie en lien avec sa volonté de faire de son site Cité Scientifique un démonstrateur de la dynamique de transition écologique par l’expérimentation des énergies alternatives (dont la géothermie).
L’une des raisons évoquée pour la faible diffusion de la technologie est celle des coûts initiaux d’installation des géostructures énergétiques, qui peuvent être plus élevés que ceux des systèmes de chauffage et de climatisation traditionnels. Bien que les coûts opérationnels soient généralement plus faibles sur le long terme, les investissements initiaux des solutions géothermiques classiques peuvent représenter un obstacle pour de nombreux propriétaires et développeurs. Dans le cas des géostructures thermiques, une grande part du coût est déjà incluse dans le coût de la construction et le coût de l’installation thermique se réduit, principalement, au surcout lié aux tubes échangeurs de chaleur (depuis leur installation jusqu’à leur connexion à la PAC géothermique), qui représente une part marginale du coût de la géostructure.
Malgré leurs avantages donc, les géostructures énergétiques ne sont pas aussi largement connues ou comprises que les solutions de chauffage et de climatisation conventionnelles. Un manque de sensibilisation et d’éducation sur les avantages et le fonctionnement de cette technologie limite principalement son adoption. Des défis techniques peuvent également limiter l’adoption des pieux géothermiques, notamment la nécessité de réaliser des études géotechniques approfondies pour évaluer la capacité portante du sol et la conductivité thermique locale, ainsi que des défis liés à l’installation et à la maintenance des systèmes.
En résumé, bien que les géostructures énergétiques offrent des avantages significatifs en termes de durabilité et d’efficacité énergétique, leur adoption à grande échelle est entravée par des obstacles tels que les coûts initiaux, le manque de sensibilisation et les défis techniques. Cependant, avec le soutien continu de la recherche, de l’innovation et de politiques favorables, il est attendu que cette technologie gagne en popularité à l’avenir.
COMMENTAIRES
D’une façon générale, nous sommes en retard dans toutes les méthodes visant à produire de l’énergie, qui résulte, en France, de notre conviction que le nucléaire peut se passer de tous les autres moyens énergétiques. De ces autres moyens nous ne savons que d’écrire leurs imperfections, voir leur en inventer, si la liste n’est pas assez longue. Ce que nous nous gardons bien de faire à l’égard du nucléaire que l’on paré de toutes les vertus, même de celles dont il est totalement dépourvu.
Ce retard en matière de géothermie est d’autant plus inexcusable que l’Italie a depuis longtemps donné l’exemple , sans parler de l’Islande pays singulier . Mais nous avons aussi le cas bien connu depuis le Moyen-Age de Chaudes-Aygues , nos politiques connaissent – ils l’Auvergne ?
Quant à savoir forer des puits il suffit de faire appel à la mémoire de tous nos bassins houillers . Ici par exemple on atteignait les 1000 m.
Il y a de très nombreuses applications, j’ai en mémoire un gars qui réchauffait son capteur géothermique avec son chauffage solaire en été, améliorant ainsi son stockage intersaisonnier
Qui n’a pas entendu parler du « puits canadien », version chauffage, ou du « puits provençal », version rafraîchissement, d’un même dispositif : un tunnel ou tuyau à environ deux mètres de profondeur dans lequel passe l’air pour être réchauffé ou rafraîchi selon le cas.
De bonnes informations à trouver ici :
https://www.cerema.fr/fr/mots-cles/geothermie
Le BRGM a réalisé plusieurs études, nationale ou régionales, sur la géothermie.
En Alsace, on s’est aperçu qu’un site de géothermie profonde exploité depuis près de dix ans permettait d’extraire du lithium de l’eau des profondeurs. Un site pilote expérimente le sujet.
Le seul site géothermique de France, dédié à la production électrique, se trouve en Guadeloupe, dans un patelin qui s’appelle Bouillante….. on se demande pourquoi !?