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Le Kazakhstan, un partenaire pour une Europe avide de matières premières ?

La crise sanitaire du Covid a mis en lumière ce que de nombreux économistes et experts avaient pourtant dénoncé depuis longtemps : l’Union européenne est trop dépendante de l’extérieur pour la majorité de ses produits manufacturés. La crise a en effet exposé la vulnérabilité de l’Europe et a incité les autorités à réfléchir sur ses routes d’approvisionnement, ses fournisseurs, la chaîne de valeur de ses entreprises. Cette prise de conscience un peu tardive se situe en outre dans un double contexte, l’un structurel, la nécessaire transition vers une économie moins carbonée, l’autre conjoncturel, la guerre en Ukraine. Cette dernière a accru les effets d’une crise énergétique préexistante, les hydrocarbures russes étant maintenant soumis à sanction.

Par Matthieu Anquez, géopoliticien.

 

La France et l’Europe, des ambitions de relocalisation industrielle mais dépendantes de l’extérieur

L’un des grands axes promus tant par les autorités européennes que nationales, comme en France, est la relocalisation industrielle. L’exemple du véhicule électrique est parlant. Ce type de véhicule est l’une des solutions pour limiter l’empreinte carbone. Or, les constructeurs automobiles européens sont largement dépendants des approvisionnements extérieurs pour produire les batteries et les moteurs des véhicules électriques. La majorité des batteries et des moteurs électriques sont encore importés de Chine, ce qui ne va pas dans le sens d’une plus grande souveraineté industrielle. C’est pourquoi la Commission comme les Etats songent à ouvrir des mines de lithium, cet élément utilisé en abondance dans les batteries, jusqu’ici importés d’Amérique latine. Cependant, outre l’opposition de certaines populations qui ne veulent pas entendre parler de mines considérées comme polluantes dans leur voisinage, le lithium n’est pas tout ! De nombreux éléments sont nécessaires à la construction d’un véhicule électrique, et le sous-sol européen est pauvre en ressources. Il faudra donc se résigner à importer ces éléments, quitte à les transformer dans des usines européennes.

Toujours avec l’exemple des véhicules électriques, les batteries nécessitent du cobalt, et ce métal est très problématique, plus de la moitié de l’extraction mondiale étant effectuée en République démocratique du Congo. Ce n’est pas tout. Les moteurs électriques sont aussi gourmands en ressources, comme le cuivre, mais aussi en terres rares (pour les moteurs synchrones à aimants permanents, mais pas pour d’autres technologies). Les terres rares, comme le néodyme et le praséodyme, sont aussi très présentes dans le domaine des énergies renouvelables comme les éoliennes (une tonne en moyenne de terres rares par nacelle).

La crise énergétique a également relancé l’intérêt pour la production nucléaire, d’autant plus que cette dernière a une empreinte carbone faible. Les approvisionnements en uranium sont déjà un sujet stratégique, ils peuvent devenir critiques. Or, encore une fois, l’Europe n’extrait pas d’uranium sur son territoire. Un pays comme la France doit donc importer le minerai ou la matière transformée avant de l’utiliser dans les centrales nucléaires.

Dans ce contexte, la sécurisation des approvisionnements stratégiques devient un enjeu crucial. Certes, l’Union européenne a depuis une décennie déjà beaucoup travaillé sur le sujet, par exemple en établissant une liste de matériaux critiques. Mais il convient maintenant d’agir concrètement pour assurer la sécurité des approvisionnements des matériaux que l’Europe ne peut extraire ou produire sur son propre territoire. Si l’indépendance en la matière est une chimère (aucun Etat n’est de toute façon complètement indépendant pour approvisionner ses industries), la diminution des risques, la réduction des vulnérabilités devraient permettre à l’Europe de retrouver une plus grande autonomie. La guerre en Ukraine l’illustre parfaitement : trop dépendre d’un fournisseur majoritaire constitue une réelle vulnérabilité. Dès lors, il suffit d’une crise géopolitique pour que la vulnérabilité se transforme en menace.

 

Le Kazakhstan, un atout pour l’Union européenne

Lorsque l’on évoque les « matières premières stratégiques », on pense d’abord à la Chine et ses terres rares, à l’Afrique et ses nombreux minerais, à l’Amérique latine et son lithium, au Moyen-Orient et ses hydrocarbures, mais rarement à l’Asie centrale. C’est une erreur. Certes, cette région est éloignée de l’Europe et de la France, située hors des sphères traditionnelles d’influence des pays européens, assimilée à un no man’s land situé entre Russie, Iran et Chine. Et pourtant, c’est une zone riche en matière première. Une autre raison pourrait être la nature despotique et l’instabilité politique qui caractérisent cette région.

Pourtant, le plus grand des cinq républiques d’Asie centrale, le Kazakhstan, pourrait faire figure d’exception. Ce pays est stable, même s’il a connu des moments violents comme en janvier 2022, et son président, Kassym-Jomart Tokaïev, a entrepris un véritable programme de réformes visant à assurer une transition démocratique crédible.

Du reste, le Kazakhstan n’est pas ignoré par les dirigeants européens. Au niveau de l’Union, le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Joesp Borell, s’est rendu en Asie centrale en novembre 2022 et a commencé sa visite par le Kazakhstan. Il y a souligné l’importance de ce pays pour l’Union européenne, notamment pour les approvisionnements en matières premières critiques et en uranium. La Commission européenne a pour sa part signé un accord avec le Kazakhstan le 7 novembre pour développer les liens concernant ces approvisionnements nécessaires à la transition énergétique. La France n’est pas en reste puisque le président Tokaïev s’est rendu à Paris les 29 et 30 novembre dernier, où il a été reçu par son homologue français. Les deux présidents ont ainsi annoncé, dans leur communiqué conjoint, qu’ils ont « convenu de développer la coopération dans le domaine des matières premières critiques, notamment des terres rares ». Précisions que le Kazakhstan est, selon l’année, le premier ou deuxième fournisseur d’uranium de la France, ainsi que l’un de ses principaux fournisseurs de pétrole brut.

 

L’enjeu du désenclavement, le Middle Corridor

Il demeure toutefois un obstacle important : le Kazakhstan est un Etat enclavé, situé en marge des grandes routes mondiales de commerce. Coincé entre la Russie au Nord, la Chine à l’Est, les autres républiques d’Asie centrale (et au-delà, l’Iran) au Sud et la Caspienne à l’Ouest, évacuer les matières premières ou transformées en direction de l’Europe n’est pas une tâche aisée, surtout dans une région très volatile au niveau géopolitique. De nombreux investissements ont été consentis pour désenclaver le pays, en développant routes et voies ferroviaires. Les capitaux chinois ont récemment afflué dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Pour l’Europe, une route sécurisée serait le moins risqué géopolitiquement. C’est pourquoi l’Union européenne, mais aussi la France, encouragent la solution du « Middle Corridor », qui a aussi la préférence de la Turquie. Il s’agit d’éviter la route passant par le Nord, et donc la Russie, et celle du Sud, passant par l’Iran. Le Middle Corridor transite par la Caspienne jusqu’à l’Azerbaïdjan, où les infrastructures terrestres prennent le relais jusqu’aux côtes géorgiennes sur la Mer Noire, d’où le transport maritime prend le relais à destination des ports européens (directement sur la Mer Noire en Bulgarie ou en Roumanie, ou bien en transitant par les Détroits turcs). Pour assurer une plus grande autonomie industrielle européenne, mais aussi pour permettre une décarbonisation de l’économie, le soutien à cette solution du Middle Corridor devrait être sans faille. C’est ce qu’ont rappelé Josep Borell et Emmanuel Macron. Espérons que les investissements nécessaires suivront.

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