La transition énergétique et son rythme : comment tenir le cap ?

En France, la nouvelle loi sur la transition énergétique a été promulguée le 8 novembre. Elle actualise les objectifs de la loi votée en 2015 et fixe de nouveaux objectifs pour assurer la « neutralité » carbone de l’économie du pays à l’horizon 2050. Le rythme de cette transition est source d’interrogations dans beaucoup de pays et il est utile de faire le point sur cette question.

La « Loi relative à l’énergie et au climat », sur la transition énergétique, fixe un objectif ambitieux : assurer la neutralité carbone de la France en 2050.

Elle part du principe largement admis à la suite des travaux des climatologues et des diagnostics du GIEC que le réchauffement climatique trouve sa cause dans la production de gaz à effet de serre dont 70 % résulte de la consommation d’énergies fossiles (80 % de l’énergie primaire mondiale) : « décarboner » l’énergie est donc un objectif clé de la lutte contre le réchauffement climatique lancée à l’échelle mondiale par l’accord de Paris en 2015.

Les objectifs de la loi

Rappelons les grands objectifs de la loi : – baisse de 40% de la consommation d’énergies fossiles d’ici 2030 par rapport à 2012 (au lieu de 30% dans la loi de 2015) – report de 2025 à 2035 de la diminution à 50% de la part d’électricité nucléaire (elle est aujourd’hui de près de 75%), elle implique la fermeture de 14 réacteurs – fermeture d’ici 2022 des quatre dernières centrales au charbon en fonctionnement – la part de l’hydrogène produite par des filières bas-carbone devra être comprise entre 20 et 40% en 2030 (il est aujourd’hui produit avec du gaz naturel) – création d’un Haut Conseil pour le climat qui a la mission d’évaluer l’action climatique du gouvernement.

La moitié de l’électricité sera, implicitement, produite par des filières renouvelables en 2050. La Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), pour les périodes 2019-2023 et 2023-2028 a été « révisée », elle suppose le maintien de la consommation d’électricité à son niveau actuel et reprécise les objectifs de production d’électricité d’origine renouvelable (notamment le solaire et l’éolien) : – le doublement de la capacité installée sur la période 2017-2028 pour assurer 36% de la production électrique (21% en 2018).

Par ailleurs, la PPE prévoit d’augmenter la part des biocarburants dans les carburants. On doit remarquer qu’elle laisse dans le flou la taxation du carbone qui a été gelée en 2019 à la suite des manifestations des gilets jaunes (un objectif de 86€/tonne CO2eq avait été fixé pour 2022).

Force est de constater que la consommation finale d’énergie en France n’a pratiquement pas baissé entre 2010 et 2016, il est vrai que l’intensité énergétique est sur un rythme de baisse de 1,4%/ an.

On peut donc s’interroger sur la capacité de la France, et des autres pays d’ailleurs, à tenir un rythme rapide de transition. Une étude récente publiée par l’Oxford Institute for energy studies souligne que « la transition énergétique survient sur un laps de temps court.

En général les transitions énergétiques sont des processus lents…les politiques mises en œuvre depuis le milieu des années 1990 favorisent un changement accéléré du mix énergétique ».

Elle constate que ce processus est nouveau et que l’accord de Paris peut encore l’accélérer dans les années à venir : la feuille de route des stratégies énergétiques est « pilotée par la politique » avec une grande variabilité des stratégies (la France et de l’Allemagne l’illustrent).

Ils estiment aussi que la transition vers des énergies renouvelables sera incomplète, compte tenu des techniques existantes et des difficultés à électrifier certaines activités (la production de ciment et d’engrais par exemple, des modes de transport comme l’aérien et le maritime), qui plus est on ne dispose pas de procédés chimiques de fabrication se substituant à la pétrochimie qui utilise le carbone fossile, comme d’ailleurs l’industrie de l’ammoniac.

Enfin, toujours selon les experts d’Oxford, si « une transition complète vers une électricité produite par des filières renouvelables est techniquement possible, elle sera politiquement difficile à gérer dans des économies totalement libérales », elle supposerait, en effet, une modification profondes des marchés de l’énergie (un nouveau « Business model ») d’autant plus que le prix de l’électricité peut être soumis à des fortes fluctuations causées par leur intermittence (en particulier les aléas météorologiques) et qu’il est nécessaire d’intégrer le coût du stockage et de la distribution de l’électricité au prix du kWh.

Bien des décideurs politiques seront sans doute tentés par des solutions mixtes avec des filières renouvelables complétées par des centrales avec des turbines à gaz à cycle combiné dont le rendement est excellent (60% aujourd’hui, une filière dont le coût de production du kWh est le moins élevé) avec captage et enfouissement du CO2 (une opération encore coûteuse). On doit ajouter que l’option du nucléaire reste ouverte pour plusieurs pays (dont la France et le Royaume-Uni…).

Équation à plusieurs inconnues

Le World Economic Forum pose également la question du rythme de la transition dans un rapport « The speed of the energy transition, gradual or rapid change ? », envisageant deux options, graduelle et rapide. Seule la dernière, mettant en œuvre des nouvelles techniques énergétiques avec un pic de la demande d’énergies fossiles en 2020, permettrait d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

Un certain nombre d’inconnues demeurent car le climato-scepticisme de l’actuelle administration américaine et le rôle de la Chine et de l’Inde qui sont de grands consommateurs d’énergies fossiles, ainsi que les besoins énergétiques de l’Afrique ralentiront la décarbonation de l’énergie.

Ainsi, l’AIE constate dans son World Energy Outlook 2019 un « décalage entre l’aspiration à des transitions énergétiques rapides fondées sur l’utilisation des énergies renouvelables et la réalité des systèmes énergétiques encore très dépendants des énergies fossiles ».

Il envisage toutefois un scénario « politiques avancées », intégrant les objectifs des politiques nationales confirmées, qui « prévoit » une croissance ralentie de la demande mondiale d’énergie à un niveau de 1% par an mais avec une forte progression de la demande d’électricité, celle-ci étant « au cœur des enjeux contemporains de la sécurité énergétique ».

Dans ce scénario les filières à bas carbone représenteraient, en 2040, un peu plus de la moitié de production totale d’électricité (avec 15% pour l’hydraulique et 8% pour le nucléaire), la baisse forte du prix des batteries étant un facteur favorable à la percée des filières renouvelables. Il envisage également une baisse importante et soutenue de l’intensité énergétique (-3% par an).

Selon les estimations les plus récentes de l’IRENA, les coûts moyens mondiaux de production du MWh s’établissaient, en 2018, à 47 $ pour l’hydraulique, à 56$ pour l’éolien terrestre, à 85$ pour le solaire photovoltaïque, à 127$ pour l’éolien off-shore et à 185$ pour le solaire à concentration (par référence, en France le coût du MWh nucléaire est de 55€). L’éolien terrestre ferait donc une percée (avec un facteur de capacité de production de 34%).

La recherche, clé essentielle

La France envisage un scénario de transition énergétique à un rythme relativement rapide mais il n’est pas certain qu’il soit tenable car il suppose : une baisse importante de l’intensité énergétique, une diminution forte de la consommation d’énergie dans les bâtiments (impliquant leur rénovation thermique) et les transports, un fort investissement dans les filières renouvelables, un progrès substantiel des batteries avec une chute de leur prix.

Les besoins de financement sont élevés et l’incertitude qui plane sur l’avenir de la taxe carbone (une question qui sera débattue par la « convention citoyenne sur le climat »), un moyen incitatif pour décarboner l’énergie et un outil de financement de la transition, est un handicap.

Il faut donc trouver à la fois une ingénierie financière pour accompagner la stratégie énergétique (y compris dans sa dimension industrielle, notamment pour la mutation de l’industrie automobile) et augmenter l’investissement public pour préparer l’avenir au-delà de 2030 si la France veut tenir un rythme rapide de transition.

Cela suppose une augmentation de l’effort public de R&D sur les grandes filières (renouvelables et nucléaire), or celui a été en baisse continue sur la période 2013-2017, un redressement ayant été opéré en 2018 (1,1 Mds € avec une croissance de 2%).

Un véritable « programme mobilisateur » sur l’énergie est nécessaire dans la future loi de programmation pour la recherche que prépare le gouvernement, accompagné d’actions de formation d’ingénieurs et de techniciens dans les Grandes écoles et les universités.

Le cas du nucléaire

S’agissant, enfin, de l’énergie nucléaire, la France maintient certes l’option nucléaire pour son mix électrique avec un premier rendez-vous, au début des années 2020, pour l’arrêt des premiers réacteurs et un second en 2035 lorsque la part du nucléaire ne représenterait plus que la moitié de la production électrique, en revanche l’avenir de la filière, au-delà de 2035 demeure dans un flou complet.

Or, une planification à dix ans comme celle de la PPE est inadaptée à une filière comme le nucléaire opérant sur des cycles (R&D- construction) de longue durée et qui est très capitalistique.

Si la France veut préserver l’avenir de l’option nucléaire qui est à la fois un moyen pour sortir des énergies carbonées et une assurance pour son indépendance énergétique, il est nécessaire de préparer par la R&D des réacteurs du futur et de renouveler les compétences industrielles qui permettront d’en assurer « en même temps » leur construction pour les besoins nationaux et l’exportation.

Les possibilités de la nouvelle filière de l’EPR (1645 MW), doivent être évaluées. Le rapport rédigé par Jean-Martin Folz sur la « construction de l’EPR de Flamanville » pour le PDG d’EDF a déroulé la « litanie » des incidents, défauts de construction du réacteur (du béton à l’acier de la cuve en passant par les soudures), annonces de retard et de dépassement du coût (quadruplement du devis initial) ; la gestion du chantier a été défaillante.

Les retours d’expériences du fonctionnement des deux réacteurs EPR de Taishan en Chine, connectés au réseau en 2019, (EDF a été impliqué dans leur construction) et de celui d’Olkiluoto en Finlande, construit par l’ex-Areva, seront également intéressants ; ces EPR ne mériteront sans doute ni un requiem, ni un te deum. Si l’Etat veut préparer l’avenir, la décision d’arrêter le projet Astrid de construction par le CEA d’un nouveau prototype de surgénérateur (un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium) est totalement incompréhensible et dommageable.

Il est souhaitable de mettre sur la table les options futures (les EPR, les surgénérateurs et les réacteurs de moyenne puissance au thorium, es procédés pour détruire les déchets nucléaires à vie longue) avec un planning pour la R&D et une estimation des investissements nécessaires ainsi qu’ une stratégie de coopération avec des partenaires (la Chine ? Le Japon qui a l’intention de maintenir l’option nucléaire ?)

La transition énergétique sera sans doute une navigation de longue durée, il faut donc une bonne boussole et une bonne carte pour éviter les obstacles et de tomber dans un « triangle des Bermudes », il n’est pas certain que la France ait la volonté de les utiliser.

 

 

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