repetabilite cle voute nouvel age nucleaire - Le Monde de l'Energie

La répétabilité, clé de voûte d’un nouvel âge nucléaire

Une tribune sur l’avenir du nucléaire signée Peter Wilson, ingénieur et expert sectoriel de l’énergie au sein d’Hexagon.

 

Porté par la récente crise énergétique, le nucléaire connaît un regain d’engouement : en décembre dernier, vingt-deux pays se sont ainsi engagés à tripler la production d’électricité nucléaire mondiale d’ici 2050. Plus récemment, c’est l’Italie qui a signalé son intention de faire son grand retour dans le club du nucléaire civil.1

Ces annonces augurent que l’on pourrait connaître un grand retour pour les projets nucléaires, après les trois décennies de disette qui ont suivi l’âge d’or de la construction des centrales (1970-1985). Aujourd’hui, le nucléaire représente 10% de la production d’électricité mondiale2 contre 17% dans les années 1990.

La perspective d’un “nouvel âge nucléaire” se concrétisera-t-elle ? Cela dépendra largement de la capacité à industrialiser les pratiques, du côté des nouveaux projets comme des installations existantes.

Défi culturel ou problème d’outillage ?

Côté projets, le nucléaire civil doit faire oublier un passé marqué par les dépassements de coûts et retards de livraison. Cet historique s’explique en grande partie par le fait que, tant du fait des variations de conception que du caractère stratégique de la filière, chaque nouveau projet nucléaire apprend peu des expériences des projets précédents ou d’autres pays.

Alors que l’industrie est de plus en plus en concurrence avec d’autres sources d’énergie comme l’éolien ou le solaire, cette “répétabilité” est pourtant essentielle pour bénéficier d’économies d’échelle et offrir aux gouvernements des enveloppes budgétaires prévisibles.

Selon Ian Edwards, PDG d’AtkinsRéalis, une partie du problème est culturel et pourrait être résolu en consacrant plus de temps aux phases initiales du projet : « Les clients, les gouvernements et nous-mêmes en tant qu’acteurs du secteur devenons tous trop optimistes. En réalité, nous devrions probablement ralentir un peu, passer plus de temps sur la phase de planification et réussir la phase d’exécution. La répétabilité est vraiment importante », affirmait ainsi récemment Edwards au Financial Times.3

Mais cette nécessité d’une phase de planification étendue reflète le fait que les centrales nucléaires figurent parmi les projets les plus complexes au monde, et exigent donc des outils de suivi et de mesure du progrès adaptés.

Une gestion de projets parmi les plus complexes au monde

A la différence d’une centrale thermique classique, il n’est pas rare, par exemple, que la construction d’une centrale nucléaire mobilise deux groupes d’entreprises d’ingénierie et de construction distincts – l’une, hautement spécialisée, pour l’îlot nucléaire, l’autre, généraliste, pour l’îlot conventionnel de la centrale qui est semblable à une centrale thermique classique.

La construction mobilise en outre des compétences, ressources et matériaux rares, ainsi que des schémas de gouvernance complexes entre acteurs publics et privés. Enfin, les obligations de sécurité vont croissant, notamment depuis l’accident de Fukushima – par exemple sur la notion de noyau dur résistant aux événements extrêmes.

Gérer cette complexité crée plusieurs impératifs. Premièrement, centraliser l’information, en fusionnant gestion des ressources, gestion de projet et contrôles de projet. Cette centralisation permet de surveiller la performances en continu, d’anticiper plus tôt les dépassements et de donner de la visibilité aux différents acteurs. Deuxièmement, systématiser les meilleures pratiques de gestion de projets, comme la gestion de la valeur acquise. C’est par exemple ce qu’avait fait avec succès AREVA (aujourd’hui Orano) aux Etats-Unis pour gagner en visibilité sur des projets de complexité très variable.4

Enfin, il va de soi que l’usage d’une chaîne logicielle de conception éprouvée pour le nucléaire – et incorporant donc les derniers codes spécifiques par pays, ainsi que leur historique – est au coeur de l’impératif de répétabilité.

Une maintenance qui doit s’industrialiser

Cependant, le défi de la répétabilité va au-delà des nouveaux projets.

Aujourd’hui, 90 % des centrales nucléaires européennes sont âgées de plus de 30 ans5. La standardisation des processus de maintenance et l’utilisation d’outils communs à travers les projets et les opérations sont devenues cruciales.

Les exploitants nucléaires adoptent de plus en plus des programmes pour standardiser les meilleures pratiques, avec des bénéfices qui peuvent ensuite se répercuter sur les nouveaux projets. Par exemple, rationaliser et industrialiser les calculs de tuyauterie entraîne des économies significatives sur les centrales existantes en évitant des modifications coûteuses ou excessives, tout en économisant des mois de travail d’ingénierie sur de nouveaux projets en limitant le volume d’études nécessaires.

Cette industrialisation touche également les pratiques de travail – par exemple, l’usage d’une plateforme de gestion d’actifs pour mieux planifier les interventions, gérer l’édition des ordres de travail et informatiser les processus papier. Cette stratégie a par exemple permis au CERN de réduire de 99% le nombre de checklists papier et à diviser par dix le temps nécessaire au dispatch des ordres de travail.6

Les deux enjeux – standardisation de la maintenance, répétabilité des nouveaux projets – sont profondément connectés, par la culture comme par les logiciels ou de pratiques.

Atténuer les effets du prochain changement générationnel

Cette “industrialisation” est d’autant plus cruciale que l’industrie nucléaire se prépare à un changement générationnel et une pénurie de talents sans précédent.

Nombre d’employés de la filière l’ont rejointe pendant la période faste du nucléaire – si bien qu’un quart de la main d’oeuvre du nucléaire a aujourd’hui plus de 55 ans et 9% plus de 65 ans.7 La standardisation des pratiques est aussi une façon de capter et de diffuser l’expertise existante.

Pour les gouvernements qui cherchent à étendre leur flotte nucléaire—ou, comme l’Italie, à en reconstruire une—il s’agit d’une assurance-clé : au moment où le nucléaire est perçu comme une garantie de sécurité énergétique, le secteur doit prouver sa capacité à limiter les aléas, tant du côté des projets que de celui de l’exploitation. Les perspectives de projets à rallonge, d’arrêt des réacteurs en exploitation pour maintenance ou de pénuries de compétence sont autant de facteurs qui peuvent les amener à regarder à deux fois.

1 Nuclear Power, iae.org

2 Western countries ‘too optimistic’ on nuclear projects, warns engineering chief, Financial Times, 20 mars 2024

3 CERN maximizes uptime of the world’s largest machine, hexagon.com

4 The Global Energy Talent Index Report 2022, Airswift

5 30 ans plus tard, l’Italie tente de relancer sa filière nucléaire, 7 mars 2024, Euractiv

6 The Nuclear Aged, Reuters, 22 août 2023

7 AREVA Inc. Improves Project Certainty With EVM Standardization Initiative, hexagon.com

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