precarite energetique reponse publique est-elle adaptee efficace - Le Monde de l'Energie

Précarité énergétique : la réponse publique est-elle adaptée et efficace ?

Après nous avoir proposé une définition de la précarité énergétique et une analyse de son évolution récente en France, la chercheuse Adèle Sébert évoque ici la réponse publique à cette problématique. Adèle Sébert est docteure en science économique, rattachée au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé-CNRS UMR 8019, Université de Lille), ses analyses s’appuient sur sa thèse Qualifications et prises en charge de la précarité énergétique. Une analyse économique institutionnaliste, qui a bénéficié d’un financement de l’Agence de la transition écologique (Ademe).

 

Dans le cadre de l’anniversaire des 10 ans de l’Observatoire National de la précarité énergétique (ONPE) en 2021, l’observatoire a commandité une étude en deux volets1 dont l’ambition est de revenir sur les dispositifs créés depuis 2010, vers laquelle je ne peux que rediriger celles et ceux qui souhaiteraient une analyse par grands dispositifs et à l’appui de données récentes.

Dans ma recherche, j’adopte une lecture compréhensive de la précarité énergétique et des dispositifs de prise en charge de celle-ci. Je ne réalise donc pas d’évaluation de la politique publique mais mon approche de ces processus de prise en charge me permet de proposer quelques éléments réflexifs.

Pour le dire schématiquement et au risque d’être caricaturale, depuis 10 ans, on a assisté à une création et structuration de dispositifs, lois et normes portant, d’une part sur des formes de solvabilisation (pour le paiement des factures, pour l’achat d’équipement, pour la réalisation de travaux) et, d’autre part, sur la mise à disposition d’informations (sur des questions administratives, juridiques, financières, techniques…). Ces dispositifs, qu’ils relèvent d’initiatives publiques ou privées, ciblent différentes personnes : des individus, des ménages, des personnes aux ressources dites (très) modestes, des locataires, des propriétaires, des habitants, des usagers, des consommateurs….

Il est donc difficile de savoir ce qu’il convient de juger : le coût, le fonctionnement et la temporalité d’un dispositif ; la manière dont il est mis en place ; le public destinataire, la cohérence d’ensemble… Au milieu de ce foisonnement de dispositifs, comment savoir si la réponse publique est adaptée ? Par rapport à quoi ? Selon qui et à partir de quels critères ? S’agit-il d’évaluer des dispositifs passés ? S’agit-il de faire de l’évaluation d’une politique publique « en train de se faire » (et comment) ?

D’ailleurs, une partie des données qui permettent d’éclairer le phénomène de la précarité énergétique, et que l’on trouve par exemple dans le Tableau de bord de l’ONPE, viennent elles-mêmes d’évaluations menées par les acteurs qui déploient certains dispositifs au niveau local ou national. Ces différentes questions font écho, me semble-t-il, à celles que se pose actuellement le Sénat dans le cadre de la Commission d’enquête l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique2.

Une piste pour interroger l’adaptation de la réponse publique peut être de faire un pas de côté par rapport à l’évaluation de dispositifs, et de prendre en considération le contexte dans lequel cette réponse publique est formulée. Or, de même que pour d’autres problèmes publics, il me semble que depuis 10 ans plusieurs logiques s’entre-croisent. Le contexte institutionnel propre aux difficultés d’accès à l’énergie a ainsi vu l’émergence d’une nouvelle catégorie d’action publique (l’individu en situation de précarité énergétique) et des recompositions de la politique énergétique afin de créer et d’adapter des dispositifs. Mais l’agenda et l’offre politiques (périodes électorales, votes des budgets à l’Assemblée Nationale, ou même la réponse politique à la crise sanitaire) influencent également les calendriers des dispositifs. Enfin, les mouvements sociaux — comme celui des gilets jaunes ou les manifestations de différents collectifs sur le droit au logement — et les échos médiatiques qu’ils parviennent à générer, ont aussi eu leur part à jouer dans les évolutions de certains dispositifs.

L’exemple du mouvement des gilets jaunes en 2018 est éclairant. Il a été lancé en novembre et décembre 2018 sur l’ensemble du territoire national suite à l’annonce par le gouvernement d’Édouard Philippe de la hausse de la taxe carbone au 1er janvier 2019 alors que les prix des carburants étaient eux-mêmes en hausse. Ce mouvement se solde par un retrait de la hausse programmée, la création d’une « Convention citoyenne pour le climat » à l’horizon 2019-2020 (dont certaines propositions portent sur la rénovation énergétique) et la mise en place d’un ensemble de mesures économiques à destination du pouvoir d’achat des ménages. En particulier, il y a eu un élargissement du montant et de l’assiette du chèque énergie versé annuellement aux ménages avec de faibles niveaux de ressources. Le recours au chèque énergie a permis au gouvernement d’accompagner son recul concernant la mise en place de sa politique environnementale. Pour autant, jusqu’où le recours à ce genre de dispositifs de solvabilisation, créés à d’autres fins, peut-il servir pour compenser les effets de hausses des prix des énergies ? Qui plus est, quelle efficacité de ce recours lorsque ces hausses sont consécutives à des événements indépendants de la politique publique en matière d’énergie ?

L’actualité énergétique de ces deux années a remis le consommateur d’énergie sur le devant de la scène politique et médiatique. Elle rappelle également la place occupée par l’acteur public dans la gestion des difficultés d’accès à l’énergie pour les ménages. Cela invite, plus globalement, à s’interroger sur le rôle de l’État et ses relations avec les acteurs privés (lucratifs ou non) car ils jouent un rôle dans la mise en place de la politique publique, au point de créer des attentes sans y être obligés3.

1ONPE, 2021, Panorama législatif et réglementaire et dispositifs de lutte contre la précarité énergétique, 75p.

ONPE, 2021, Analyse des facteurs d’évolution de la précarité énergétique et de six dispositifs, 80p.

2Cette commission d’enquête a été lancée en janvier 2023, à la demande du Groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

3 On peut penser à la déclaration très récente de Total Énergies qui limite le prix du carburant à 1,99€ depuis ce 1er mars et pour toute l’année 2023. La précédente démarche de Total Énergies concernant sa politique de prix dans ses stations se mêlait à l’action que menait le gouvernement.

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