« Pour les bailleurs sociaux, le coût payé par les locataires pour leur facture énergétique fait partie des principales préoccupations »
Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Philippe Aspar, directeur général de Tarn Habitat et directeur général de la SAC Hasso, pour évoquer la décarbonation du parc locatif social, thématique de la journée annuelle de conférences organisée par la SAC le 30 mai 2024 à Rodez (12).
Le Monde de l’Énergie —En quoi les enjeux de décarbonation et de transition énergétique concernent directement les bailleurs sociaux ?
Philippe Aspar —La raison d’être d’un bailleur social est de proposer un logement de qualité qui soit économique à vivre. Or, la question des coûts énergétiques devient aussi importante que la question du loyer. Depuis de nombreuses années, l’amélioration de la performance énergétique des logements et la sobriété des usages sont au cœur des stratégies des bailleurs.
La « décarbonation » reprend en partie ces objectifs de réduction des consommations mais les complète en introduisant des réflexions sur les sources d’énergie qui doivent être décarbonées tout en restant économiquement intéressantes. Au vu du poids du bâtiment dans les rejets des gaz à effet de serre, l’enjeu est majeur !
Désormais, dans le cadre de notre responsabilité sociale, la lutte contre le réchauffement climatique prend une place de plus en plus importante dans nos stratégies et plus seulement dans nos stratégies patrimoniales.
Le Monde de l’Énergie —Comment inciter les propriétaires à réaliser des travaux améliorant la performance énergétique d’un logement ? Quels dispositifs existent actuellement en la matière ?
Philippe Aspar —Il est vrai que les travaux d’amélioration énergétique sont financés par les propriétaires alors que les économies profitent aux locataires. Les offices membres d’Hasso, premier acteur public de l’habitat social en Occitanie, mènent pourtant des stratégies ambitieuses pour répondre aux enjeux de sobriété et de performance énergétiques.
En premier lieu, parce qu’en tant qu’offices publics, nous privilégions l’intérêt général et le long terme.
Ensuite, la valeur locative d’un logement est nettement augmentée par une performance énergétique améliorée.
Enfin, diminuer les dépenses énergétiques conduit à baisser les charges du locataire et ainsi améliorer sa solvabilité.
Pour financer les travaux, nous avons recours à tous les dispositifs d’aides existants (subventions, notamment de l’Union européenne, aides des collectivités locales, certificats d’économie d’énergie…). Ces dispositifs peuvent permettre de financer jusqu’à 20 % des travaux.
Pour le reste, nous mobilisons des prêts souvent bonifiés par nos partenaires, notamment la Banque des Territoires, qui seront remboursés par les loyers à venir.
Chaque organisme a ensuite des stratégies différenciées pour boucler son financement. En ce qui concerne Tarn Habitat, nous mettons en place par accord collectif avec les locataires une augmentation de loyers qui doit être inférieure aux économies de charges obtenues grâce aux travaux.
Le Monde de l’Énergie —L’interdiction progressive de louer les « passoires énergétiques » est-elle bien acceptée par les professionnels du secteur ? A-t-elle un effet incitatif, comme voulu par le législateur ?
Philippe Aspar —Il est évident que la loi a eu un effet incitatif et accélérateur pour la filière. Pour autant, la règlementation est basée uniquement sur les DPE. Or, les errements sur la méthode de calcul des DPE et les très nombreuses erreurs de calculs ont réduit la confiance dans cet indicateur, alors même qu’il conditionne des milliards d’euros d’investissement.
Concernant Hasso, nous serons au rendez-vous de 2025 et 2027 mais au vu de la situation économique, l’échéance 2034 (éradication des logements classés E) paraît complexe à atteindre pour certains bailleurs du groupe.
Le Monde de l’Énergie —Comment améliorer la sobriété énergétique des logements en France ? Les bailleurs et propriétaires peuvent-ils accompagner leurs locataires en la matière, et comment ?
Philippe Aspar —Je le réaffirme, pour les bailleurs sociaux tels que les offices publics de l’Habitat (OPH), le coût payé par les locataires pour leur facture énergétique fait partie des principales préoccupations. De plus, l’information, la sensibilisation des locataires fait partie d’une longue tradition d’accompagnement des locataires par les OPH. Toutefois, il faut une communication adaptée car le coût final payé dépend d’actions du bailleur (performance technique du logement, voire prix de l’énergie en cas de dispositifs de chauffage collectif) et d’actions du locataire (bon usage, choix de sobriété, habitudes de vie, prix de l’énergie pour ses usages individuels). Il y a par ailleurs des moments plus propices que d’autres pour porter ces informations (déménagement, travaux de réhabilitation…)
Les bailleurs de Hasso se mobilisent sur plusieurs fronts : guides éco-gestes, explications sur les nouveaux équipements, ateliers d’information, conseils individualisés… et dialogue constant avec les associations de locataires pour anticiper les difficultés et envisager des solutions idoines.
Le Monde de l’Énergie —Comment bailleur et locataire s’emparent-ils de la question de la production d’énergie locale (photovoltaïque en autoconsommation, géothermie) ?
Philippe Aspar —À Hasso, la production d’énergie (ou plutôt la récupération-transformation d’énergie) s’est principalement ciblée sur le solaire thermique, le solaire photovoltaïque et la géothermie. Différents modèles se sont succédé (location de toiture par exemple) mais ces équipements étaient surtout destinés à baisser les charges des locataires. Le modèle économique est aujourd’hui remis en cause car les bailleurs investissent mais ne tiraient aucun revenu de ces équipements. Aussi, de l’innovation financière est à l’œuvre pour rentabiliser auprès des bailleurs ces installations (revente, autoconsommation collective, surloyers…)
La multiplication de points de production photovoltaïque pose aussi la question des raccordements Enedis. Hasso a d’ailleurs signé une convention sur ce point.
Le Monde de l’Énergie —Comment se négocie la sortie du fioul domestique ?
Philippe Aspar —Il s’agit d’une énergie peu utilisée par les bailleurs sociaux, pas toujours simple à substituer. Toutefois, le remplacement des chaudières fioul fait aujourd’hui partie des priorités d’action de tous les bailleurs.