Majors du pétrole et transition énergétique : quelles sont les avancées de la diversification ?

Article signé Charly Gay et Vincent Paradis  pour SpinPart.

À une époque où l’Union Européenne (UE) communique de plus en plus fort pour une transition énergétique décarbonée, les majors pétroliers annoncent une diversification inédite vis-à-vis de leurs activités.

Bien qu’une politique différente entre les majors européens et américains soit perceptible, des investissements majeurs en dehors de l’activité pétrolières ont été amorcés par les européens.

Annoncé à renfort de communiqués institutionnels sur l’acquisition d’énergie verte, qu’en est-il réellement ? S’agit-il d’un « Green washing » ou d’une transformation de fond ?

Dans le deuxième cas, quels peuvent-être les facteurs de succès et les impacts, internes comme externes, d’une telle transformation, y compris pour les acteurs historiques de l’électricité française.

Une politique volontariste des acteurs du marché

British Petroleum (BP) souhaitait dès 2001 aller, selon son nouveau slogan, « au-delà du pétrole ». De son coté, Total affiche la volonté d’être le major de l’énergie responsable le plus rapidement possible.

Patrick Pouyanné le résumé très bien, dès 2016 : L’ambition ? Nous l’avons défini comme un slogan « 20 % dans 20 ans ». Que les énergies renouvelables constituent un véritable relais de croissance rentable pour Total dans 20 ans, et constituent environ 20 % du portefeuille du Groupe.

Sans prendre position dans le débat sur l’intégration du l’utilisation du gaz comme énergie « verte », un axe stratégique de ce major est de se diversifier vers un modèle intégré dans l’énergie « bas carbone », pour produire majoritairement de l’électricité.

Cette stratégie est partagée par les autres acteurs européens. Aujourd’hui, la communication des majors européens bascule de la marque « pétrolier » vers la marque « énergéticien » en donnant une place de plus en plus grande à l’électricité.

Un schisme entre les majors US et UE sur le sujet

En regardant les investissements réalisés par les majors, une bipolarisation Europe/Etats-Unis s’observe pour diverses raisons. M-J. Pickl, doctorant en économie travaillant pour Saudi Aramco, nous fournit une cartographie de la différence entre les majors.

Les majors européens ont tous commencé à investir dans des activités d’énergies « vertes » quand les majors américaines au sens large se focalisent sur leurs activités pétrolières.

Un cadre contraignant

Les majors européens sont fortement dépendant de leur marché intérieur. Plus de 50% de la vente de produits pétroliers de ces majors se fait en Europe. Pour autant, l’intégralité des pays de l’UE a voté l’accord de Paris pour le climat qui vise à limiter le réchauffement climatique à 2°C.

La mise en application de cet accord implique une baisse de la demande en énergie fossile, y compris en pétrole.

Les premières lois régulant l’économie avec les enjeux climatiques ont été publiées, et on peut notamment citer :

  • La loi Energie-Climat de 2019 en France qui introduit l’objectif de neutralité carbone en 2050, divisant les émissions de gaz à effet de serre (GES) par 6
  • La diminution régulière des seuils d’émissions de GES pour les constructeurs automobiles sur le marché européen. Cette diminution des seuils doit favoriser une réduction de la consommation dans le transport, voire un transfert vers l’électrique. Le transport est en effet, de loin, le premier débouché des produits pétroliers

Le cadre législatif européen devrait s’imposer à moyen-terme sur le développement du secteur pétrolier. Il est d’ailleurs différent du cadre législatif que l’on retrouve aux Etats-Unis. Est-ce une piste expliquant la bipolarisation ?

Il y a également des contraintes techniques qui peuvent justifier un effet limitant la croissance productive de ce secteur, indépendamment des politiques étatiques, sur le long terme :

  • Le taux de retour énergétique (ou EROI « Energy Returned On Energy Invested ») du pétrole est en constante baisse :  les champs de pétrole les plus simples ont déjà été exploité et les relais de croissances sont par exemple dans les pétroles de schiste et bitumineux, dont l’exploitation est très énergivore
  • L’IAE (Agence Internationale de l’Energie) a admis le pic du pétrole conventionnel dans son rapport annuel de 2018, le situant à 2008

À court et moyen terme (avant 2025), ces effets limitant sur la production devraient favoriser les marges des acteurs à travers une inflation des prix due à une contraction de l’offre (réduction des volumes de production).

Sur le long terme, la hausse probable du cours du pétrole devrait encourager le développement d’autre source d’énergie afin de maintenir un coût de l’énergie acceptable pour nos sociétés.

Des investissements limités mais en accélération

Le nombre d’investissements hors de la zone d’exploitation historique des majors s’accélère fortement depuis ces trois dernières années.

Total étant un des majors les plus actifs à ce niveau-là comme le traduit la transformation de la raffinerie de la Mèdes ou le rachat de Direct Energie. Les autres majors européens suivent la même direction à l’image de Lightsource racheté par BP ou de First Utility par Shell.

Ces investissements représentent encore une part négligeable par rapport aux bénéfices de ces majors, en comparaison de leurs investissements dans le cœur de métier. Les hydrocarbures représentent toujours plus de 95% des investissements.

Pour autant, les premières divisions énergies « vertes » ont été créées, les premiers projets productifs sont lancés et les investissements en R&D affluent.

Parmi eux, l’investissement dans des unités de production d’électricité à partir de gaz tient le haut du pavé, profitant des ponts logiques entre secteur pétrolier et secteur gazier. Surtout, tous les majors européens annoncent des plans d’investissements croissants dans les énergies « vertes ».

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COMMENTAIRES

  • Les véhicules au GNV (gaz naturel pour véhicules), GNC (gaz naturel comprimé): essentiellement du méthane (CH4), peu chers (ce sont des moteurs « essence »), simples à fabriquer, très courants dans certains pays sont presque « invisibles » en France et pourtant, sur le cycle de vie (de la fabrication au recyclage), ils n’émettent pas plus de CO2 que les véhicules électriques (batteries fabriquées en Chine avec de l’énergie « charbonière » et l’électricité produite à partir de charbon, de pétrole ou de gaz) et sont deux fois moins chers.
    et ne parlons pas de la distribution du gaz: il circule sous tous nos trottoirs de villes.
    Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi?

    Répondre
  • J’ai oublié de dire: le kW.h de gaz (0,07 €) est deux fois moins cher que le kW.h d’essence (0,16 €) ou d’électricité (0,16 €).
    la « rentabilité » est donc:
    – instantanée par rapport à l’essence (avec moins de CO2)
    – avec un rendement divisé par 2 par rapport à l’électricité, il faudra avoir consommé 120.000 kW.h (soit 1.200.000 km à 10 kW.h/100km) pour « amortir » les 10.000 € d’écart en prix d’achat. Ce qui n’arrivera donc jamais.
    Quant au CO2, dès que l’on quitte la France et quelques pays à l’électricité très « décarbonnée », ces véhicules en génèrent moins sur leur durée de vie.

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