« Le stockage de l’hydrogène solide est prometteur pour l’utilisation comme source de carburant »
Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Benoit Vieille, enseignant-chercheur à l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Rouen, spécialiste en mécanique des matériaux et auteur de l’articleL’hydrogène, nouvel or vert : les matériaux sont-ils prêts pour le stockage et le transport ?, pour évoquer avec lui les contraintes matérielles qu’impose le développement de l’hydrogène.
Le Monde de l’Énergie —Pouvez-vous nous rappeler la place de l’hydrogène (H2) dans le paysage énergétique actuel et dans les scénarios de transition énergétique ?
Benoit Vieille —L’hydrogène est potentiellement un carburant propre (non polluant et sans émission de gaz à effet de serre) selon la technique de production mise en œuvre. Il peut être utilisé comme source d’énergie électrique en association avec une pile à combustible ou comme source d’énergie thermique par combustion directe. Dans le domaine du transport (pour la propulsion des véhicules), l’h2 trouve un champ d’application important (trains, camions, voitures, bateaux, bus…) pour répondre aux enjeux de la transition énergétique (25% des émissions de co2). D’ici à 2050, on estime à environ 12% la part de l’h2 dans la production mondiale d’énergie dont 70% environ d’h2 vert (c’est à dire bas carbone). Aussi, L’hydrogène vert produit à partir de l’électrolyse de l’eau et de sources d’énergie renouvelables (électricité d’origine nucléaire, photovoltaïque ou éolienne) présente un fort potentiel comme carburant d’alternatif.
Le Monde de l’Énergie —Quels avantages présente ce vecteur énergétique, en particulier pour le transport lourd ?
Benoit Vieille —Comparativement aux énergies fossiles (par exemple l’essence), la même énergie peut être produite pour une masse 3 fois plus faible. Concrètement, pour un véhicule utilisé dans les mêmes conditions, cela signifie une autonomie trois fois plus grande, aucune émission de gaz à effet de serre, mais un coût d’exploitation plus élevé.
À température ambiante et à pression atmosphérique, 1 kg de gaz a un volume de 11 m3. Pour augmenter la densité de l’hydrogène, il faut soit comprimer le gaz, soit abaisser la température en dessous de la température critique, soit réduire la répulsion due à l’interaction des atomes d’h2 avec d’autres atomes.
L’enjeu technique majeur est de comprimer l’hydrogène autant que possible, c’est-à-dire d’atteindre la densité volumétrique la plus élevée en utilisant le moins de matériaux possible. Dans le domaine du transport, le stockage de l’hydrogène implique donc la réduction d’un volume important d’hydrogène gazeux pour être compatible avec les dimensions standards des véhicules.
Le Monde de l’Énergie —Souvent présenté comme une sorte d’équivalent bas carbone (s’il est « vert ») au gaz fossile, l’hydrogène présente des caractéristiques physiques en termes d’extraction, de transport et de stockage bien différents. Pouvez-vous nous les synthétiser ?
Benoit Vieille —Tout d’abord, les techniques de synthèse de l’h2 (liquide ou gazeux) sont aujourd’hui relativement coûteuses. En effet, la production d’h2 se décline de différentes couleurs (noir, brun, gris, bleu, jaune, vert, turquoise et blanc – du plus cher au moins cher) selon le procédé de fabrication utilisé, émettant plus ou moins de CO2. Cette différence tient essentiellement aux constituants de base et au coût énergétique de ces techniques. Par exemple, l’hydrogène noir est issu de la transformation du charbon en gaz (coûteux en énergie et polluant). A contrario, le blanc est présent à l’état naturel sur terre, il est donc plus propre à exploiter. Concrètement la production d’h2 vert coûte en moyenne 5-10€/kg en fonction de la taille et de la nature des unités de production, contre seulement 1,5-5€/kg pour l’h2 gris (produit à partir d’h2 naturel). Pour comparaison, le prix d’un kg d’essence sans plomb (hors taxe) est environ 1€. Ce qui signifie que l’h2 vert coûte aujourd’hui 3x plus cher que l’essence par km parcouru.
Après production, il existe trois façons de stocker l’hydrogène : le gaz comprimé, l’hydrogène liquide cryogénique (LH2) et le stockage de l’hydrogène à l’état solide. Fondamentalement, on connaît aujourd’hui six méthodes de stockage réversible de l’hydrogène avec une densité volumétrique (densité d’hydrogène par unité de volume) et gravimétrique (énergie stockée par unité de masse) élevées :
1. Bouteilles de gaz à haute pression
2. Hydrogène liquide dans des réservoirs cryogéniques
3. Hydrogène adsorbé
4. Absorbé au niveau interstitiel
5. Composés complexes
6. Métaux et complexes avec l’eau
Le stockage d’h2 (sous forme atomique et non plus moléculaire) sous forme solide repose sur une technologie utilisant des hydrures qui sont une poudre métallique qui absorbe et stocke des quantités significatives d’hydrogène à basse pression et température ambiante. Le processus de stockage et de libération de l’hydrogène sous forme d’hydrure métallique est réversible, ce qui signifie que le métal porteur n’est pas consommé. Ces hydrures métalliques se comportent alors comme une « éponge » à hydrogène.
Le Monde de l’Énergie —Vous avez spécifiquement étudié les nouvelles contraintes que posent l’hydrogène sur les matériaux s’il est utilisé comme carburant. Quelles sont-elles, en fonction des différentes technologies de stockage envisagée ?
Benoit Vieille —Sous forme de gaz comprimé, L’h2 peut être stocké à des pressions élevées de ∼150-200 bar. Des bouteilles d’hydrogène spécifiques associant liner (enveloppe métallique pour l’étanchéité) et matériaux composites (résistance mécanique) sont disponibles pour des pressions très élevées allant jusqu’à 700 Bar.
Sous forme liquide, l’hydrogène peut être stocké à une température cryogénique de 20 K, ce qui nécessite beaucoup d’énergie. L’hydrogène liquide est très volatil et l’hydrogène gazeux évaporé peut former un mélange explosif avec l’air. Le principal inconvénient de ces deux méthodes est la faible densité volumique de l’hydrogène.
Le stockage de l’hydrogène solide à base d’hydrures métalliques est prometteur pour l’utilisation à grande échelle de l’hydrogène comme source de carburant à l’avenir. Le critère important pour le stockage de l’hydrogène solide est la réversibilité de l’absorption et de la libération de l’h2. Les matériaux qui interagissent avec l’hydrogène, ainsi que les matériaux inertes, sont donc importants. La réversibilité exclut tous les composés covalents hydrogène-carbone, car les atomes d’h2 ne sont libérés que s’ils sont chauffés à des températures supérieures à 800°C ou si le carbone est oxydé.
Le Monde de l’Énergie —Quels matériaux devraient selon vous être privilégiés pour amorcer cette révolution ?
Benoit Vieille —Nous l’avons évoqué précédemment, le stockage de l’hydrogène pose de nombreux problèmes liés à la technique mise en œuvre et aux matériaux utilisés. La capacité de stockage d’hydrogène d’un matériau dépend de sa forme (gazeux, liquide, solide) et du type d’interaction avec l’hydrogène. Ainsi, plusieurs matériaux de stockage de l’hydrogène solide sont actuellement utilisés : les hydrures métalliques conventionnels, les hydrures complexes, les hydrures chimiques, les matériaux à base de carbone, les zéolites, les MOF (Metallic Organic Framework) et les clathrates.
Les hydrures métalliques offrent une technologie pratique et sûre pour le stockage de l’hydrogène. Le fait que la densité d’hydrogène par unité de volume soit la plus élevée dans les hydrures métalliques et que l’hydrogène stocké puisse être libéré à la température souhaitée rend cette technologie supérieure à l’hydrogène liquide ou aux bouteilles d’hydrogène gazeux.
Bien que le développement récent de nouveaux matériaux et les recherches fondamentales sur les hydrures aient considérablement amélioré les conditions de stockage de l’hydrogène en utilisant la modification de la composition, l’ajout de catalyseurs, la réduction de la taille des particules et la déstabilisation thermodynamique, aucun matériau n’a été trouvé jusqu’à présent pour remplir tous les objectifs définis pour les applications pratiques de stockage de l’hydrogène à bord des véhicules.
Le Monde de l’Énergie —Quels sont les risques de fragilisation de ces matériaux ? Quels dangers représente-t-elle, et quelles mesures faudra-t-il appliquer pour assurer le développement de l’hydrogène en toute sécurité ?
Benoit Vieille —Qu’ils soient utilisés pour le stockage ou le transport de l’hydrogène, la fragilisation est un processus physique au cours duquel les molécules d’h2 vont pénétrer dans le matériau, plus particulièrement dans la microstructure des métaux constituée de grains. Ce processus favorise la fragilisation des alliages structurels (en particulier les alliages de fer, d’aluminium, de nickel et de titane) et l’altération de certaines propriétés mécaniques : diminution de sa ténacité (résistance à la fissuration), réduction de sa ductilité (capacité de déformation plastique) et de son allongement à rupture. Les dommages liés à l’hydrogène peuvent se produire soudainement, entraînant une défaillance catastrophique des structures. Dans ce cas, la caractérisation du comportement à rupture des matériaux, parfois à des températures et des pressions extrêmes, est un défi important qui dépasse les capacités des essais standards.
Bien que des progrès aient été réalisés dans le domaine de l’adsorption et de la libération réversible de l’h2, les défis liés au coût de production, au stockage et aux matériaux capables de répondre aux contraintes imposées par l’h2 continuent de limiter son application à grande échelle.
COMMENTAIRES
L’hydrogène s’est disqualifié lui-même par la complexité de la chaine de transformation entre la production et l’utilisation, partout, là où il n’est pas indispensable en tant qu’hydrogène. Dès lors qu’il existe une alrernative, notamment électrique, l’hydrogène présente plus d’inconvénients que d’avantages. Pour animer le transport routier, en particulier, il est déjà supplanté par les batteries dont les progrès sont continus, et s’il y a quelques années on pouvait encore imaginé qu’il existait une niche pour l’hydrogène dans le transport lourd routier, c’est aujourd’hui complétement absurde.