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Au Liban, le « scandale de l’obscurité » mine le moral des populations

Le samedi 9 octobre, le Liban a de nouveau été plongé dans le noir après une panne d’électricité majeure, liée à la mise à l’arrêt de deux importantes centrales électriques. La fragilité du réseau électrique libanais exaspère les populations et demeure l’un des enjeux centraux de la crise sociale et politique que traverse le pays depuis de nombreux mois. Le rétablissement d’un secteur public de l’électricité viable et fonctionnel est d’ailleurs le principal engagement du gouvernement de coalition installé il y’a un an à la suite des deux explosions au port de Beyrouth, datées du 4 août 2020.

Les coupures de courant sont une réalité quotidienne pour les populations libanaises, habituées aux black-out partiels et aux arrêts ponctuels des centrales électriques du pays. Mais, elles ont rarement atteint une telle ampleur. Dans un communiqué paru le 9 octobre, la compagnie nationale Électricité du Liban (EDL) annonçait « que la centrale de Deir Ammar a été contrainte d’arrêter sa production d’électricité (…) en raison de l’épuisement de ses réserves de gazole » et que « la centrale de Zahrani s’est également arrêtée (…) pour la même raison », entraînant l’« effondrement total du réseau sans aucune possibilité de le restaurer pour le moment ». Le réseau électrique a été partiellement remis en route le lendemain, grâce à un soutien opérationnel de l’armée libanaise, qui a réparti 6 000 kilolitres de gazole aux centrales de Deir Ammar et Zahrani. De quoi garantir la lumière quelques heures par jour.

Infrastructures vieillissantes

Le mix électrique libanais est, à l’heure actuelle, quasi-entièrement fondé sur le recours massif aux énergies fossiles, avec des centrales thermiques relativement obsolètes, fonctionnant au fioul lourd et au gasoil. Les pertes techniques et non techniques du réseau sont comprises entre 36 et 40 % et la capacité effective du réseau demeure toujours inférieure à la demande. En 2019, selon les données du ministère de l’Énergie et de l’Eau, la capacité du réseau ne s’élevait qu’à 2 449 MW, pour une demande estimée à 3 669 MW. Une situation catastrophique héritée de la guerre civile (1975 – 1990), qui a mis à mal une grande partie des infrastructures d’électricité du pays.

À tel point que des générateurs privés, financés par les particuliers, se sont développés pour permettre de pallier les difficultés du secteur public de l’énergie. Un véritable business dans le pays, le marché des générateurs privés étant estimés à 2 milliards de dollars. Ils se sont aujourd’hui imposés comme une solution alternative nécessaire et représentent 40 % du courant fourni dans le pays en 2020, contre 22 % en 2008. « En 2018, 37 % de la demande en électricité n’était pas couverte par EDL, et si la production n’augmente pas, en 2025, 56 % de la demande restera insatisfaite », explique Alix Chaplain, doctorante en sociologie et étude urbaines au CERI de Sciences Po, dans un article publié sur la plateforme The Conversation.

Corruption endémique dans le secteur de l’énergie

Le secteur de l’électricité au Liban souffre de la corruption endémique qui touche le pays. Il est, selon le journal Al-Araby Al-Jadid, « la plus fameuse des caisses noires de la corruption » dans le pays. En effet, depuis la fin de la guerre civile, des milliards de dollars d’investissements y ont été déversés, dont une partie a été détournée par les élites politico-financières. « Il y a une dilapidation des fonds et une absence de gestion des deniers publics au sein du ministère de l’Énergie dont les différents ministres qui l’ont dirigé depuis 2008 portent la responsabilité », explique le député Antoine Habchi, des Forces Libanaises au magazine l’Orient Le Jour. Dans l’esprit des Libanais, Électricité du Liban représente l’exemple le plus frappant de la mauvaise gouvernance, conséquence d’un système politique clanique, dans lequel chaque camp cherche à avoir la mainmise sur les administrations les plus stratégiques. Et les mieux dotées en liquidités.

En mai 2021, l’affaire de la livraison de fioul défectueux à Électricité du Liban avait jeté sur le banc des accusés 22 personnalités ou personnes morales libanaises, issues du monde des affaires. Les différents chefs d’accusation soulignaient la pratique systématique des pots-de-vin dans les négociations. Parmi elles, Aurore Feghali, directrice générale du pétrole du ministère de l’Eau, Sarkis Hleis, directeur des installations pétrolières, mais aussi Teddy Rahmé, dirigeant de ZR Group Holding. Le dernier n’est d’ailleurs pas inconnu en France. Il est accusé avec son frère Raymond d’avoir, dans le cadre de l’affaire Korek — un groupe de télécom irakien —, participé au détournement de 700 millions d’euros aux dépens du groupe français Orange et du koweïtien Agility, selon le journal Libération. En Irak, où la corruption est au moins tout aussi endémique qu’au Liban, les deux entreprises ont tenté de réclamer justice, en vain, avant de se tourner vers les juridictions internationales, dont le CIRDI, l’organe d’arbitrage de la Banque mondiale.

L’espoir renouvelable

Face à ce phénomène, le Liban tente de trouver des palliatifs en développant une stratégie axée sur le développement des énergies renouvelables. Une transition d’ailleurs largement encouragée par la Banque centrale du Liban et les acteurs publics, à l’origine de mesures incitatives invitant les groupes privés à investir dans les énergies bas-carbones. En 2010, un plan d’« action nationale pour l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables », supposé faciliter le financement des énergies vertes dans le pays, a même été lancé. Avec un succès mitigé pour le moment.

En 2019, la ministre de l’Énergie et de l’Eau a annoncé, à l’horizon 2030, vouloir faire grimper à 30 % de la demande nationale d’électricité la part des renouvelables dans le pays. Le Liban jouit d’un potentiel solaire intéressant, avec 300 jours d’ensoleillement par an et 8 à 9 heures de lumière par jour. Une capacité intéressante mais pour le moment largement sous-exploitée, l’énergie solaire ne représentant que 0,55 % de l’énergie produite par Électricité du Liban en 2018. La faute, notamment, à un déficit aux investissements privés. Plus modéré, le potentiel éolien commence tout de même à être exploité, avec le projet en construction d’un parc éolien d’une capacité de 220 MW au sein du gouvernorat de l’Akkar.

Face à la mainmise des acteurs politiques sur le secteur de l’électricité au Liban, de nombreux observateurs plaident aussi pour la création d’un organisme de régulation indépendant et crédible, dont les prises de décision seraient hors du champ des agendas politiques. « Comme le secteur de l’électricité au Liban souffre déjà d’une forte ingérence politique, la mise en place d’un régulateur indépendant fort est un catalyseur clé des réformes », affirme Jessica Obeid, consultante en politique énergétique et boursière auprès du Lebanese Center for Policy Studies. Un préalable nécessaire pour fixer un cadre réglementaire clair, capable d’attirer les investisseurs internationaux, de plus en plus méfiants à l’égard d’investissements dans un pays, où la crise financière se fait de plus en plus pesante jour après jour.

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  • On ne peut que compatir à la souffrance de cette population et souhaiter une amélioration rapide de leurs conditions de vie.

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