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« L’industrie du ciment s’apprête à investir massivement dans la décarbonation de ses procédés »

Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Laure Hélard, déléguée générale de France Ciment, pour évoquer avec elle l’impact de la taxe carbone aux frontières sur l’industrie européenne et française du ciment.

Le Monde de l’Énergie —Quel est le principe du Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF), dit aussi « taxe carbone aux frontières », mis en œuvre par l’Union européenne, ses mesures concrètes et son calendrier de développement ?

Laure Hélard —Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF, ou CBAM en anglais) consiste à soumettre certains produits importés dans le territoire douanier de l’Union Européenne à une tarification du carbone équivalente à celle qui est appliquée aux industriels européens fabriquant ces mêmes produits à travers le marché carbone européen (appelé « ETS » pour European Trading Scheme). Avec un MACF en place, l’acier, l’aluminium, le ciment, les engrais azotés et l’hydrogène sont soumis à un prix du CO2 équivalent, qu’ils soient produits en Europe (via l’« ETS ») ou importés (via le « MACF »).

L’objectif du MACF est de lutter contre les fuites de carbone, c’est-à-dire le processus de délocalisation de productions industrielles émettrices en carbone hors de l’UE, vers des pays dans lesquels la législation environnementale est moins contraignante, tout en contribuant à la décarbonation au niveau mondial et à la neutralité climatique à 2050.

Lorsque le MACF sera opérationnel, à partir de janvier 2026, les importateurs devront soumettre chaque année une déclaration contenant notamment la quantité de marchandises importées et le total des émissions de CO2 incorporées dans ces biens. Ils devront s’acquitter de certificats MACF sur la base de ces déclarations.

D’ici là, entre octobre 2023 et décembre 2025, une phase transitoire doit se mettre en place, pendant laquelle les importateurs sont tenus d’effectuer des déclarations mais sans s’acquitter des certificats MACF.

Le Monde de l’Énergie —En quoi peut-il favoriser la décarbonation de l’industrie européenne ? Quel est son lien avec la fin des quotas gratuits de CO2 ? 

Laure Hélard —Le secteur de l’industrie cimentière s’apprête à investir massivement dans la décarbonation de ses procédés. Il a présenté des objectifs très ambitieux dans le cadre de sa feuille de route de décarbonation : une réduction des émissions de CO2 de -50% à horizon 2030 pour se rapprocher de la neutralité climatique en 2050. Dans ce contexte d’investissements historiques et de pression des importations en provenance de pays n’appliquant pas les mêmes règles en matière environnementale et climatique, le MACF est l’une des conditions pour garantir la compétitivité de l’industrie européenne, et atteindre les ambitions du Green Deal européen. Le MACF est également un moyen d’inciter les partenaires commerciaux de l’Europe à eux-mêmes décarboner leurs industries.

Dans le cadre du marché carbone européen (EU ETS), les industries émettrices de gaz à effet de serre de l’Union européenne doivent acheter des quotas d’émissions selon le nombre de tonnes de CO2 qu’elles émettent. C’est le « prix du CO2 » ou le « coût du carbone ». Jusqu’à présent, la solution pour lutter contre les fuites de carbone consistait à allouer à ces entreprises européennes une part de quotas « gratuits ». L’UE va mettre un terme aux quotas gratuits, qui disparaîtront progressivement d’ici à 2034. Le MACF est donc indispensable pour préserver la compétitivité de l’industrie européenne et éviter les importations de produits bien plus carbonés : production en Europe (via l’« ETS ») ou importation (via le « MACF ») doivent être soumises au même prix du CO2.

Si les investissements dans la décarbonation se déploient prioritairement et massivement dans les industries extra-européennes et si ces industries continuent à bénéficier de conditions favorables telles que des prix de l’énergie avantageux, alors, le secteur industriel européen ne sera plus compétitif face aux importations extra-européennes de produits décarbonés. Dans la course aux investissements qui s’engage actuellement, il est urgent que se mette en place les plans de soutien aux différents projets dans la décarbonation et que le secteur puisse accéder à une électricité compétitive. L’intégration de technologies de captage intensives en électricité amplifiera le déséquilibre concurrentiel qui existe aujourd’hui et donc accentuera les importations de clinker.

Le Monde de l’Énergie —La production de ciment est une industrie produisant beaucoup de gaz à effet de serre. Quels sont les ordres de grandeur européen et mondiaux ? Comment l’industrie cimentière européenne a-t-elle réduit son intensité carbone et comment va-t-elle continuer de le faire ?

Laure Hélard —Les émissions du secteur cimentier français ont diminué de 40% depuis 1990 : elles sont passées de 17,7 millions de tonnes à 10,3 millions de tonnes en 2015, soit 2% des émissions de la France.

Bien qu’une part de cette réduction provienne d’une baisse de la production, les cimenteries françaises travaillent sur la réduction de leurs émissions depuis longtemps. Elles disposent de plusieurs leviers tels que l’amélioration de l’efficacité énergétique, la substitution des combustibles fossiles par des déchets non recyclables, la réduction du taux de clinker dans les produits. Le captage du CO2 est un levier incontournable pour le ciment en raison des émissions fatales du process cimentier (les émissions causées par la décarbonatation du calcaire, soit les 2/3 des émissions). Cela étant, le captage n’intervient qu’une fois tous les autres leviers déployés.

Ces leviers sont présentés dans la feuille de route de décarbonation de la filière, présentée en mai 2023, qui contient des objectifs ambitieux de réduction de CO2 : -50% à 2030 pour tendre vers la neutralité carbone en 2050. Cette feuille de route résulte d’un important travail de concertation mené avec les pouvoirs publics.

Le Monde de l’Énergie —Quelles sont, selon vous, les principales limites du MACF ? Quelles mesures concrètes France Ciment soutient-elle pour renforcer son efficacité ?

Laure Hélard —Bien que le MACF soit séduisant d’un point de vue théorique, sa mise en œuvre concrète soulève de nombreuses questions.

Se pose d’abord la question de la fraude et d’éventuels contournements de la part d’opérateurs cherchant à éviter de s’acquitter du MACF. La filière pointe notamment le risque de substitution de ciments déclarés comme bas carbone par d’autres types de ciment plus carbonés, des modifications de marchandises déclarées sous d’autres codes douaniers, des cas de transbordement ou fractionnement artificiel de lots. Il faut absolument renforcer les mesures de contrôle des marchandises entrant dans l’Union européenne.

Il faut que les autorités développent un système robuste en matière de contrôle et de rapportage des émissions importées, déclarées par les fabricants de pays tiers.

Une autre limite réside dans le fait que les produits fabriqués en Europe seront renchéris par le prix du carbone (dans le cadre de l’EU ETS) et seront moins compétitifs à l’export hors Union européenne, avec pour conséquence des pertes de marché pour les entreprises européennes et un impact négatif sur l’empreinte carbone globale. Il faut que les pouvoirs publics apportent une solution à cette question des exportations.

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