Fadi Wazni : « Le destin de l’Afrique est intimement lié à celui de la transition énergétique de notre planète »
Le continent, dont les sols sont particulièrement riches en métaux et minerais rares et stratégiques, attise les convoitises de nombreux acteurs d’un secteur minier porté par la hausse exponentielle de la demande mondiale en batteries électriques. De quoi promettre une riche croissance socio-économique au continent africain ? Oui, à condition que les pays concernés réussissent à « transformer localement (leurs) ressources pour en faire des produits à très haute valeur ajoutée à l’export », estime Fadi Wazni, Président du conseil d’administration de la Société minière de Boké (SMB).
Incontournables : à la croisée de l’avènement du véhicule électrique et de la montée en puissance des énergies renouvelables, dont elles pallient l’intermittence, les batteries se sont récemment imposées comme un maillon technologique absolument nécessaire à la transition écologique des grandes puissances économiques mondiales. Et la tendance n’est pas près de s’inverser : avec une production industrielle multipliée par six entre 2010 et 2018, corrélée à une division par huit des coûts, la demande en batteries Li-ion devrait encore être multipliée par dix entre 2020 et 2030. Un marché qui devrait peser, sur le seul continent européen, quelque 250 milliards d’euros à l’horizon 2025.
« Les technologies des batteries constituent un des piliers de la transition énergétique », confirme l’ancien chercheur Pierre Laboué pour l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), selon qui « les batteries permettent d’électrifier le secteur des transports et d’intégrer les énergies renouvelables au mix énergétique ». À ce titre, « le développement d’une industrie européenne des batteries est donc une priorité pour permettre à l’Union européenne (UE) d’assurer sa transition énergétique et défendre ses intérêts économiques », estime le spécialiste. Élément clé de la décarbonation des transports — la voiture électrique est systématiquement moins émettrice qu’une voiture thermique même dans les pays où l’électricité est très carbonée, comme la Pologne, le développement de la batterie électrique reste cependant conditionné à la disponibilité des matières premières nécessaires à sa fabrication. « C’est là que l’Afrique entre en jeu », estime pour Entreprendre Fadi Wazni, qui affirme que « le destin de l’Afrique est intimement lié à celui de la transition énergétique de notre planète ».
Fadi Wazni : « Les pays africains doivent en terminer définitivement avec la fameuse “malédiction des ressources naturelles” »
Lithium, cobalt, cuivre, graphite, manganèse, nickel, alumine et aluminium… : Depuis quelques années, la demande mondiale pour ces métaux et minerais stratégiques n’a d’ailleurs de cesse d’augmenter. Des ressources aussi rares qu’inégalement réparties sous la surface du globe, et pour l’appropriation et l’exploitation desquelles une féroce bataille d’influence fait rage, que ce soit entre acteurs privés ou puissances étatiques rivales. D’autant plus que les hasards de la géologie ont placé ces précieuses ressources dans les sous-sols d’un nombre très limité de zones géographiques, au premier rang desquelles l’Afrique. À titre d’exemple, la République démocratique du Congo (RDC) détient l’essentiel (70 %) des réserves mondiales de cobalt ; l’Afrique du Sud assure un tiers de la production mondiale de manganèse ; Madagascar, le Mozambique et la Tanzanie se partagent 16 % des réserves de graphite ; la Guinée est elle aussi riche en graphite et en bauxite, un minerai essentiel à la fabrication de l’aluminium ; etc. « Les pays africains doivent en terminer définitivement avec la fameuse “malédiction des ressources naturelles” pour faire de leurs richesses des catalyseurs de développement socio-économique », affirme Fadi Wazni.
Au vu de ces chiffres, il est aisé de comprendre pourquoi le continent africain est, et sera encore davantage à l’avenir, au centre des appétits des mastodontes du secteur minier. Une forte croissance de la demande en minerais stratégiques qui pourrait se traduire par un véritable « boom minier », mais aussi par des risques en matière d’approvisionnement et des déséquilibres sur les marchés — sans même évoquer les inévitables conséquences environnementales d’un secteur par définition polluant et dont les activités impactent lourdement les zones où elles se déploient. En tout état de cause, les pays africains devraient, s’ils parviennent à concilier extraction, transformation locale, bonne gouvernance et protection de l’environnement, tirer pleinement profit de cette explosion annoncée de la demande mondiale. « À terme, la vocation de l’Afrique est d’extraire ses ressources et de les transformer localement pour en faire des produits à très haute valeur ajoutée à l’export », affirme Fadi Wazni, qui prévoit l’installation d’une raffinerie d’alumine en Guinée, où il exploitera dans les années à venir le site de Simandou. Une vision largement partagée par de nombreux chefs d’État africains, qui multiplient les initiatives en ce sens, comme le président de la RDC, Félix Tshisekedi, qui invite « (ses) homologues africains à saisir l’occasion qui s’offre à (leur) continent, celle de construire ensemble l’industrie des batteries électriques ».
En Afrique, un secteur en pleine structuration
Sans surprise donc, le secteur africain de l’extraction minière est en pleine structuration. Aux quatre coins du continent, plusieurs mouvements de rapprochement se dessinent. Ainsi en Guinée, où United Mining Supply (UMS), le groupe de l’entrepreneur franco-guinéen Fadi Wazni, a récemment racheté l’industriel français Alteo, numéro un mondial de l’alumine de spécialité, utilisée dans la fabrication des écrans de smartphones comme dans celle des batteries des voitures électriques. L’opération, validée en janvier 2022 par le tribunal de commerce de Marseille, devrait donner naissance à un poids lourd de l’alumine, permettant selon Fadi Wazni d’intégrer en Guinée la transformation finale du produit. « C’est une démarche tout à fait logique », confie l’intéressé, qui souligne qu’« Alteo a un savoir-faire unique au monde et d’excellentes synergies à créer avec nos implantations guinéennes. En tant que producteur de bauxite, ce rachat nous permettra le développement d’une raffinerie en Guinée ».
Extraire et transformer localement la bauxite, tout en faisant du site français d’Alteo Gardanne le leader de l’alumine de spécialité, telle est la logique industrielle de Fadi Wazni, qui promet également de maintenir le plus d’emplois possible dans le sud de la France. En RDC aussi, autre plaque tournante du commerce international de minerais, l’heure est à la structuration du secteur : en témoigne l’inauguration, en avril dernier, d’un nouveau « Centre africain d’excellence pour la recherche et l’innovation sur les batteries » électriques (CAEB), qui devrait attirer sur ses bancs les étudiants et chercheurs de tous les pays du continent. Avant l’usine de voitures électriques « made in RDC » qui devrait, elle aussi, voir le jour sous peu. Les grandes manœuvres sont lancées.