Consommer moins d’énergie : la meilleure arme pour se passer du pétrole et du gaz russe en un temps record

Éclairage signé Alexandre Joly, manager chez Carbone 4

Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, les propositions pour répondre à la crise énergétique se multiplient, tel le “plan de résilience économique et sociale” du gouvernement. Mais ces mesures ne s’attaquent pas réellement à la réduction de notre dépendance aux importations d’énergies fossiles.

On continue à nous parler de fausses solutions

Par exemple, pour le gaz :

  • Remplir au maximum les capacités de stockage : faut-il encore avoir la possibilité de les remplir, et quand bien même, on tient un an, et après ?
  • Accroitre les capacités de production en Norvège, au Royaume-Uni voire en Afrique du Nord : les réserves de ces régions sont déjà quasiment toutes en déclin !
  • Augmenter les importations de GNL d’autres pays comme les États-Unis : sans même parler du gaz de schiste, le GNL émet plus de gaz à effet de serre que le gaz russe [1] ; il faut 2-3 ans pour construire des terminaux méthanier pour accueillir le GNL sur notre sol [2] ; et on substitue juste une dépendance par une autre. Que se passera-t-il quand le prix du gaz augmentera encore à cause de ces dépendances géopolitiques ?

Chacune de ces prétendues « solutions » ne permet de remplacer que 5-20% du gaz russe, en demandant des efforts industriels considérables, loin d’être immédiats, et probablement irréalistes, qui plus est dans un marché mondial de l’énergie où l’Europe n’est pas seule. Et, si elles étaient appliquées, la tension sur le prix du gaz ne diminuerait probablement pas et continuerait de coûter un bras à l’Europe.

Il est un peu question d’efficacité énergétique, mais trop rarement de sobriété énergétique. Pourtant, c’est l’arsenal de mesures le plus puissant pour se passer du pétrole et gaz russe en 1 à 2 ans. Cela réduirait la demande, et potentiellement la tension sur les prix, et cela nous mettrait enfin sur les rails du respect de l’Accord de Paris.

La vraie solution, c’est de réduire nos consommations d’énergie

Alors de quoi parle-t-on ?

Précisons le concept de sobriété, souvent catalogué comme un sacrifice individuel ou un retour à la bougie. On parle bien de changer nos modes de vie pour réduire notre consommation d’énergie, mais il s’agit avant tout d’apporter de la rationalité dans nos usages énergétiques démesurés. Pas besoin de prendre sa voiture pour faire quelques kilomètres par exemple. Il n’est ainsi pas question d’effort individuel mais d’organiser collectivement ces changements pour qu’ils soient faciles d’usage et valorisés socialement. L’illustration parfaite est le vélo. Avec des pistes cyclables sécurisées, continues et de qualité, pédaler devient plaisant, plus rapide que la voiture en ville, plus économique, meilleur pour la santé, etc.

D’ailleurs, 58% des Français et Françaises ont bien compris qu’il faudra changer nos modes de vie, et 64% d’entre eux sont prêts à accepter ces changements s’ils sont partagés de façon juste entre tous les membres de notre société. [3]

Pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre (ce qui revient à se passer des énergies fossiles), 3 leviers, dont la sobriété, doivent être activés [4] :

Ces leviers sont complémentaires et nécessaires à l’atteinte de l’Accord de Paris. Pas de neutralité carbone avec seulement de la sobriété car nous continuerions à consommer des énergies fossiles incompatibles avec cet accord. Pas de neutralité carbone avec seulement des énergies bas-carbone car nous émettrions encore trop de gaz à effet de serre avec des niveaux de consommation énergétique comparables à ceux d’aujourd’hui voire en croissance.

Appliquons cette logique au gaz et au pétrole, pour observer l’effet de grandes mesures au regard des quantités d’énergie provenant de Russie.

En préambule, les quantifications sont réalisées en moyenne. Elles cachent ainsi des disparités sociales (précarité énergétique, précarité mobilité) pour lesquelles la déclinaison opérationnelle des mesures doit tenir compte. L’objectif, ici, est de discerner les grands ordres de grandeur.

Pétrole : près de 60% utilisé dans les transports en France

Nous pourrions nous passer de pétrole russe dans le transport en moins d’un an grâce à quelques mesures de sobriété

Gaz : près de 50% utilisé dans les bâtiments en France

Nous pourrions nous passer du gaz russe dans le bâtiment en 1-2 ans grâce à quelques mesures

Notons que les mesures proposées ne sont pas exhaustives. Elles ont pour objectifs d’être parmi les plus structurantes de la transition énergétique. Par ailleurs, n’oublions pas les autres dépendances russes comme les métaux ou les ressources alimentaires.

Les mesures de sobriété permettraient très vite de nous affranchir en bonne partie du gaz et du pétrole russe

Il ne faut pas tout opposer : toutes les mesures y compris les plus conventionnelles doivent être étudiées. Elles seront complémentaires et additionnelles pour aller encore plus loin vers notre indépendance envers les énergies fossiles.

Le « nous sommes en guerre » d’Emmanuel Macron avait marqué les esprits au début de la crise sanitaire. Et pourtant, dans ce contexte de guerre en Ukraine, pas besoin de « quoi qu’il en coûte » : généralement, les mesures de sobriété et d’efficacité énergétique nécessitent peu de financements et/ou s’autofinancent quasiment. Elles génèrent même souvent des revenus supplémentaires aux ménages à plus ou moins court terme, à prix constant de l’énergie. [5]

Cela demande évidemment un effort pour changer nos habitudes, mais la crise sanitaire ne nous a-t-elle pas démontré que nous en étions capables ? Ne sommes-nous pas en période de guerre ? Que diraient nos grands-parents en repensant au rationnement alimentaire lors de la Seconde Guerre Mondiale ? Probablement qu’il vaut mieux une sobriété choisie collectivement que subie.

——–

commentaires

COMMENTAIRES

  • Seul le prix élevé des combustibles fossiles en fera diminuer l’usage.
    Le pouvoir d’achat est la première préoccupation de la grande majorité des Français.
    N’oubliez pas que l’on est encore dans un paradigme consumériste dans lequel il n’y a jamais eu autant de publicité qu’aujourd’hui (véritable invasion partout sur les routes, dans les gares etc).
    Parmi les différents candidats, cela a été en partie la course à celui ou celle qui proposera les prix les moins chers pour le carburant !
    La « pédagogie douce » ne fonctionne pas. Il faut choquer les gens et les obliger, mais avant tout changer de paradigme.
    Dire que le paradigme actuel est complètement débile par rapport à l’évolution des choses.

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    • Tout à fait, Marc.
      L’écologie douce n’existe pas, en particulier en ce qui concerne l’énergie.
      L’État a besoin d’énormément de finances pour vivre et rembourser la dette, et les Français, d’une façon ou d’une autre, doivent payer des impôts en conséquence.
      Et quant à mettre les impôts quelque part, autant les mettre au bon endroit, motivant pour économiser le carburant.
      Et ceci n’a, en fait, rien à voir avec le niveau de vie, rien à voir avec le poids des impôts, juste à voir avec une politique incitative pour le bien commun.
      Proposer de baisser les taxes sur les carburants est juste irresponsable, et juste prendre les gents pour des cons.

      Répondre
  • La « pédagogie douce » ne fonctionne pas. Il faut choquer les gens et les obliger !
    Pour ma part mon auto (essence) a parcourue environ 16000km en 4 ans ! et j’ai fait environ 12000 km en vélo non électrique pendant ce même laps de temps.
    J’ai tjrs provoqué pour faire avancer les choses et parfois faire réfléchir mais c’est le plus difficile car la plus part il restent sur leur trajectoire .
    Attention! Les « sans dents » qui travaillent pour pas grand chose ont besoin de leur auto pour aller bosser. Ils méritent aussi qu’on pense à eux et qu’on les respecte.

    Répondre
  • Les « sans dents » sont les premiers à devoir s’organiser différemment, en essayant notamment d’avoir un logement près de leur travail. Je pense que pour eux, une voiture par couple au lieu de deux va nécessairement redevenir la norme.
    Ils peuvent bien voter « Marine », mais c’est pas elle, ni aucun autre politicien, qui va reconstituer les stocks de pétrole mondial.
    Les ENR sont mal utilisées en France (mauvaise répartition de l’éolien, PV sans programme de STEP associé), le nucléaire est très en retard dans son renouvellement, les incertitudes sont importantes sur l’avenir à LT des ENR (au niveau du coût) et du nucléaire (au niveau des RNR surgénérateurs), la France va subir une falaise de 4 GW de perte de nucléaire par an pendant 10 ans.
    L’heure est à une autre organisation et un autre paradigme, pas forcément plus malheureux que de se noyer dans le consumérisme, la télé et les réseaux sociaux.

    Répondre
  • On voit bien que vs n’avez jamais discuté avec les « sans dents » et votre  » argon » élitiste leur passe largement au dessus de la tête.
    On ne peut faire passer la transition énergétique contre le peuple de base autrement on va vers la révolution !
    Ayant manager des personnes de tous les niveaux, j’ai toujours eu de la « tendresse » pour les gens d’en bas qui ont un cœur gros comme çà à contrario des élites qui affichent leur cœur (de pierre) en bandoulière.

    Répondre
  • Quelle est donc votre proposition de solution à l’égard des catégories populaires ??
    (mis à part relancer massivement le nucléaire, ce qui n’aura qu’un effet à MT/LT)

    Répondre
    • marc de relancer le nucléaire ça nous enfoncerait toujours plus dans la pollution et les déchets ultimes alors que l’on peut faire beaucoup mieux, sans dangers , sans déchets , plus vite pour beaucoup moins cher avec les ENR ..dans tous les cas on parle d’une énergie polluante à tous les stades, qui fait des ravages sur la faune , la flore et l’etre humain , très chère qui n’aurait jamais du exister et qui est déjà condamne économiquement …

      Répondre
  • ça prouve que c’est bien les principes Negawatt qui nous sortent de la .. et c’est bien notre approche des transports qui est à revoir complètement

    Répondre
  • Les sans dents se foutent du nucléaire comme des énergies renouvelables, ils vivent en tirant le diable par la queue chaque jour que Dieu fait..
    Ils sont comme les 3/4 des français ignares dans le domaine des énergies. Ils ont quelques souvenirs scolaires quelque peu orientés.. Ce ne sont ni les politiques, ni les médias qui les feront progresser car ils sont aussi incompétents et en plus les gens d’en bas ne les croient plus !
    La situation est bloquée et il faudra beaucoup de temps (1 à 2 décennies) pour que cela change. La preuve, c’est la puérilité et l’hystérisation de la campagne présidentielle qui se limite maintenant à la diabolisation d’un camp. Ce qui permet d’évacuer tout débat et bilan sur des sujets qui auraient pu peut-être instruire certains !
    Pour l’instant au niveau énergie je pense qu’il faut mettre le paquet pour réparer les tuyauteries corrodées des réacteurs affectés, continuer les maintenances programmés (décennales, grand carénage). Il y a du boulot pour 5 à 10 ans.
    Pendant ce temps, d’une part construire de nouveaux réacteurs en quantité suffisante en allant chercher s’il le faut des « réservistes » et ou des aides extérieures., D’autre part implanter et orienter le renouvelable vers des électrolyseurs afin de produire et stocker de l’H² nécessaire à l’industrie et à la réindustrialisation. La construction et la rénovation de réacteurs est un marche pied vers la réindus.de la France. On fait trop la part belle aux métiers de l’instantanée, ce qui affaiblit les métiers de la technique et des sciences.

    Répondre
    • Michel DUBUS mais pourquoi voulez vous que la France s’enfonce toujours plus dans la pollution et la production de déchets ultimes alors que l’on peut faire beaucoup mieux , plus vite , proprement , sans dangers , sans déchets pour beaucoup moins cher avec las ENR comme le fait déjà le monde entier et que c’est Urgent …

      Répondre
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