Bornes de recharge électrique : ne sacrifions pas la qualité à la quantité !

Cet article, initialement publié dans la newsletter Décryptage Mobilité du site Carbone 4, a été rédigé par Stéphane Amant (Senior Manager) et Nicolas Meunier (Consultant).

La fée électricité sera-t-elle le remède miracle pour faire redémarrer le secteur automobile après la crise ? Si les annonces font la part belle aux voitures hybrides et électriques à batteries, intéressons-nous sur un point particulier du plan de relance automobile : l’accélération du déploiement des bornes de recharges, avec un objectif de 100 000 points de recharge publics en France d’ici 2021, contre 2022 initialement (une borne proposant en général 2 points de recharge, parfois plus) [1] .

A noter que le nombre actuel avoisine les 30 000 points [2] . Cette mesure répond à un besoin évident : celui de faciliter l’approvisionnement énergétique de véhicules à moins long rayon d’action que les voitures thermiques, afin de rassurer les automobilistes quant à l’adoption de l’électromobilité.

Le nombre de bornes déployées a le mérite de symboliser l’accélération du virage électrique pris par le gouvernement ; pour autant ce n’est pas l’alpha et l’oméga pour répondre au besoin des e-automobilistes.

En effet, autant que leur quantité dans l’absolu, la localisation des bornes de recharges est un sujet primordial, certains endroits étant plus stratégiques que d’autres de ce point de vue-là (ex : parkings publics, enseignes marchandes, proximité des commerces ou des lieux de restauration, lieux touristiques, aires d’autoroutes, etc.). Là-dessus on peut s’appuyer sur les retours d’expériences des départements et régions qui ont joué un rôle précurseur pour créer un maillage optimal à défaut de faire la course à la densité.

D’autre part, il faut bien analyser quel type de bornes de recharge doit être installé.

Changement de paradigme

Si la tentation est grande de vouloir le plus possible de bornes de recharge rapides (de 50 kW à 120 kW pour les superchargeurs Tesla) et ultra-rapides (puissance supérieure à 150 kW), ce n’est pas toujours nécessaire, et il vaut mieux panacher en fonction des situations (recharge plus rapide sur autoroute, recharge lente sur la voie publique dans les zones urbaines, recharges accélérées – i.e. entre lent et rapide – dans les zones touristiques, sur les parkings de centres commerciaux ou les lieux de passage).

Cela permet de limiter la puissance appelée sur le réseau, de préserver par ailleurs la durée de vie des batteries (les recharges rapides soumettant les batteries à des températures et résistances très fortes) [3] , et aussi et surtout de maximiser l’impact de l’investissement public en matière de réseau de recharge.

Pour une partie importante des automobilistes, l’adoption de la mobilité électrique ne peut s’envisager que s’il est possible de conserver les mêmes usages avec une voiture électrique qu’avec une voiture thermique (« le couteau suisse »).

Or, l’électrification des véhicules n’est pas seulement une évolution technologique, mais aussi un changement de paradigme sur notre rapport à la mobilité individuelle. Ainsi, lorsqu’on parle d’adaptation, il ne s’agit pas simplement du réseau mais aussi de comportement en fonction des besoins réels de mobilité individuelle des personnes.

Ne pas renchérir le coût de l’électromobilité

Ceci étant dit, en pratique aujourd’hui pour les automobilistes, ce qui s’avère le plus contraignant pour la mobilité électrique reste la longue distance bien qu’elle ne représente pour l’essentiel d’entre eux qu’une faible fraction de leurs déplacements.

Il y a là un enjeu d’expérience utilisateur crucial pour la démocratisation du véhicule électrique.

Mais si le véhicule doit être perpétuellement disponible et rechargeable en quelques minutes, les services de recharge sur bornes devront être monnayés au prix fort, au détriment de la diffusion de l’électromobilité, car il faudra installer certes beaucoup plus de bornes, mais surtout bien plus puissantes et rapides, avec des contraintes associées en termes de foncier et de renforcement du réseau électrique.

De notre point de vue, une bonne utilisation de l’argent public doit viser à ne pas renchérir le coût de l’électromobilité et c’est pourquoi tous les œufs ne doivent pas être mis dans le même panier de la charge rapide et ultra-rapide.

S’il est certes important de renforcer cette infrastructure-là, il ne faut pas négliger pour autant les voies alternatives existantes pour la mobilité individuelle longue-distance, qui n’entraveraient pas la progression de l’électromobilité, au contraire :

  • considérer les alternatives comme les autres modes (par ex : le train), ou la location ponctuelle d’une voiture thermique (par ex : hybride rechargeable ou au bioGNV) ;
  • accepter de passer un peu plus de temps sur la route (du fait des temps de recharge) pour réduire les émissions de CO2 liées à sa mobilité, ce qui concrètement traduit sa contribution volontaire à la lutte contre le changement climatique en minutes de trajet supplémentaires ;
  • développer des solutions d’électromobilité conçues spécifiquement pour la longue distance, comme par exemple les services de « range extenders » qui peuvent prendre la forme de batteries déjà chargées, à la location pour les grands voyages, sous forme de petites remorques, et qui permettent de gagner l’énergie nécessaire pour parcourir plusieurs centaines de kilomètres supplémentaires [4] . C’est une solution alternative adaptée à l’usage peu fréquent du véhicule électrique personnel sur les longues distances et qui peut se révéler très vertueuse sur le plan environnemental ;
  • à plus long terme, le véhicule électrique à hydrogène (produit de manière décarbonée) dont les performances en matière d’autonomie seront comparables au véhicule thermique actuel, mais dont la zone de pertinence technico-économique est plutôt orientée vers les usages très intensifs (à cause du coût notamment)

Sans présager des intentions du gouvernement quant à la manière de développer les infrastructures de recharge, l’intérêt de faire preuve de finesse et de s’adapter au cas par cas peut supporter l’idée de plans plus locaux que le niveau national.

Est-ce que la décentralisation évoquée par le Président de la République récemment pourrait aussi concerner les plans de déploiement des bornes électriques ?

 

[1]  Ministère de l’Économie
[2]  Avere France
[3]  University of California
[4]  EP Tender

commentaires

COMMENTAIRES

  • Sur les bornes à 22kW, il serait bon d’adopter des bornes CCS/type 2 AC/Chademo (si ça reste obligatoire).
    Ca évitera l’avantage compétitif indu donné à la Zoé qui est une des seules à supporter l’AC à 22kW.
    Même si la Zoe représente encore 40% des ventes, elle aura tendance à baisser. Or un service de bornes publiques doit servir le maximum du parc.

    Répondre
  • Entièrement d’accord avec Lionel.
    Je développe un peu ce qui m’a également sauté au yeux. Quelqu’un aura peut-être une réponse…

    On peut observer d’une part, que sur la trentaine de véhicule « léger » 100% électriques actuels, seuls trois sont équipés de chargeur de 22kW (Renault Zoé, Twingo EZ, Nissan Ariya). Autrement-dit, uniquement les voitures du groupe Renault-Nissan.
    D’autre part, tous les autres modèles, très haut de gamme compris, ne charge pas au-delà de 11kW (exception faite de certains modèles Tesla.

    La charge « accélérée » en AC triphasé à 22kW est très intéressante. En une petite heure on récupère suffisamment de km pour se dépanner ou obtenir un boost pour aller à une destination. C’est un temps relativement rapide lorsqu’aucun chargeur rapide n’existe sur le trajet. D’ailleurs Renault ne cache pas le gros avantage compétitif que cela leur apporte (https://www.automobile-propre.com/breves/la-renault-zoe-2-conservera-son-chargeur-ac-22-kw/ et https://easyelectriclife.groupe.renault.com/fr/au-quotidien/recharge/nouvelle-zoe-flexibilite-recharge-sans-equivalent/)

    « La bonne utilisation de l’argent publique », à mon sens, ne devrait surtout pas être gouverné par un calcul de probabilité hors-sol. Il faut en effet comprendre qu’un « usager électrique », ne peut pas toujours parfaitement prévoir ses besoins d’énergie (détour imprévu, ou plus habituellement, indisponibilité d’une borne rapide à l’endroit prévu, itinérant ne pouvant charger tranquillement chez soi tous les jours, etc.). Pouvoir recharger, relativement vite, et à peu près partout, (comme en véhicule thermique), est l’intérêt du véhicule individuel.

    Posséder un véhicule électrique, pour espérer contribuer à la décarbonation, est aujourd’hui un acte couteux et qui nécessite un certain apprentissage (compréhension des applications et de la bonne estimation de la capacités de la batterie en fonction des conditions de route, surveillance/programmation de la charge, achat des badges, changement de comportement vis à vis des autres usagers, gestion des incivilités, etc.). Il faut également comprendre que « rater » une borne prévue sur son parcours peut avoir de grosses conséquences : annulation de son/ses rendez-vous, devoir rester une demi-journée à une journée de plus que prévue (car seul une charge lente est disponible), et tout un tas d’autres conséquences néfastes en cascade qui peuvent nuire à la productivité.

    De plus, un véhicule ne pouvant charger qu’à 7kW ou 11kW restera deux à trois plus longtemps qu’une voiture Renault-Nissan (qui charge à 22kW). En multipliant le temps d’encombrement des bornes par 2 ou par 3, cela devrait induire mécaniquement une réduction de la disponibilité des dites-borne d’autant, et paradoxalement, faire attendre plus longtemps ceux qui peuvent charger plus vite. Sans évoquer les périodes de forte affluence (l’été par exemple, où l’engorgement aux bornes prend des proportions plus inquiétantes).

    Un mot sur ce qui frappe tous les nouveaux usagers également : la grande diversité des systèmes informatisés qui soutiennent les bornes actuelles. Ils participent à une dégradation réelle de l’expérience utilisateur et tout simplement de la productivité. Les premières fois, il faut compter environ 20mn pour réussir à lancer la charge, et parfois autant pour l’arrêter (lorsque la « hotline » répond vite). Avec de l’habitude, on ajoute « seulement » 10mn sur le temps de recharge, pour parer à toute excentricité de l’état de la borne, ou de la logique de fonctionnement.

    Si l’on est rationnel, le choix d’une voiture électrique aujourd’hui en France ne devrait être qu’une Tesla (pour son réseau de borne) ou une Renault (aussi pour le réseau de borne actuel, de 22kW).

    Sachant que le réseau de borne Tesla est pour le moment fermé aux véhicules de la marque éponyme, comment a-t-on pu au final dépenser l’argent public pour installer des bornes qui ne profitent qu’à Renault (de puissance de 22kW), et ne servent donc qu’à minima l’intérêt commun ?
    Je paraphrase Lionel mais, en effet : cet argent n’aurait-il pas été, et ne serait-il pas à l’avenir, mieux dépensé en augmentant et optimisant les bornes rapides (> 50kW), dont toutes les voitures sont équipées ?

    Répondre
  • Il y a quand même un bémol, l’objectif principal est la réduction des GES, hors les statistiques nationales sur le sujet donnent que le parcours moyen d’un véhicule est de 40km/ jour.. parfois l’autoroute est empruntée aussi . Ce qui voudrait dire que.
    dans un premier temps, et pour des raisons aussi de santé publique en agglomérations ou proche, le 7kw (en prenant 15kwh pour 100km) est suffisant pour répondre à plus de 50% à condition que les bornes publiques ou privées ou personnelles soient en nombre suffisant. Quelque chose à creuser de ce point de vue

    Répondre
    • En accord avec vous @bjd : l’objectif de réduction des gaz à effet de serre parait la seule ligne d’horizon à ne pas perdre de vue. Sans cet indicateur je ne pourrais plus prendre la moindre décision sur la marche à suivre pour réduire mon impact, dans une compromission d’intérêt commun et de problématiques personnelles. J’essai d’être dans les clous de réduction de 60% de mes émissions d’ici 2030, et vers une neutralité d’ici 2050. Cette progression ne peut se faire sans l’ensemble des acteurs économiques (ex : je ne suis pas capable de construire moi-même mon/mes engins de transport, qui plus est via un process 100% durable).
      Je considère donc que la production d’énergie (électrique notamment) va être de plus en plus « verte ». Chargeur lent ou rapide ne me semble donc pas être la clé du débat. Il existe déjà des opérateurs fournissant des bornes utilisant une production d’électricité 100% renouvelable. Cela ne pourrait-il pas être dans le cahier des charges de tout opérateur d’ailleurs ?
      Même si je reconnais certaines vertus au calcul statistique, le kilométrage moyen ne me convient pas. Il ne correspond pas à mon usage, qui est très élastique (de 10km à plusieurs centaines de km), et non régulier. Et je ne suis pas un cas isolé. Répondre à 50% des usages, c’est aussi sacrifier 50% des « autres » usages, qui deviennent dès lors un vrai casse-tête, quand cela ne se fini pas par des gros problèmes. C’est ce problème, qui est loin d’être à la marge, qu’il faut adresser.
      Il me paraît important d’établir une infrastructure adaptée à l’usage d’un véhicule particulier, ou alors il faut changer radicalement son emploi. Ce serait dommage de mon point de vue mais c’est une position à vraiment considérer également.

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