Russie/sanctions économiques : après les réserves de change, le pétrole et le gaz ?

Eclairage signé Christian de Perthuis, professeur d’université

Le blog de Christian de Perthuis, c’est ici : https://christiandeperthuis.fr/blog/

L’aggravation du conflit ukrainien a provoqué une nouvelle escalade des prix énergétiques qui profite à la Russie dont les exportations de gaz et de pétrole n’ont pas été visées par les sanctions économiques. Élargir les sanctions au secteur énergétique impliquerait un brusque freinage de la demande d’énergie par une action concertée de l’ensemble des pays développés. Sans une telle action, l’Europe restera dans une posture défensive face à Moscou et tout élargissement des sanctions se retournerait vite contre ses promoteurs.

 

Avec les mesures prises pour isoler la Banque centrale et restreindre l’accès des banques russes au réseau Swift, les sanctions économiques contre la Russie ont monté d’un cran. Elles réduisent la capacité d’utilisation du matelas des réserves de change, ce qui a provoqué un décrochement du rouble sur le marché des changes, et vont perturber l’ensemble des transactions commerciales du pays.

La vulnérabilité de l’économie russe

Gasprom Bank et Sverbank par lesquelles transite la majorité des règlements des exportations d’énergie n’ont pas été déconnectées de Swift. Le secteur de l’énergie reste largement épargné par les sanctions.  Il constitue pourtant le poumon économique et financier de la Russie qui est le premier exportateur mondial de gaz et de pétrole (si on inclut les condensats et les produits pétroliers transformés).

Le revers de la médaille est que l’économie russe est très peu diversifiée. Les produits énergétiques (pétrole et dérivés, gaz, charbon, électricité) représentent près des deux tiers des exportations du pays et abondent 40 % de son budget fédéral. Si on agissait directement sur ces recettes, on affecterait bien plus lourdement les capacités économiques et guerrières du pays.

Dans le cadre des structures économiques et énergétiques actuelles, une mesure de rétorsion visant ces exportations ne peut pas fonctionner. Pire, elle pourrait se retourner contre ses promoteurs en renforçant la cible initialement visée.

Une arme à double tranchant

Certes, les pays européens, de loin les premiers clients de la Russie, peuvent freiner, voire interrompre leurs achats, pour amputer une partie des livraisons physiques de la Russie. S’ils le font, ils ne trouveront pas de substituts à court terme sur le marché mondial, du fait des limites de capacité sur le transport du gaz et les produits pétroliers. Les prix des hydrocarbures risquent alors de durablement s’envoler et la sanction de se retourner contre ses promoteurs.

L’Union Européenne qui a importé un peu moins de 40% de son gaz de Russie en 2021 serait la première pénalisée. La Russie pourrait compenser la baisse du volume des livraisons à l’Ouest par la meilleure valorisation de ses hydrocarbures exportés vers les autres pays. Elle serait sans doute gagnante car les mouvements de prix sont, dans ce genre de situation, bien plus marqués que ceux des quantités. La grande incertitude dans un tel scénario serait l’attitude des autres clients de gaz russe, à commencer par la Chine qui dispose cependant d’une capacité physique limitée d’accroissement de ses achats.

En cas d’enlisement du conflit, les occidentaux craignent du reste que cette arme soit maniée par Poutine. Cette crainte est partagée par les opérateurs sur le marché européen du gaz qui connait de fortes tensions. L’arme a déjà été testée en 2021 avec le freinage des expéditions de gaz vers l’Union Européenne à partir de l’été.

Cela a eu un double effet : l’envolée du prix du gaz européen et la faiblesse des stocks pour passer l’hiver. De façon préventive, le stratège du Kremlin a pris soin d’accroître la vulnérabilité de l’Europe de l’Ouest avant même de franchir les frontières ukrainiennes. S’il renouvèle l’opération en 2022, l’Europe de l’Ouest affrontera l’hiver prochain avec des réserves au plus bas.

De l’urgence d’une action concertée pour freiner la demande d’énergie

Les Européens peuvent-ils se prémunir contre un tel risque ? Le centre d’analyse Bruegel a effectué les premières simulations sur le gaz. Le message est limpide. Pour faire face à toutes les situations, l’Europe doit agir simultanément sur l’offre et la demande. Côté offre, il s’agit de déployer un ensemble de mesures pour trouver à court terme des alternatives au gaz importé.

Faute de temps pour réaliser les investissements requis, cela ne suffit pas. Pour se couvrir efficacement, il faudrait simultanément agir sur la demande en économisant ou rationnant l’énergie. Le plan proposéplus récemment par l’Agence Internationale de l’Energie pour réduire la dépendance gazière de l’Europe propose également des mesures agissant à la fois sur l’offre et la demande.

Compte tenu des multiples interconnexions entre les marchés énergétiques, une telle stratégie porterait bien plus rapidement ses fruits si l’action sur la demande était partagée par l’ensemble des pays développés et portait sur l’ensemble des consommations énergétiques. Les gros importateurs pourraient sans délais modérer leurs achats via un effort d’économie d’énergie (Japon, Corée du Sud). Les exportateurs pourraient libérer des capacités d’exportation en réduisant leur consommation domestique (États-Unis, Canada, Australie).

Une telle action pourrait être organisée sous l’égide l’Agence Internationale de l’Énergie qui centralise les informations sur les flux énergétiques et préconise par ailleurs de telles actions dans tous ses scénarios de décarbonation au nom de l’action climatique. Il ne s’agirait pas de distribuer des cartes de rationnement à l’ensemble des consommateurs, mais de s’accorder sur des objectifs à court terme de réduction de la demande finale au sein des grands pays et de mettre en place un dispositif de suivi. Chaque pays resterait ensuite libre de la façon dont il mobiliserait ou contraindrait ses citoyens et ses entreprises pour réduire au moindre coût sa demande énergétique  finale.

Irréaliste, un tel contre-choc énergétique organisé du côté de la demande ? Si on veut affaiblir la capacité économique de la Russie, c’est pourtant l’arme qu’il nous faut mettre en place sans délai avant qu’elle ne se retourne contre nous.

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Lire l’étude du centre Bruegel : Can Europe survive painlessly without Russian gas?

Lire les analyses de l’Agence Internationale de l’Energie : https://www.iea.org/topics/russia-s-war-on-ukraine

commentaires

COMMENTAIRES

  • Le graphe d’évolution du prix du gaz de 2010 à 2022 permet de voir le « creux » des années 2014-2016, période où Ségolène Royal sévissait comme ministre de l’environnement et de l’Energie.
    Par pur clientélisme, elle a voulu plaire à ses électeurs de 2017 en baissant les tarifs de l’électricité. Ceux-ci étaient alors parmi les plus bas d’Europe mais avaient tendance à remonter légèrement en raison de la maintenance à mi vie des centrales nucléaires (« le grand carénage »).Elle a donc modifié le décrit qui fixe le tarif su kWh en l' »asservissant » au prix du marché de l’électricité qui en Europe suit de près celui du gaz. Et comme le gaz baissait, en raison du « boom » du gaz de schiste américain…
    Mais notre stratège socialiste n’a pas prévu actuelle l’envolée des prix du gaz que le graphe fait bien apparaître, et qui devrait faire augmenter celui du kWh électrique de 44 % !!!
    D’où la mise en place d’un « bouclier tarifaire » par le gouvernement actuelle, en faisant payer à EDF seule le prix de ce bouclier !
    La politique française est non seulement stupide, mais elle en devient absurde et inefficace : d’où la désindustrialisation du pays. Prochaine entreprise sur la liste : EDF.

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