Réseaux électriques et changement climatique : une menace inévitable

Article signé Thibault Laconde, fondateur de Callendar, start-up spécialisée dans l’évaluation des risques liés au changement climatique.

Lorsque l’on pense au système électrique, on pense trop souvent seulement à la production. Mais produire de l’électricité serait bien inutile sans le vaste réseau qui permet ensuite de l’acheminer jusqu’au consommateur.

Lignes HTB (haute tension), HTA (moyenne tension) et basse tension, postes sources, postes de distribution, etc. maillent le territoire pour amener le courant jusqu’à vous et jusqu’aux services (télécommunication, eau, commerces…) dont vous dépendez.

Cette immense infrastructure est sans aucun doute l’une des plus vitale pour les sociétés modernes.

La chaleur rend les « autoroutes de l’électricité » moins efficaces

Quand on parle nucléaire, éolien ou solaire, le premier problème pour le réseau électrique est lié aux règles physiques élémentaires qui régissent son fonctionnement.

Pour acheminer de grandes quantité d’électricité, le réseau de transport, opéré en France par RTE, utilise des câbles en cuivre ou en aluminium qui ont la propriété de laisser passer assez facilement les électrons. Protégés par des isolants, ces câbles conducteurs formes les lignes à haute tension qui maillent le territoire : on parle parfois « d’autoroute de l’électricité ».

Mais comme toutes les autoroutes, il peut arriver que celles-ci bouchonnent. Le passage de l’électricité fait chauffer les lignes électriques et pour éviter d’atteindre des températures trop élevées qui endommageraient les conducteurs et les isolants, le courant admissible sur une ligne, son débit si vous voulez, est limité.

Une température ambiante plus élevée limite la capacité des lignes aériennes à se refroidir par convection et rayonnement.

En cas de chaleur durable, le sol va aussi se réchauffer ce qui va favoriser l’échauffement des lignes souterraines. Le relation entre la température ambiante et le courant admissible sur une ligne est un peu compliquée – les plus motivés peuvent la trouver ici – mais retenez que par temps chaud, la température d’une ligne électrique augmente plus vite ce qui oblige à réduire le courant maximum qu’elle peut transporter.

La température a d’ailleurs un effet comparable sur les installations de transformation : la capacité maximale des postes sources et des transformateurs est réduite de l’ordre de 0.7% par degré supplémentaire.

Des réseaux sous-dimensionnés pour faire face à la hausse de la température

Cette réduction de capacité n’est pas négligeable : en Californie, par exemple, l’augmentation de température maximale attendue à la fin du siècle (+5°C) nécessiterait de surdimensionner les lignes électriques de 7 à 8% par rapport à leur niveau actuel et les installations de transformations de 1 à 3.6%.

Autrement dit, si le réseau est exposé à des températures maximales supérieures à celles pour lesquelles il a été conçu, il risque de ne pas être en mesure d’acheminer toute l’électricité nécessaire des producteurs vers les consommateurs.

Si c’est le cas, des délestages peuvent devenir inévitables même si les capacités de production disponibles permettent en théorie de répondre à la demande.

Ce risque peut augmenter en se combinant à d’autres effets des vagues de chaleurs sur le système électrique. D’une part, la chaleur fait augmenter la consommation d’électricité et donc le courant que le réseau doit transporter.

En France, cette augmentation est aujourd’hui de l’ordre de 500MW par degré ce qui reste modéré compte-tenu de la consommation réduite de la période estivale. Mais cette thermosensibilité de la consommation augmenterait si les clients s’équipaient en climatiseur – un autre effet possible du réchauffement.

D’autre part, les vagues de chaleur sont associé à une baisse de la disponibilité du parc nucléaire, qui fournit l’essentiel de l’électricité française, en particulier dans le quart sud-est. Pour compenser ces indisponibilités, il peut être nécessaire d’acheminer de l’électricité depuis les autres régions ce qui contribue à mettre le réseau sous pression.

La combinaison de ces trois phénomènes – baisse des capacité de transport, indisponibilité de la production, hausse de la consommation – a déjà amené le réseau électrique français très proche de son point de rupturependant la canicule de 2003.

Est-ce que cette situation peut se reproduire compte-tenu de l’augmentation des températures mais aussi des progrès qui ont été réalisés ? Et à quel horizon ? A ma connaissance il n’existe pas de réponse à l’heure actuelle.

Un risque d’incident accru avec les températures extrêmes

Au-delà du courant admissible, le dimensionnement des infrastructures électriques fait appel à de très nombreuses hypothèses de température. Ces hypothèses ont souvent été adoptées il y a quelques décennies à une époque où elles semblaient représenter une marge de sécurité suffisante. Mais avec le réchauffement du climat cette marge s’est réduite et va continuer à fondre tout au long du XXIe siècle.

Un exemple : pour éviter des coupures et des départs de feu, il faut une hauteur minimale de sécurité entre une ligne électrique et les obstacles qui se trouvent en dessous. Mais à quelle température doit-on calculer cette hauteur de sécurité ?  En effet, les conducteurs s’allongent et se rapprochent du sol avec la chaleur… Pour le réseau moyenne tension, la hauteur de sécurité doit être garantie jusqu’à une température extérieure de 40°C. C’est un seuil qui a été dépassé en de nombreux endroit pendant les vagues de chaleur de juin et juillet 2019.

Poste source

On voit déjà une augmentation du nombre d’incidents sur le réseau électrique pendant les périodes chaudes : en 2003, RTE a constaté un doublement du nombre de court-circuits causés par un contact entre ses lignes et la végétation, la canicule de 2003 a aussi posé des problèmes aux réseaux de distribution enterrés d’Enedis, entraînant des coupures pour près de 240.000 clients en Ile-de-France.

Autre exemple : aux États-Unis, la vague de chaleur de 2006 a entraîné des défaillances de transformateurs et des coupures, y compris un black-out de 8 jours dans le quartiers du Queens à New York (p. 59).

Phénomènes météorologiques extrêmes : des risques inévitables

En France, il y a une peu plus de 100.000 kilomètres de lignes haute-tension supportées par 260 000 pylônes, 4000 postes sources,  plus d’un million de kilomètres de  lignes moyenne et basse tensions et des postes de transformation HT/BT dans tous les quartiers : presque 800.000 !

En fait où que vous soyez, même au plus profond de la diagonale du vide ou sur un sommet des Alpes, vous avez certainement des infrastructure de transport ou de distribution d’électricité pas très loin de vous.

Avec une telle empreinte territoriale, il est évident que le réseau électrique est exposé à tous les risques climatiques qui peuvent se présenter. D’autant que ces infrastructures sont majoritairement à l’air libre : la moitié seulement du réseau de distribution et une toute petite fraction du réseau de transport sont enterrés.

Ces caractéristiques rendent les réseaux électriques particulièrement exposés aux aléas de la météorologiques : vent, givre, éclairs, températures extrêmes… Comme à leurs effets indirects : avalanches, glissements de terrain, inondations, chute d’arbres…

Et le coût de ces événements va bien au-delà du coût de la remise en état du réseau : aux États-Unis, par exemple, les dommages assurés liés à des coupures d’électricité causées par des inondations, des ouragans ou des températures extrêmes ont été évalués entre 20 et 55 milliards de dollars pour l’année 2015.

Ces phénomènes ne sont pas nouveaux et chaque opérateur a appris à gérer ceux qui sont propres au climat dans lequel il opère. Mais avec le changement climatique, leur répartition et leur intensité va évoluer présentant des risques bien différents de ceux anticipés lors de la construction des réseaux et maîtrisés par leurs gestionnaires actuels.
Parmi les menaces qui vont certainement augmenter, on peut citer au moins les épisodes de vents violents et les incendies.

A ce sujet, on se souvient du Camp Fire de 2018 allumé par un incident sur une ligne électrique de PG&E et qui s’est soldé par 88 victimes, 62.000 hectares brûlés et la faillite de l’entreprise.

Il sera très difficile d’éviter ces menaces mais il est possible de réduire la vulnérabilité des infrastructures : lors de l’ouragan Sandy, par exemple, le microréseau de l’Université de New York a pu être déconnecté du reste du système ce qui a permis de maintenir l’essentiel de son alimentation électrique pendant que Manhattan était plongé dans le noir.

Un réseau électrique moderne, moins centralisé, peut devenir une assurance contre les catastrophes climatiques.

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