« Relever le défi de l’hydrogène passe par investir dans le nucléaire et l’hydraulique »
Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Bruno Ladsous et Arnaud Casalis, porte-parole du Cérémé (Cercle d’Étude Réalités Écologiques et Mix Énergétique), pour revenir avec eux sur les principales conclusions du rapport Perspectives de développement de la production et des usages de l’hydrogène décarboné en France.
Le Monde de l’Énergie —Le Cérémé a récemment publié une synthèse sur la place de l’hydrogène dans la stratégie énergétique française. Quels sont les principaux avantages et défauts de ce vecteur énergétique dans le contexte français ?
Bruno Ladsous —L’hydrogène est indispensable pour contribuer à la décarbonation du secteur de l’industrie pour des applications comme la sidérurgie, la chimie ou la production des engrais. Il est aujourd’hui produit essentiellement par la technique du vaporeformage à base de gaz naturel (méthane), une technique fortement émettrice de CO2, à laquelle il n’est pas associé de solutions pertinentes pour capturer et stocker ce dernier, au-delà de quelques réalisations expérimentales.
La France doit donc trouver des solutions de remplacement décarbonées, pérennes et compétitives. La technique alternative essentielle est l’électrolyse de l’eau par une électricité décarbonée, pilotable et disponible en grande quantité, et économiquement compétitive, sachant que l’électricité représente jusqu’à 85% du coût de production complet de l’hydrogène par cette voie.
Arnaud Casalis —Nous avons le privilège d’avoir des barrages et des centrales nucléaires produisant une électricité presque totalement décarbonée, abondante, bon marché et surtout pilotable. En réinvestissant massivement dans le nucléaire et l’hydraulique, la France garantira sa compétitivité économique incluant celle de sa filière hydrogène.
L’électrolyse étant plus chère que le vaporeformage hors capture et stockage du CO2, relever le défi de l’hydrogène passe par ce levier : investir dans le nucléaire et l’hydraulique.
Le Monde de l’Énergie —Quelles sont, aujourd’hui, les différences de coûts entre l’hydrogène décarboné et l’hydrogène produit par des combustibles fossiles ? Dans quelle mesure le développement d’une filière industrielle d’électrolyseurs pourrait-elle réduire le coût de l’hydrogène décarboné ?
Bruno Ladsous —Produire de l’hydrogène par vaporeformage représente un coût compris entre 1 et 2,5 €/kg, en admettant que la hausse des prix du gaz soit durablement maîtrisée. Mais pour entrer dans l’objectif de décarboner l’industrie il faut y ajouter les coûts de capture et stockage du CO2, soit 1 €/kg au minimum.
Le Cérémé a publié une étude sur les coûts de production complets de l’hydrogène (LCOH) par des électrolyseurs de type alcalin, les plus répandus et offrant les meilleures caractéristiques techniques en efficacité énergétique et en flexibilité d’exploitation. Le coût de cet hydrogène serait de 3,90 €/kg avec une électricité d’origine 100% nouveau nucléaire autrement dit les EPR2 contre 5,4 €/kg avec une électricité éolienne et 6,5 €/Kg avec une électricité photovoltaïque au sol.
Les opérateurs d’hydrogène optimiseront leurs coûts d’une part en couplant les électrolyseurs au réseau afin de produire fortement en période de basse consommation électrique associée à des prix faibles de l’électricité, d’autre part en concluant des contrats d’achat d’électricité à long terme. Ils veilleront à diminuer leurs coûts de transport par des installations situées à proximité à la fois des centrales nucléaires et de leurs clients industriels. Pour produire un hydrogène parfaitement décarboné à moindre coût, il faut donc adosser la filière hydrogène à notre secteur nucléaire performant et à nos réseaux électriques centralisés.
Le Monde de l’Énergie —L’hydrogène est souvent présenté comme une réponse possible à l’intermittence des « nouveaux renouvelables » (éolien et photovoltaïque). Cela vous semble-t-il techniquement juste ?
Arnaud Casalis —Produire de l’hydrogène à partir d’électricités intermittentes sans recours au réseau public d’électricité est une mauvaise solution au plan économique, compte tenu du niveau élevé de coût des EnR ainsi que des fluctuations de production qui en résulteraient, avec des effets négatifs sur la durée de vie de l’électrolyseur.
Produire de l’hydrogène à partir d’électricités intermittentes renforcées par un recours au réseau public peut avoir du sens pour servir des usages locaux de mobilité tels que livrer des flottes automobiles de proximité. Il s’agira cependant de volumes limités, pour un coût très élevé dont le modèle économique repose sur des subventions durables.
Bruno Ladsous —Il est souvent évoqué un usage possible de l’hydrogène produit à partir de surplus temporaires d’électricités intermittentes : brûler cet hydrogène pour produire de l’électricité, en substitution du gaz naturel aujourd’hui brûlé dans des centrales gaz. Mais ses pertes énergétiques à chaque étape en limitent le rendement technique final à 25 %, avec de nombreux coûts indirects. Ce n’est certainement pas un choix optimal pour le système électrique.
Seule une filière hydrogène adossée à des centrales nucléaires et hydroélectriques peut garantir la pleine efficacité technique et économique des électrolyseurs. Nous estimons que l’hydrogène ne peut pas être considéré comme une réponse structurelle à l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque.
Le Monde de l’Énergie —L’utilisation de l’hydrogène pour stocker de l’électricité peut-il être rentable ?
Bruno Ladsous —L’hydrogène comme solution de stockage temporaire des électricités intermittentes (power-to-gaz-to-power) étant brûlé à titre de biogaz n’est certainement pas un choix optimal. Son rendement technique total est en effet limité à 25 % soit une perte de 75 %. A l’échelle de la planète c’est une solution quelque peu absurde.
Arnaud Casalis —Ensuite, sur le stockage de l’hydrogène même : particulièrement réactif avec l’oxygène, l’hydrogène nécessite des mesures de sécurité complexes, tant dans sa production qu’en stockage puis transport. Ainsi, sa température de liquéfaction est de -253 °C quand celle du gaz naturel est « seulement » de -162 °C, ajoutant à la difficulté, et son stockage, en admettant que soient maîtrisées les technologies à grande échelle, sera dans tous les cas très coûteux.
Sauf à associer en un même lieu production et utilisation de l’hydrogène, il faudra rechercher des solutions de transport appropriées, soit par injection dans des réseaux de gaz existants et compatibles, soit par des modules de transport après liquéfaction, procédé qui génèrera des coûts complémentaires considérables s’agissant de grandes quantités.
Le Monde de l’Énergie —Vous appelez à associer le développement d’une filière d’hydrogène bas carbone et la relance de l’hydraulique et du nucléaire en France. Pour quelles raisons ? Aucun nouveau grand barrage n’étant installable en France, quelles marges existe-t-il sur le nouvel hydraulique ?
Bruno Ladsous —La France bénéficie d’un savoir-faire nucléaire qui assure depuis plus de quarante ans une électricité décarbonée et peu couteuse aux français, ainsi qu’un concours positif régulier à notre balance commerciale.
Concernant l’hydraulique, la France possède un potentiel de développement limité en effet, de l’ordre de +10 % de la puissance installée actuelle, et de + 20% si on y inclut les stations de pompage appelées STEP, qui présentent une utilité majeure pour la sécurité d’approvisionnement et le passage de la pointe de demande en période hivernale.
Arnaud Casalis —Le vrai sujet est en fait celui du statut juridique des barrages, qui produisent une électricité d’appoint essentielle pour équilibrer l’offre et la demande du réseau. Il est primordial que nos barrages restent ce complément indispensable du dispositif car ils l’optimisent.
Mettre en concurrence les concessions actuelles priverait le dispositif d’un vecteur majeur d’équilibrage du réseau, avec des conséquences qui menaceraient l’économie nationale par des prix erratiques et élevés de l’électricité.
Le Monde de l’Énergie —Soutenez-vous le choix du gouvernement français de défendre au niveau européen l’hydrogène issu d’électricité nucléaire pour le rendre équivalent à l’hydrogène « vert », produit par des EnR ?
Arnaud Casalis —Le Cérémé soutient le choix du gouvernement français de défendre dans les instances européennes le fait que l’hydrogène issu de l’électricité nucléaire soit au moins équivalent à l’hydrogène vert. Le nucléaire et l’hydraulique sont les énergies les plus « bas carbone » et sont pénalisées par rapport à des énergies intermittentes dites « vertes ».
Or non seulement les émissions de CO2 intrinsèques à l’éolien et au solaire sont plus élevées mais, dans la mesure où elles sont dépendantes du gaz et du charbon comme en Allemagne, leur bilan écologique est calamiteux : elles ne méritent pas ce qualificatif de « vert ». Il faut que Bruxelles procède à une mise à plat du marché européen de l’électricité qui revienne au bon sens.
COMMENTAIRES
L’hydrogène ne vaut que s’il est produit par de l’énergie gratuite……qui serait perdue s’i elle n’était pas utiliser à cette fin. Ce qui exclu le nucléaire qui ne sera jamais de l’énergie gratuite.
Parce que des énergies aussi fluctuantes que sont l’éolien et le solaire PPV seraient gratuites ? https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2021-12/20211213-S2021-2052-analyse-couts-systeme-production-electrique-France.pdf
surtout pas ..bien au contraire ..pour que l’on s’enfonce toujours plus dans la pollution et la production de déchets ultimes ? .. l’hydrogène oui mais à base d’ENR .. la réalité du terrain une fois de plus https://scontent-mrs2-2.xx.fbcdn.net/v/t39.30808-6/401146245_1958646534529923_3016122776251191405_n.jpg?_nc_cat=107&ccb=1-7&_nc_sid=5f2048&_nc_ohc=MR9goJQ1AkQAX_SxGnj&_nc_ht=scontent-mrs2-2.xx&oh=00_AfBCWAeczmu5xR7pCGa7sOSyPTpaK6BiJa_Wp16YNtD5TQ&oe=655A323A