Recherches fondamentales sur océanographie et hydrologie : retombées pour les EMr

Article de notre partenaire Énergies de la mer

Interview de Jacques Verron, directeur de Recherche CNRS émérite, président d’Ocean Next qui revient sur la recherche appliquée et notamment sur les futurs modes de propulsion et les Énergies marines renouvelables.

 

Les données satellitaires peuvent-être elles exploitées par exemple pour les énergies renouvelables de la mer ou des fleuves, ou encore à l’amélioration des parcours des navires de marines marchandes ?

JV – La réponse est globalement et sans hésitation : oui ! Les données spatiales sont d’ores et déjà (ou seront ou doivent être) d’une grande utilité pour toutes sortes d’application dont le maritime commercial ou les EMR. Le degré de développement est gradué suivant les domaines et ouvert à d’autres applications dont certaines sont très concrètes telles que la question des algues Sargasses aux Antilles ou celle de la dérive de plastiques.

Les données spatiales sont un « carburant » essentiel pour l’océanographie opérationnelle. Cette océanographie opérationnelle telle que celle portée par Mercator Océan à Toulouse (et qui est par ailleurs investi par l’Europe d’un leadership à cet égard dans le cadre du programme CMEMS) offre déjà des produits utilisables pour le routage des bateaux.

Pour la petite histoire, il faut savoir qu’une des premières applications au tout début de Mercator Océan a été d’aider Maud Fontenoy lors de sa traversée de l’océan Atlantique Nord à la rame en 2003.  Mercator a proposé un routage optimisé qui a permis à Maud Fontenoy de ménager au mieux ses efforts en suivant le détail de la structure des courants qui, sont extrêmement turbulents et tourbillonnaires. Mercator Océan propose aujourd’hui beaucoup de produits sur catalogue ou sur mesure qui informent sur l’état physique et biogéochimique des océans.

Ces produits couvrent de longues périodes temporelles historiques, du temps réel pour les produits d’observation et de la prévision à quelques jours pour les produits issus de modèles. Ocean Next travaille notamment pour le programme CMEMS –  Copernicus Marine Environment Monitoring Service – à l’évaluation de l’apport potentiel des outils de l’intelligence artificielle aux méthodes d’assimilation de données.

Les données spatiales permettent aussi bien sûr d’observer les états de mer et diverses conditions météorologiques telles que le vent et les vagues à la surface de l’océan et il y a évidemment un vrai couplage entre océanographie opérationnelle et météorologie.

La hauteur significative des vagues (SWH) obtenue par altimétrie spatiale est par exemple assimilée dans les modèles opérationnels de Météo France et contribue largement à la qualité des prévisions. Des satellites récemment lancé comme CFOSAT (Franco-Chinois) ou en projet comme SKIM vont clairement dans ce type de direction.

Les navires du futur à propulsion vélique sont directement concernés pour tous ces développements prometteurs.

Vos données sont-elles opérationnelles pour les hydroliennes fluviales et estuariennes qui sont appelées à se développer en France et à l’échelle de la planète, comme nous l’avons vu avec HydroQuest ou Guinard…

JV – Le développement d’une hydrologie spatiale opérationnelle en est à ses prémisses mais il y a une vraie ambition à cet égard afin de produire en temps quasi-réel des paramètres hydrologiques (tels que les débits des fleuves d’application évidente pour les installations hydroélectriques mais aussi pour la gestion des risques tels que les inondations et pour bien d’autres usages) sur l’ensemble de la planète.

Ocean Next est totalement engagé dans cette voie et travaille notamment sur la transformation des données satellitaires brutes, surtout altimétriques, en produits de cette nature. Il ne fait pas de doute qu’à brève échéance ceci va intéresser les opérateurs d’énergie renouvelable fluviale et estuarienne surtout dans les régions où peu de données in situ existent et où l’apport du spatial est crucial.

Est-ce adaptable pour les hydroliennes marines … ?

JV – Les EMR sont directement concernées par cela. Les simulations numériques réalistes à haute résolution (telles que celles que nous réalisons à Ocean Next) sont des outils directement utilisables pour contribuer à l’estimation des potentiels d’énergie cinétique de la marée ou l’implantation de champs d’hydroliennes.

Toutefois, elles ne peuvent pas contribuer à la nécessaire modélisation fine des variations des forçages dans la tranche d’eau (cisaillements dus à la houle, turbulences,…) indispensables pour le dimensionnement des machines (pales notamment).

Par contre, les contributions spatiales à l’observation et à la prévision des états de mer (en lien étroit avec les services météorologiques) sont essentielles pour le développement de l’éolien en mer (posé et d’autant plus pour le flottant), mais aussi pour les autres filières à venir comme l’énergie de la houle et l’ETM, flottant essentiellement. 

Comment conciliez-vous le partage de connaissance en accès libre et obligation de rentabilité avec votre entreprise ?

JV – Dans le cas d’Ocean Next, votre question peut être prise inversée : A bien des égards nous obtenons certains contrats parce les donneurs d’ordre savent que nous sommes pour un accès libre et que notre responsabilité est la même que celle des chercheurs académiques qui publient, partagent leurs résultats et leurs travaux, et proposent souvent leurs logiciels en accès libre.

Néanmoins, il y a des questions de propriété intellectuelle qui se posent souvent et pas seulement pour les entreprises. Les agences spatiales par exemple et les organismes publics sont directement concernés par cela.

J’aurai envie de dire que l’accès libre correspond à notre éthique profonde et est aussi une opportunité pour notre entreprise.

Dans votre livre paru chez Chroniques sociales, un chapitre est consacré aux nouvelles dimensions qui transforment la politique, notamment les mutations technologiques et ses implications économiques publiques et privées. L’irruption des énergies renouvelables de la mer en font partie et l’économie maritime semble subir une révolution.

JV – Un des messages que j’essaie de faire passer dans mon livre est que le changement climatique est une question de développement humain et qu’il nous parle de toutes les facettes de notre réalité d’être humain, donc entre autres de notre rapport à l’énergie, mais pas seulement et loin s’en faut.

Donc, il serait réducteur de ne regarder la question actuelle des changements globaux, climatiques et environnementaux que sous l’angle de l’énergie. Ne lire l’état du monde d’aujourd’hui et de demain, que sous l’angle du CO2 rejeté dans l’atmosphère me parait une piste trop partielle.

Ce n’est pas seulement en décarbonant l’économie que l’on va résoudre tous les problèmes qui se posent à la planète aujourd’hui, mais bien sûr c’est extrêmement important de limiter les émissions de CO2 et les énergies renouvelables ont un gros potentiel à cet égard.

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