RE2020 : la neutralité carbone du bâtiment à l’épreuve des controverses

À l’occasion de l’ouverture des concertations autour des exigences de la future RE2020, tour d’horizon de ses objectifs, de ses enjeux et des controverses majeures soulevées par ce futur texte de référence.  

La RE2020, qu’est-ce que c’est ?

La RE 2020 est la réglementation qui régira les performances environnementales des bâtiments neufs à partir de l’été 2021. Diminuer l’impact carbone des bâtiments, poursuivre l’amélioration de leur performance énergétique et en garantir la fraîcheur pendant les étés caniculaires sont pour le gouvernement les trois grands objectifs de la RE2020.. La RE2020 se veut ainsi plus ambitieuse que la RT2012, qui avait pour priorité de limiter la consommation d’énergie des bâtiments.

Pour diminuer l’impact sur le climat des bâtiments neufs, la nouvelle réglementation environnementale favorisera, d’une part, des équipements et des matériaux émettant peu de gaz à effet de serre (isolants biosourcés par exemple), et, d’autre part, encouragera le recours aux énergies décarbonées (comme l’électricité, le bois et les réseaux de chaleur alimentés par des énergies renouvelables).

Les deux axes de progrès sont importants car, comme le souligne Julien Hans du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), « les gaz à effet de serre pendant la construction de l’ouvrage représentent plus de 50 à 60 ans d’exploitation du bâtiment ».

Concernant les énergies, l’enjeu est de taille car dans la loi Énergie-Climat, le Gouvernement a réaffirmé sa volonté d’arriver à la neutralité carbone à l’horizon 2050, un objectif qui ne pourra être atteint sans l’abandon des énergies fossiles. « Pour réduire la place des énergies fossiles, il faut proscrire leur utilisation dans l’énergie consommée au niveau du bâtiment, à commencer par le chauffage au fioul ou gaz », rappelle Laurent Morel, président de l’Ifpeb et trésorier du Shift Project.

La RE2020 poursuivra par ailleurs la baisse des consommations des bâtiments neufs en insistant notamment sur la performance de l’isolation, avec le renforcement de l’indicateur bioclimatique (Bbio).

Enfin, elle visera à garantir aux occupants un logement adapté aux conditions climatiques futures.

Un objectif de « confort d’été » inédit sera ainsi introduit afin que les nouvelles constructions soient résilientes aux futurs épisodes caniculaires, supposés plus fréquents avec le changement climatique.

Pourquoi cette réglementation est-elle si sensible ?

 Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle RE2020 sur les bâtiments neufs et la fin de la RT2012, les cartes vont être rebattues sur l’ensemble de la chaîne. « Pour tous les acteurs de la construction, elle représente un défi, car elle questionne leur vision et leur position sur le marché, ce qui peut créer des réticences et encourager à faire valoir des situations particulières. Mais la discussion a lieu, et le dynamisme des échanges témoigne de la pertinence de cette réglementation. » observe Laurent Morel.

La prise en compte de l’impact de la fabrication des matériaux et des équipements va ainsi favoriser les produits les plus écologiques. De même la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre impliquera une sortie progressive des énergies fossiles afin d’atteindre la neutralité carbone.

Cela va bousculer le marché car ces énergies, non-renouvelables et à forte émission de CO2, (gaz, GPL) ont aujourd’hui une place prépondérante du fait de la réglementation actuelle.

La RE2020 doit permettre, quant à elle, de développer des solutions de chauffage plus économiques, écologiques et performantes.. « Bien sûr, cela inquiète certains acteurs : ceux qui vendent des solutions qui marchent bien dans la RT2012 mais ne marcheront plus dans la RE2020 », admet Olivier David, chef de service à la DGEC. Au-delà de la construction neuve, ces nouvelles évolutions auront inévitablement un impact économique sur le marché de la rénovation

  Pourquoi la RE2020 est-elle accusée de favoriser le chauffage électrique ?

 Pour le gouvernement, l’objectif de baisse des émissions carbone du bâtiment suppose de sortir des énergies fossiles et d’utiliser des énergies décarbonées, comme l’électricité, le bois ou les réseaux de chaleur alimentés par des énergies renouvelables.

Or, l’électricité est aujourd’hui pénalisée dans la RT2012, ce qui a paradoxalement conduit au développement des énergies fossiles, fortement émettrices de CO2. « Avec la RT2012, 75 % des logements collectifs neufs sont chauffés au gaz […] . Cette réalité ne s’accorde pas avec l’objectif de neutralité carbone», souligne Jean-Pierre Hauet, président du Comité scientifique, économique, environnemental et sociétal de l’association Equilibre des énergies (Eden).

« L’électricité est la seule énergie bas carbone pénalisée dans le cadre de la RT 2012 puisque le seuil de performance est fixé en énergie primaire. L’urgence climatique nous demande de regarder l’énergie finale et l’empreinte carbone des bâtiments. », abonde Julie Daunay, manager chez Carbone 4.

C’est pourquoi, dans les nouvelles orientations de la RE2020, le Gouvernement a prévu d’abaisser le coefficient qui sert à convertir l’énergie électrique (dite finale, car ayant subi des transformations) en énergie primaire de 2,58 à 2,3 afin de tenir compte «  de l’évolution prévisionnelle du mix électrique au cours de la durée de vie des bâtiments ».

Cette mesure est en cohérence avec les recommandations de la Commission européenne, qui préconise même un ratio de 2,1. Datant de 1972, l’ancien coefficient ne prenait pas en compte « une électricité qui est de plus en plus fournie par des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques », explique Bertrand Cassoret, maître de conférences à l’Université d’Artois

Le contenu carbone du chauffage électrique sera quant à lui ramené à 79g/kWh afin, selon le gouvernement, « d’être plus conforme à la réalité constaté ». Argument développé par 12 organisations de la filière électrique : « La méthode utilisée jusqu’à présent pour estimer le contenu carbone de l’électricité utilisée pour le chauffage aboutissait, selon l’Ademe, à une valeur de 147 grammes de CO2/kWh, et non pas 210 grammes comme soutenu par certaines organisations, alors que dans la réalité le contenu carbone à la production tel qu’estimé et publié quart d’heure par quart d’heure par RTE sur son portail ECO2mix, ne dépasse que très rarement en hiver 80 grammes ».

La RE2020 favorise-t-elle une généralisation du radiateur électrique dans le bâtiment ?

 Si l’électricité bas carbone est une solution envisagée par les pouvoirs publics pour réduire l’impact carbone, plusieurs équipements peuvent être envisagés, principalement le radiateur électrique et la pompe à chaleur.

Cette dernière est beaucoup plus efficace car elle capte des calories gratuites dans son environnement (air, sol…). Ainsi, un kWh d’électricité consommée permet de produire de l’ordre de 3 kWh de chauffage.

Pour plusieurs acteurs, la nouvelle réglementation encouragerait le recours aux radiateurs ou aux convecteurs électriques peu efficaces. Qu’en est-il réellement ?

Le Gouvernement n’a en fait pas encore dévoilé les arbitrages concernant l’exigence à respecter en matière d’efficacité énergétique. Si l’État fixait une obligation de 30 kWh/m² plutôt que 50 kWh/m2 pour la RT2012, « les solutions électriques ne passeront pas, de la même manière qu’elles ne passent pas aujourd’hui avec la RT2012 en collectif », assure EDF.

En bref, c’est la fixation des exigences réglementaires qui favorisera ou non les différents types d’équipements et il est tout à fait possible pour les pouvoirs publics de fixer un seuil qui disqualifie les radiateurs électriques.

Par ailleurs, si les radiateurs sont autorisés, ils devront être associés à une très forte isolation car au final la consommation maximale autorisée pour un logement sera la même quel que soit l’équipement choisi. La moins bonne efficacité du radiateur électrique devra être compensée par une isolation beaucoup plus performante que pour les autres énergies.

Ceci relativise l’importance de cette question pour la construction neuve. Le problème est différent dans les logements existants qui sont mal isolés car les radiateurs électriques sont alors synonymes de consommations et de factures trop élevées.

Une RE2020 plus favorable au chauffage électrique renforcerait-elle la pointe électrique en hiver et les émissions de gaz à effet de serre ?

 Autre argument avancé contre les orientations de la nouvelle RE2020, celui annonçant une hausse du pic électrique en hiver en cas d’un recours accru au chauffage électrique, qui se traduirait par des importations d’électricité et une utilisation plus importante des centrales électriques fonctionnant aux énergies fossiles et donc une augmentation des GES.

Une analyse que ne partage pas RTE (Réseau de transport d’électricité). « L’évolution de la pointe électrique, sous l’effet notamment de transferts d’usages vers l’électricité, ne constitue pas un problème en soi et trouve une justification sous l’angle climatique, puisque l’électricité utilisée est en grande majorité décarbonée, précise ainsi son Bilan prévisionnel 2018 de l’équilibre offre-demande d’électricité en France. Il importe donc de ne pas la diaboliser, et de lutter contre certaines idées reçues, notamment le fait qu’elle occasionnerait des émissions de CO2 importantes : en réalité, l’appel à des moyens thermiques pour passer les pointes ne concerne que des durées limitées et conduit à des volumes d’émissions faibles au regard des émissions totales du mix énergétique. »

Plus récemment, le cabinet Carbone 4 a étudié l’impact du chauffage électrique sur le climat. Et conclut à l’issue de ses analyses que : « en se projetant avec la SNBC, les consommations électriques dans le résidentiel tertiaire diminuent à l’horizon 2050, malgré l’électrification du chauffage [1] .» Les gains d’efficacité énergétique compensent en effet la hausse des logements chauffés à l’électricité.

Le chauffage électrique augmentera-t-il les factures des occupants ?

Avoir recours à l’énergie électrique pour se chauffer engendre-t-il un surcoût pour les usagers, augmentant par là-même la précarité énergétique ?

S’il est vrai que l’électricité est plus chère au kWh, un logement neuf chauffé à l’électricité consomme ainsi moins d’énergie grâce aux pompes à chaleur et à une meilleure isolation : environ 20 kWh/m2 contre 45 kWh pour le gaz en RT 2012. Par ailleurs, en étant chauffé à l’électricité, il n’est pas nécessaire d’avoir deux abonnements énergétiques (gaz et électricité), ce qui peut représenter une économie allant jusqu’à 250 euros par an.

Pour Luc Baranger, référent énergie au sein de Familles de France, le débat sur cette « montée en puissance du radiateur électrique » est « dépassé ». Il souligne que dans une maison à l’isolation optimisée, « un certain nombre de solutions électriques sont excellentes, comme les pompes à chaleur, tant au niveau du confort que de la consommation énergétique et donc de la facture, estime-t-il.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire liée au Covid-19 sur le calendrier de la RE2020 ?

 Le gouvernement a ajusté le calendrier de la réforme pour tenir compte de la crise sanitaire, cette dernière ayant bousculé l’organisation des consultations et des concertations prévues.

Un travail de concertation collectif que le gouvernement estime indispensable pour fixer une ambition environnementale exigeante et soutenable.

Il a donc été décidé que les concertations se poursuivront pendant l’été pour permettre à tous les acteurs concernés d’y prendre part. La publication des textes réglementaires est prévue fin 2020, au plus tard début 2021 pour une entrée en vigueur de la nouvelle réglementation à l’été 2021.

 

commentaires

COMMENTAIRES

  • Il est surprenant qu’il ne soit pas précisé que si le contenu carbone de l’électricité est si faible, c’est à cause du mix électrique composé essentiellement de nucléaire et d’hydraulique ! Serait-il honteux de le signaler ?

    Répondre
    • On pourrait aussi ajouter que l’article laisse croire que ce sont les énergies renouvelables qui permettent de baisser le contenu carbone du kWh, ce qui est faux, puisque les EnR remplacent pour l’essentiel la production nucléaire, qui n’est pas carbonée au départ (12 gCO2/kWh selon le GIEC; 6gCO2/kWh selon l’ADEME)…

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