« Pour que l’aventure de l’éolien en mer soit un succès national »
Le Monde de l’Energie a ouvert ses colonnes à Etienne Delcroix, responsable éolien en mer de Shell France, pour évoquer avec lui la place des énergies marines dans la transition énergétique française.
Le Monde de l’Énergie —Quelle est la part des énergies marines dans les ambitions de neutralité carbone de la France ?
Etienne Delcroix —La commission Européenne s’est dotée d’un plan ambitieux à travers le Pacte Vert afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La commission a également fixé 3 objectifs pour 2030 :
- La réduction des émissions d’environ 40%
- L’augmentation de la part des énergies renouvelables à 27% minimum
- L’amélioration de l’efficacité énergétique d’au moins 27%
Les énergies marines s’inscrivent dans le deuxième de ces objectifs. Pour l’éolien en mer, en gardant le rythme actuel ce sont 90 GW et 800 milliards d’investissement d’ici 2050. Mais le potentiel est bien plus important ! La commission considère qu’il est possible d’atteindre 300 GW en 2050 si nous changeons l’échelle de déploiement.
En France, pour être encore plus concret, le Président de la République a réitéré, lors de son discours à Belfort, l’ambition forte de la France en matière de transition énergétique et de déploiement des énergies renouvelables. Il l’a fait on ne peut plus clairement, notamment pour l’éolien en mer, en planifiant 40 GW en 2050, ce qui représentera environ une cinquantaine de parcs.
Au-delà de ces chiffres à terme, ce qu’il faut aussi retenir c’est une filière éolienne en mer qui pourra compter sur environ 2GW d’éolien offshore par an. C’est une régularité essentielle pour les acteurs industriels que nous sommes, afin de pouvoir recruter, concevoir, acheter, construire et opérer des fermes éoliennes en mer en confiance. C’est du lancement d’une industrie durable, et 20 000 emplois d’ici 2035 dont nous parlons ici.
Le Monde de l’Énergie —Quels sont les énergies marines émergentes qui vous semblent les plus prometteuses et pourquoi ?
Etienne Delcroix —Toutes les énergies marines sont émergentes si l’on prend un peu de recul. Souvenez-vous, il y a 10 ans les européens commençaient à peine à lancer les premiers parcs en mer posés (la fondation est posée ou plantée au fond de la mer). Aujourd’hui nous réfléchissions au volume global et à la meilleure façon d’intégrer ces parcs dans notre environnement, mais le débat ne porte plus sur la nécessité d’en avoir.
L’éolien flottant est une technologie qui possède un potentiel considérable au niveau mondial. Si l’on superpose les cartes de vents, de profondeur d’eau et de la population mondiale, 80% des surfaces exploitables seront dédiées à l’offshore et plus particulièrement au flottant, davantage adapté à des fonds marins profonds. En France, l’éolien en mer a également un avenir prometteur : avec ses 3500 km de côtes, notre pays dispose du 2ème gisement de vent éolien en mer en Europe, juste après le Royaume-Uni.
L’un des avantages majeurs de l’éolien en mer, qu’il soit fixe ou flottant, est que les vents y sont plus forts, plus stables et plus réguliers, permettant ainsi un meilleure rendement qu’à terre. Il est important de souligner les efforts réalisés par les industriels, dont les turbiniers qui, comme les constructeurs d’ordinateurs d’hier, investissent massivement dans leurs usines pour augmenter leur productivité et les tailles des éoliennes, qui ont doublé en 10 ans pour atteindre aujourd’hui jusqu’à 13 MW de capacité.
Donc pour la même fondation on peut aujourd’hui récupérer 2 fois plus d’énergie qu’on ne l’estimait en 2010. Cela permettra aussi de réduire l’impact pour les autres usagers de la mer, en premier lieu pour la pêche car les surfaces seront mieux utilisées. Nous sommes par ailleurs convaincus que le déploiement à grande échelle de l’éolien est possible en mer, sous réserve d’une intégration intelligente de toutes les parties prenantes, dont les usagers de la mer, en vue d’une bonne cohabitation.
Mais l’éolien en mer est également une chance pour la France en termes de retombées économiques et d’emplois. Bureaux d’études environnementaux, bateaux d’études maritime et géotechniques, biologistes, spécialistes de l’environnement, ingénieurs, marins, responsables de sécurité, chefs de chantiers, soudeurs, mainteneurs, communicants, seront sollicités et le seront prioritairement en France. Avec un critère de préférence pour les petites et moyennes entreprises, par exemple de 6% minimum des coûts de construction à attribuer dans l’appel d’offres au large de la Normandie.
Plus récemment, la France a lancé 2 appels d’offres commerciaux en Bretagne (AO5) et en Méditerranée (AO6). Il s’agit des premiers parc flottants commerciaux au monde pour lesquels un tarif est envisagé. Ajouté au plan de développement des infrastructures France 2030 lancé par le gouvernement, nous avons toutes les cartes en mains pour faire du pays le centre d’excellence de l’éolien flottant. C’est d’ailleurs déjà le cas pour Shell, qui en rachetant EOLFI, acteur spécialisé du flottant, a localisé en France son centre d’expertise, avec plus de 80 emplois.
Le Monde de l’Énergie —Quels ont été et quels sont les principaux freins du déploiement industriel de l’éolien en mer ?
Etienne Delcroix —Comme dans tous processus de transformation, la route a été longue et semée d’embuches. Tout d’abord il faut souligner l’excellent travail de fond et de transformation fait par l’Etat pour adapter les règles à cette nouvelle industrie, tout en prenant en considération les citoyens et les usagers historiques. Nous avons observé comment le système administratif, peu adapté pour les premiers parcs éoliens, avait provoqué presque dix ans de retard suite à de multiples recours, tous rejetés depuis.
En France, les premiers parcs sortent de mer aujourd’hui alors que d’autres en Mer du Nord tournent depuis une dizaine d’années. Malheureusement, pendant ce temps, l’industrie s’est construite hors de nos frontières, et la grande majorité des fournisseurs de rang 1 sont localisés dans ces pays. Exception notable, les usines d’assemblage de turbines qui, encore une fois grâce à l’Etat, ont pu être installées sur le territoire français et disposent aujourd’hui des 2/3 des capacités européennes.
Depuis, les citoyens sont autant écoutés mais le processus a été simplifié et raccourci, grâce à des lois discutées votées et promulguées. Celles-ci donnent de la visibilité aux industriels et donc de la confiance. Personne ne s’engagerait dans la construction d’une maison si le permis pouvait n’être obtenu que dans dix ans. C’est la même chose pour l’éolien. Nous sommes prêts à investir plus de 4 milliards en France mais il faut que les conditions soient réunies. Nous pensons qu’elles le sont aujourd’hui et c’est pour cette raison que Shell a fait acte de candidature pour les Appels d’offres AO4 (1GW), AO5 (250MW) et AO6 (500MW). Chacun de ces projets fait l’objet de discussions bilatérales avec l’Etat et d’engagement terrain avec l’ensemble des parties prenantes pour devenir le meilleur voisin possible.
Nous avons conscience d’être de nouveaux acteurs pour les usagers historiques de la mer et ils sont nombreux. Nous financerons par exemple des projets de recherche de l’impact de nos activités sur les ressources locales et sur l’environnement. Les relations avec les services de l’Etat, eux aussi soucieux de porter les ambitions énergétiques françaises tout en protégeant le droit de chacun seront également primordiales pour que l’aventure de l’éolien en mer soit un succès national.
COMMENTAIRES
Bonjour,
Bonjour
Pas sûr que tout cela soit possible:.
Pour avoir une idée de la disponibilité en matières premières il faut écouter:
Ruée minière au XXIè siècle : jusqu’où les limites seront-elles repoussées ? – Aurore Stephant à USI
https://www.youtube.com/watch?v=i8RMX8ODWQs
Par ailleurs il est écrit
« Pour l’éolien en mer, en gardant le rythme actuel ce sont 90 GW et 800 milliards d’investissement d’ici 2050 »
Doit-on comprendre – 90 GW installés – 25 GW produits en moyenne – 5 GW par moments lorsqu’il n’y a pas de vent – Tout cela pour 800 milliards !
Où sont les limites ?
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi nos politiques s’obstinent à vouloir, au prix d’investissements démentiels dans les énergies renouvelables, qui sont du fait de leur intermittence inévitablement couplées à des sources fossiles ou assimilées, aboutir prétendument à une neutralité carbone. Alors que la France n’est responsable que de moins de 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et qu’en conséquence, notre effort aura un résultat final complètement ridicule.Il y a d’autres sujets bien plus porteurs d’effets réels, par exemple le recyclage et le remplacement des plastiques chaque fois que possible.
Sachant que ces investissements concernent quasi exclusivement le mix électrique qui ne représente que 20% du mix énergétique global, on constate avec effarement que rien ou presque n’a été fait pour s’attaquer aux 80% restant, totalement fossiles, qui représentent l’essentiel de l’enjeu et donc des moyens à engager.
@Yves Le Goff
Tout à fait exact.
Et pour le reste, si on voulait électrifier ne serait-ce que le quart des utilisations des hydrocarbures, il faudrait doubler la production d’électricité.
Bien entendu sans génération de CO2, donc sans les centrales à gaz obligatoirement installées en parallèle de l’éolien et du solaire pour les longs moments de météo non propice.
Ce qui fait que nous devrions lancer un plan d’une centaine de réacteurs nucléaires, et non les malheureux 6 + 8 EPR prévus actuellement.
Et au plus tot possibles passer à la quatrième génération de réacteurs, surgénérateurs, consommant l’Uranium 238 dont nous avons un stock de 350.000 tonnes.
Je cite ds le texte :
« mais le processus a été simplifié et raccourci, grâce à des lois discutées votées et promulguées »
Ceci grâce à un parlement qui était asservi à la LREM de macron où il n’ y a eu aucune discussion sérieuse…
Bravo à ceux qui ont voté pour ces loulous et qui maintenant pleurent sur les milliards dépensés ou qui seront dépensés à mauvaise escient !
L’argument du CO2 est bien réel mais n’a aucune influence sur un politicien parce que l’immense majorité de ses administrés s’en balance. J’ai fait moi aussi cette erreur.
Je poserais le problème autrement: à partir de 2030: déclin du pétrole, du gaz et du parc nucléaire français (à moins que tous les réacteurs puissent être prolongés au delà de 50 ans, ce qui semble peu probable).
Probable explosion des prix de l’énergie et rationnement. Comment se préparer à cela ?
Il n’y a que deux voies pour cela: les systèmes à base d’ENRv et le nucléaire.
A ce stade, je ne vois pas de raison d’exclure l’une de ces deux voies.
Le nucléaire n’est pas infaillible, on le voit notamment avec ces problèmes de corrosion.
Exact, Marc.
Et de toute façon, même si nous lancions le plan d’une centaine de réacteurs dont nous aurions besoin, les délais de mise en route sont tels que nous aurons besoin de centrales classiques (hélas probablement à gaz) avec en parallèle éolien et solaire pour atténuer leur consommation d’hydrocarbures et la génération de CO2 concomitante.
Et lorsque nous serons redevenus capables de lancer 3 à 5 réacteurs par an comme au bon vieux temps, nous pourrons couper le gaz.
Et envoyer à la casse les vieilles éoliennes.
Les politiciens sont des branquignols et des tartufes. Mais c’est aux partisans des énergies peu carbonés à se remettre en question également pour être capables de toucher réellement le grand public, et donc les politiciens.
A mon avis, 20 ans d’erreur à se focaliser sur les émissions de GES, ce qui ne touche pas réellement les gens. Il y a longtemps qu’ils auraient dû changer leur fusil d’épaule…
Les transports routiers (du scooter au poids lourd) représentent 72 % de la consommation de produits pétroliers à usage énergétique et 42 % de tous les hydrocarbures.
Électrifier tous les transports routiers, y compris les poids lourds, ne nécessiterait que 170 TWh au niveau du moteur. En tenant compte des différentes pertes (réseau, chargeur, batterie), cela nécessiterait de produire 220 TWh d’électricité.
La consommation intérieure étant actuellement voisine de 480 TWh, l’augmentation de la consommation et de la production d’électricité se limiterait à 46 % par rapport à la situation actuelle (et pas le double pour un quart des hydrocarbures).
Pour ceux qui font semblant de l’oublier, aussi bien l’hydraulique que le biogaz et le biométhane, ainsi que quelques autres, sont des énergies renouvelables.
Le stockage de l’électricité, aussi bien dans les STEP que dans les batteries (voire H2 avec modération) sont des moyens complémentaires pour assurer le bouclage de la production à tout moment, sans utilisation d’aucun fossile (charbon, pétrole, gaz) ou fissile (uranium).
Quant à construire cent réacteurs nucléaires … on voit ce qu’il en est avec l’EPR de Flamanville, commencé en décembre 2007.
@Marguerite
– Je sais bien que les prévisions actuelles de consommation pour 2050 sont plus de l’ordre de 50% que de 100%.
Mais, pour un certain nombre de raison, je n’y crois guère.
Et à 50% d’augmentation, comme il me semble peu raisonnable pour des questions de refroidissement du cœur d’augmenter la puissance élémentaire, ayant près de 60 réacteurs, 50% de plus nous amène entre 80 et 90, mini donc.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce chiffre est infiniment plus grand que les 6 + 8 réacteurs actuellement dans les (très vagues) plans.
– Lorsque l’on parle de le biogaz et le biométhane, je ne suis jamais à l’aise.
S’il s’agit de traiter les déchets actuels, très bien, mais la quantité produite serait très faible devant un seul réacteur.
Et s’il s’agit de cultures spécifiques, obtenues avec force tracteurs et engrais, c’est une ânerie.
– Pour les STEPs, encore faudrait-il avoir les sites ad-hoc, mais aussi qu’un tel lac, destiné à voir son niveau varier en permanence de façon considérable, soit accepté par la population environnante, et ce n’est pas gagné LOL
Batteries, à voir si des progrès énormes scientifiques sur le sujet sont fait dans le futur, mais actuellement, c’est hors de question.
– Quant aux réacteurs, oui, on a laissé se perdre notre énorme avance sur le sujet, allant jusqu’à arrêter Super Phénix pour faire plaisir aux écolos, sans même en tirer les enseignements pour lesquels il avait été construit. Un scandale d’incompétence politique.
Nous n’avons donc qu’une solution, se retrousser les manches.
Comme ce n’est pas très porteur électoralement (vous pensez, faire des efforts !) je crains que la volonté politique soit insuffisante.
@Marguerite
J’ajouterais, pour les STEPs, que c’est bien pour de courtes périodes, guère plus d’un jour.
Or, le problème des énergies intermittentes, éolien comme solaire, est qu’in est très possible de se retrouver avec une météo très défavorable aux renouvelables pendant plusieurs semaines d’affilées. au moins deux, probable bien trois, sans doute exceptionnellement plus, avec une jolie catastrophe économique à la clef.
Ceci dit, je ne suis pas contre les éoliennes, je trouve ça même assez décoratif. Et utile pour produire directement, sur site, de l’hydrogène par exemple.
Bon, on verra combien de temps on attendra avant d’avoir un pétrolier à la dérive par gros temps traverser un champ d’éoliennes …
Le potentiel des courants marins (gigantesque également) est toujours au stade de potentiel malgré des effets d’annonce il y a 15 ans avec des chiffres énormes annoncés alors par des entreprises importantes (dont Engie de mémoire)…
L’éolien Offshore posé et sur pieux ou fondations lourdes n’est pas quelquechose de difficiles techniquement, mais nécessite des moyens que les pays avec de l’Oil&Gaz offshore avaient (pas le cas de la France)…
L’éolien flottant par grand fond est une « nouvelle aventure », pas sur que les échéanciers annoncés ne soient respectés ! Et que cela finisse comme les hydroliennes (c’est à dire à quasi 0) n’est pas à exclure… L’offshore Ultra-profond a nécessiter bien des nouvelles techniques dont des installations posées au fond et non-flottantes (seul le forage des puits est fait en Surface durant quelques semaines avec des bateaux spéciaux). La collecte des hydrocarbures pouvant se faire par un navire spécial sur certains sites (mais 1 seul Navire ou plateforme collectant des milliers de barrils par jour – pour rappel 1 baril de pétrole = 1.7 MW.h env donc des milliers de barils/jour ce sont des GW.h /jour d’énergie stockée …).
Que va t’il en être pour un parc d’éoliennes flottantes par grande profondeur pour la connexion électrique entre celles-ci et pour l’envoi vers la Terre du courant ??? Les cables électriques risquent de subir des contraintes inouïes sur certaines sections et sur la durée, sans parler de la nature des fonds qui selon les cas peuvent être abrasifs pour des cables qui vont se déplacer si les profondeurs sont importantes du fait du déplacement des éoliennes en surface – Quid ??? Un défaut d’isolement sur un cable et le parc est disconnecté pour des jours, voir des semaines ou des mois… J’ai de gros doutes de voir un jour des parcs éoliens installés par nettement plus de 100m de profondeur…
C’est la mode, on en parle et cela risque de finir discrètement enterré comme les hydroliennes il y a une dizaine d’années…
@APO
« Le potentiel des courants marins (gigantesque également) »
Là, j’ai des doutes.
Les hydroliennes souffrent de la même tare que les éoliennes, pour exactement la même raison (elles récupèrent une partie de l’énergie cinétique de l’eau traversant le cercle des pales, la masse est proportionnelle à la vitesse du courant, son énergie au carré (1/2 * m * v^2), d’où le cube.
Or, la vitesse des courants varie énormément, comme les coefficients des marées, qui varient entre 20 et 120, le plus souvent entre 40 et 100. Portez ces deux chiffres au cube, et vous voyez que l’énergie disponible peut être très faible, quasi nulles, assez fréquemment.
De plus, les courants s’annulent à chaque renverse du courant, quatre fois par jour, donc, et le cube du module de la vitesse est très faible un bon moment autours de chaque renverse (tracez le cube de la valeur absolue d’une sinusoïde).
Rochain vous dira certainement que c’est merveilleux car assez bien prévisible (la vitesse ressemble souvent à une sinusoïde) mais la vérité, c’est qu’il est douteux que l’on puisse tirer grand chose de cette énergie très fortement intermittente.
De plus, les sites favorables sont assez réduits (raz de Sein, Blanchard, …)