Pour 80% des Français, « les entreprises doivent changer de modèle pour ne pas chercher la croissance économique à tout prix »
Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Laure Blondel, directrice conseil Marques, produits et consommation responsables chez GreenFlex, pour revenir avec elle sur les conclusions du 20e Baromètre de la consommation responsable, récemment publié par l’ADEME et Greenflex.
Le Monde de l’Énergie — Que nous apprend ce Baromètre sur la façon dont les Français coordonnent leurs choix de consommation avec l’avenir de la planète ?
Laure Blondel —70% des Français « voient bien le lien entre leurs choix de consommation et l’avenir de la planète ». Ce chiffre élevé est stable depuis 3 ans. C’est un lien qui existe d’ailleurs dans les 2 sens : la conscience que leur consommation impacte l’avenir de la planète, mais également, pour 4 Français sur 5, la compréhension que « la crise climatique les oblige à revoir leurs modes de vie et de consommation ».
Si l’on prend l’exemple de la consommation de seconde main, ou le fait de limiter ses achats de produits neufs : ces habitudes sont certes prioritairement motivées par des raisons économiques, mais l’on observe que la part des consommateurs déclarant être motivés par leurs convictions (écologiques ou sociales), ne cesse de progresser. Concernant les achats de seconde main, les convictions supplantent même les motivations économiques chez les 18-24 ans.
Le Monde de l’Énergie —Cette prise de conscience se traduit-elle dans les évolutions réelles de la consommation en France ? La consommation des produits néfastes pour l’environnement subit-elle effectivement un reflux ?
Laure Blondel —Notre baromètre analyse l’attitude et le niveau d’engagement des consommateurs, mais ne donne pas l’évolution quantitative de la consommation réelle en France. Il est d’ailleurs délicat de classer des produits « néfastes pour l’environnement ». La plupart des biens de consommation ont un impact sur les humains et l’environnement. La consommation responsable consiste ainsi à choisir des produits qui ont l’impact le moins négatif possible, mais surtout, à réduire sa consommation tout court. Il ne s’agit pas uniquement de consommer mieux, mais de consommer moins. Et ça, les consommateurs commencent également à le comprendre ; en tout cas c’est ce que met en lumière notre étude.
Le Monde de l’Énergie —Qu’indique le Baromètre sur le rapport des Français aux entreprises et à l’Etat en matière d’évolution de modèle de production ?
Laure Blondel —Les consommateurs modifient progressivement leurs habitudes de consommation, et, à ce titre, ils attendent un engagement réciproque, tout d’abord, de la part des entreprises et des marques, mais également de l’Etat. 80% des Français estiment en effet que « les entreprises doivent changer de modèle pour ne pas chercher la croissance économique à tout prix ». Cela rejoint le sujet de la prise de conscience de l’impact de la consommation sur la planète. 65% des consommateurs estiment aussi que « produire autrement ne suffit pas, il faut produire moins », ce qui est très explicite sur la part de responsabilité des entreprises.
Pour 82% des citoyens, « les gouvernements devraient contraindre davantage les entreprises à produire dans le respect de l’environnement et des travailleurs ». Ils attendent ainsi que les pouvoirs publics soient davantage coercitifs envers le mode économique.
Ils souhaitent, finalement, que chacun fasse sa part : les consommateurs (pour 73% d’entre eux, « produire autrement ne suffit pas, il faut consommer moins »), les entreprises, et les pouvoirs publics.
Le Monde de l’Énergie —Les Français sont-ils plutôt optimistes ou pessimistes en matière d’environnement ?
Laure Blondel —On constate, selon notre étude, que les consommateurs étaient plus optimistes il y a 10 ans sur un certain nombre de sujets. Par exemple, lorsqu’on leur demande en 2014 s’ils pensent que le « respect de la nature » va s’améliorer dans les 10 prochaines années, ils sont 61% à penser que oui, mais quand on leur demande en 2024 s’ils pensent que cela s’est amélioré depuis 10 ans, ils ne sont plus que 42%.
Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que plus les consommateurs sont engagés, plus leur niveau d’optimisme est élevé. La mobilisation et l’engagement au quotidien envers la consommation responsable sont ainsi des leviers vers l’optimisme.
Le Monde de l’Énergie —Comment expliquez-vous que ces préoccupations très fortes se traduisent si peu dans les débats publics, en particulier dans la récente période de campagne électorale, où ces thématiques étaient pratiquement absentes ?
Laure Blondel —Il est en effet regrettable que ces préoccupations, très fortes pour les consommateurs, se traduisent relativement peu dans les débats publics. C’est aussi une opportunité pour les médias de mettre un coup de projecteur sur ces attentes et aspirations, et d’interroger les responsables politiques sur un panel de thématiques plus larges.
Le Monde de l’Énergie —L’acceptabilité sociale des mesures environnementales semble élevée, mais l’écologie est trop souvent présentée, dans le champ médiatique et politique, comme « punitive » ou contraire à la croissance économique. D’où peut provenir cette distorsion ?
Laure Blondel —Il faudrait interroger des sociologues ou des chercheurs en économie pour avoir un éclairage complémentaire sur ce point. Je vous invite à explorer les travaux de Timothée Parrique, Eloi Laurent ou Dominique Méda.
L’écologie est en effet souvent présentée comme punitive lorsqu’elle s’oppose à la notion de croissance. Mais les limites planétaires, déjà dépassées pour la plupart d’entre-elles, nous imposent de réfléchir et d’agir différemment. Il convient de s’interroger sur « quelle croissance ? » : une croissance des indicateurs économiques purs ? Ou bien une croissance du bien-être et du pouvoir de vivre ? Quand 3 consommateurs sur 4 éprouvent un sentiment positif lorsqu’ils réduisent leur consommation (de la fierté ou de la satisfaction), on peut légitimement constater qu’ils sont prêts à s’engager vers une « nouvelle forme de croissance ». Aux pouvoirs publics et aux médias de s’en faire le relais, et aux entreprises de transformer leur offre dans ce sens.