Pour une politique de l’énergie responsable (Lettre ouverte)

Lettre ouverte à la Ministre de la transition écologique et solidaire

Madame la Ministre,

 

Au nom d’un collectif d’anciens responsables et ingénieurs du parc nucléaire français, nous vous souhaitons la plus grande réussite dans vos nouvelles fonctions, stratégiques pour l’avenir énergétique du pays et pour la lutte contre le dérèglement climatique mondial.

Nous voudrions aussi vous exprimer notre grande inquiétude concernant certaines orientations de la loi LTECV et sa révision actuellement en cours, qui conditionneront le contenu de la prochaine PPE.

Un mot d’abord pour qualifier la situation actuelle : la France est le grand pays du monde qui a le système électrique le plus « vertueux » en termes d’émissions de CO2.

Elle le doit à son mix constitué de nucléaire, d’hydraulique et des autres énergies renouvelables. Seuls deux pays font mieux : la Norvège, qui produit 97 % de son électricité grâce à son potentiel hydraulique exceptionnel, et la Suède, grâce à un mix équilibré entre nucléaire et hydraulique. Mais ils sont tous deux beaucoup moins peuplés que le nôtre.

Or, un certain nombre de dispositions des lois précitées remettent en cause cet atout majeur de notre système électrique, sans que les raisons profondes de cette évolution paraissent fondées rationnellement.

Nous souhaitons partager avec vous notre analyse basée sur quelques points clés :

La réduction des émissions résiduelles de CO2 du système électrique est un objectif majeur qui devrait passer par le remplacement des moyens utilisant encore des combustibles fossiles (charbon, fioul et enfin gaz) par des énergies décarbonées.

Par contre, remplacer du nucléaire par des renouvelables aboutit à l’effet inverse : le nucléaire fonctionne en permanence, au contraire des moyens photovoltaïques et éoliens, qui s’interrompent toutes les nuits pour les premiers et quand le vent tombe pour les seconds.

Il faut alors les remplacer eux-mêmes par des productions essentiellement fossiles, à gaz en particulier, si le nucléaire est réduit, l’hydraulique étant limité.

La diversification des sources de production pour accroître la sécurité d’alimentation du pays devrait être un autre objectif, bien distingué du premier.

Là encore, remplacer du nucléaire qui a démontré sa robustesse de fonctionnement depuis 40 ans par les moyens intermittents précités dégrade la situation.

Car, outre le passage des longues nuits d’hiver, le vent peut souffler à des niveaux très faibles durant plusieurs jours consécutifs, voire plusieurs semaines.

Or, il n’existe actuellement pas de solution pour stocker l’équivalent de la consommation ne serait-ce que d’une seule journée d’hiver très froide dépourvue de vent et de soleil : il faudrait pour cela multiplier par près de… 20 la capacité actuelle de nos stockages hydrauliques par STEP.

Quant à un stockage par batteries, son investissement coûterait environ 200 Mds€ aux prix actuels… Impensable dans les deux cas. Plus grave : notre pays est de plus en plus dépendant, particulièrement en hiver, d’importations d’électricité en provenance de nos voisins… lesquels dépendent également de l’éolien et du solaire.

Et on constate que lors de ces épisodes sans vent, les prix de gros de l’électricité s’envolent, signe d’une carence généralisée en Europe de l’ouest. Faire dépendre la sécurité d’alimentation et l’économie de notre pays de la même source intermittente que nos voisins est une folie dénoncée par tous les spécialistes sérieux.

La réduction des coûts de production participe à l’objectif d’une fourniture d’électricité peu chère pour le plus grand bénéfice des entreprises et du pouvoir d’achat des particuliers.

À nouveau, aucun moyen réglable n’est actuellement plus performant que le nucléaire, largement amorti, dont le coût de production ARENH est de 42 €/MWh. Les prix de vente des moyens intermittents ont certes baissé, mais ils ont toujours besoin des généreuses subventions payées par les consommateurs, dont on ne voit pas la fin malgré les baisses de certains de leurs prix (l’éolien en mer, en particulier, est ruineux et devrait le rester durablement).

De plus, leurs coûts propres ne sont pas directement comparables puisqu’ils ne rendent pas le même service : il faut en effet leur ajouter les coûts de raccordement au réseau ainsi que celui des moyens d’appoint/secours nécessaires quand ils ne fonctionnent pas. Ce qui renchérit fortement leur coût réel pour le système électrique.

Les énergies dites « renouvelables » le sont-elles vraiment ?

Les énergies primaires du vent ou du soleil le sont. Mais pas les matériaux utilisés pour transformer ces énergies en électricité via des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques : métaux stratégiques, terres rares, etc. dont les quantités sont limitées sur la planète et très difficiles à recycler. Ce qui rend de facto ces moyens non renouvelables à plus ou moins long terme.

Voilà quelques réalités que nous nous permettons de rappeler, car elles sont infiniment plus complexes que ne le laisse croire la vision idéalisée du « tout renouvelable », trop souvent présentée comme étant LA solution à tous les problèmes, sans analyse crédible.

Le système électrique français, déjà très décarboné, sûr et économique est le fruit de plus d’un demi siècle de développements et d’investissements très lourds. C’est un patrimoine national précieux qui ne peut évoluer que dans un temps très long.

Améliorons-le encore avec un développement adapté des énergies renouvelables permettant de réduire à presque rien les moyens fossiles restants dans la perspective de la neutralité carbone en 2050.

Aussi, arrêter prématurément une part importante du parc nucléaire qui fonctionne bien pour le remplacer par des moyens intermittents et aléatoires rendant un service nettement inférieur serait non seulement un gâchis de capitaux volontairement échoués, payés par les consommateurs-contribuables, mais également une perte de sécurité d’approvisionnement.

Cette décision mobiliserait des capitaux très importants qui feraient défaut au pays pour décarboner les secteurs les plus émetteurs de CO2 : la mobilité et l’habitat, pour lesquels des actions prioritaires urgentes sont indispensables.

« On ne fait pas du nucléaire par plaisir mais par nécessité »

Enfin, le secteur nucléaire est l’un des piliers de l’industrie française. Il est constitué d’un réseau de 2600 entreprises réparties dans toutes les régions ; il représente 220 000 emplois très qualifiés et non délocalisables.

Il développe des compétences indispensables pour tous les secteurs de l’industrie. Mais comme le montrent les difficultés de réalisation du réacteur EPR de Flamanville, ce secteur a besoin d’un plan de charge régulier pour investir sur le maintien de ses compétences et pour réussir, tout simplement.

Comme l’a dit un jour Bernard Bigot, éminent scientifique et grand industriel : « on ne fait pas du nucléaire par plaisir mais par nécessité ».

Nécessité récemment affirmée à la fois par le GIEC et par l’AIE, du fait de sa contribution sans équivalent à la solution du dérèglement climatique. C’est donc une vision d’avenir qui fonde notre démarche.

Nous restons à votre disposition pour partager plus avant nos conclusions lors d’une rencontre en votre ministère, et nous vous prions de bien vouloir agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre très haute considération.

 

Claude JEANDRON Pour le « Collectif des anciens responsables du parc nucléaire français »

 

Joël Bultel, ancien Directeur de la centrale de Flamanville

Pierre Carlier, ancien Directeur du Parc nucléaire français

Alain Desgranges, ancien Directeur de la centrale du Blayais ¾

Jean Fluchère, ancien Directeur de la centrale du Bugey

Claude Jeandron, ancien Directeur de l’environnement d’EDF

Alain Marcadé, ancien Directeur technique de la centrale de St-Alban

Dominique Point, ancien directeur de l’Inspection Nucléaire

Georges Sapy, ancien responsable de projets nucléaires à l’export en Asie

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COMMENTAIRES

  • La filière nucléaire française serait sans doute davantage considérée si les déboires autour de l’EPR n’étaient pas aussi nombreux, ce qui jette un doute tant sur le maintien de l’expertise que sur la viabilité économique. Peut-être cette dernière existe-t-elle toujours (cf également les enjeux stratégiques que vous évoquiez), mais la facture à payer pour les contributeurs (français notamment) a plus que dérapé. La filière se devrait d’être irréprochable afin que les secrets inhérents à la technologie ne soient pas doublés de secrets commerciaux, et n’alimentent les craintes et contestations de ses détracteurs.

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