Faut-il avoir peur du nucléaire ? (Tribune)

Par Georges Sapy et Alain Desgranges, ingénieur Arts et métiers et Supélec et ingénieur en génie atomique. Ils sont tous les deux membres de l’ONG PNC-France.

Lancement d’un programme de six EPR, anniversaire de Fukushima. On n’a pas fini de parler nucléaire ces prochaines semaines. Alors, faut-il avoir peur du nucléaire au point d’y renoncer ?

Comme chaque année à pareille époque, les accidents de Tchernobyl en Ukraine en 1986 et de Fukushima au Japon en 2011, venant après celui de TMI aux USA en 1979, se rappellent à notre (mauvais) souvenir. L’occasion pour les détracteurs de cette énergie de susciter un sentiment de peur dans la population et de réclamer le rejet définitif du nucléaire dans notre pays.

Ce sujet clivant reste donc l’une des principales interrogations du public dans un moment où ses partisans et ses opposants font assaut d’arguments péremptoires à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Or, les spécialistes conviennent généralement qu’aucun de ces accidents majeurs n’est imputable à une quelconque fatalité, chacun ayant eu des causes humaines profondes et parfaitement identifiées.

Des fautes gravissimes commises par des décideurs dans les cas de Tchernobyl et de Fukushima, lesquels constituent les accidents les plus graves, celui de TMI n’ayant eu aucune conséquence sur l’environnent et la population.

Quelles leçons tirer de ces accidents ?

D’abord, que la préoccupation de sûreté nucléaire doit impérativement partir du sommet de la chaîne des responsabilités, c’est-à-dire des dirigeants des entreprises qui mettent en œuvre cette énergie et qui doivent avoir une connaissance scientifique et technique les rendant aptes à en apprécier les risques et à faire partager ces derniers à leurs collaborateurs.

Ce n’était le cas ni de Tchernobyl, dont les faiblesses de sûreté ont été négligées et dont les exploitants ont été soumis à des pressions politiques extérieures lors de l’essai qui a conduit à la catastrophe, ni de Fukushima dont les dirigeants se sont bouché les yeux avec l’aval tacite de leurs autorités de sûreté nucléaire, alors qu’ils disposaient de multiples alertes.

Une deuxième condition est de mettre en place une relation contrôleur/contrôlé entre une Autorité de sûreté et un Exploitant qui soit fondée sur la compétence, la transparence et la rigueur des deux côtés. Être soumis à un contrôle indépendant qui questionne intelligemment est nécessaire pour se maintenir à un haut niveau de vigilance et pour progresser.

Ces deux conditions ne permettront jamais d’affirmer qu’un accident est impossible mais elles peuvent le rendre extrêmement improbable et surtout en réduire les éventuelles conséquences extérieures par des mesures préventives de sûreté et de sauvegarde bien conçues.

Alors que le nucléaire fait débat dans notre pays, faut-il avoir peur de cette énergie jusqu’à y renoncer ?

À la condition de continuer à être exploitée de façon responsable et rigoureuse comme c’est le cas dans notre pays, l’énergie nucléaire ne constitue pas, et de loin, le plus grand des dangers auxquels la vie humaine est confrontée.

Depuis un demi-siècle qu’elle est exploitée en France, cette énergie n’a provoqué aucun mort par irradiation ou contamination. Dans le même temps, la route a tué plus de 500 000 personnes dans notre pays.

À titre de comparaison, les doses de radioactivité reçues par les travailleurs et plus encore par les populations à Fukushima ont été très limitées grâce aux évacuations de ces dernières. Elles n’ont provoqué aucun décès à court terme et leurs conséquences à long terme ont rapidement été jugées faibles par les experts de l’OMS.

Il faut être lucide : le choix du nucléaire n’est pas un simple choix technologique mais un choix de société. S’en priver conduirait à accepter de consommer beaucoup moins d’énergie en 2050, car l’électricité en représentera la part essentielle, et à la payer beaucoup plus chère avec des répercutions fâcheuses sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Mais aussi avec la perspective de placer notre pays sous la dépendance géopolitique des fournisseurs de gaz. Ce qui est de mauvais augures au vu des tensions qui existent aujourd’hui entre la Russie et l’Ukraine.

Est-ce réellement l’avenir que l’on souhaite ? Il est dans tous les cas à mettre en balance avec le risque résiduel extrêmement faible d’un accident nucléaire.

 

 

 

 

 

 

commentaires

COMMENTAIRES

  • Personnellement, j’ai peur du nucléaire: que les ressources en U235 soient limitées à quelques décennies.
    Quant aux RNR, la Chine a des ambitions. Elle a repris le modèle de RSF au thorium des Américains, avec de nouveaux matériaux. Mais enfin, jusqu’à présent: les chercheurs du monde entier se sont cassés les dents sur les RNR, avec une solution, toujours à la fois si proche et si lointaine. Ca marche, mais pas longtemps…
    A ceux qui racontent que Superphoenix avait 20 ans d’avance sur le reste du monde: le même réacteur, avec une puissance moindre: Monju au Japon, a connu à peu près la même histoire et la même fin (mais bien sûr, on était super géniaux et les Japonais des neuneus). Et curieusement, les Chinois ont acheté tout ce qui leur semblait utile en terme de technologie nucléaire, mais n’ont pas souhaité reconstruire le SP… Comme quoi, il a sans doute fait avancer la recherche, mais n’était peut-être pas aussi super que ça.
    Et puis attention quand même si ça explose: 5 tonnes de plutonium dans la cuve… Aucun autre pays n’a osé construire un réacteur à plutonium de cette taille et d’autres pays comme les EU ou l’Allemagne, se sont dégonflés avant même de mettre en service un réacteur de ce type pourtant beaucoup plus petit.

    Répondre
    • @Marc
      Ce n’est pas la première fois que je vous vois dire :
      « Ça marche, mais pas longtemps… »
      Je n’ai rien trouvé sur le sujet, et une explication sur ce sujet serait la bienvenue.
      Cause, explication de la physique sous-jacente ???
      Référence biblio scientifique ???

       » Monju au Japon, a connu à peu près la même histoire et la même fin  »
      Il me semble que vous travestissez la vérité.
      Super-Phénix a été arrêté uniquement pour de vulgaires arrangements électoraux avec nos faux-verts.
      Et on s’est justement privé des enseignements que nous aurions pu tirer d’une exploitation d’une dizaine d’années supplémentaires.
      Et c’est pour de semblables causes, plus des économies financières à court terme, que notre collaboration avec les Japonais dans le projet Astrid ont été stoppés.
      Et les Japonais, du coup, relancent avec les Américains !!!

      Répondre
  • La peur est bonne conseillère pour éviter le pire dans de nombreuses situations à risques comme par exemples la pratique de la montagne ou simplement conduire sa voiture ou encore faire du ski.
    La peur doit être analysée avec calme et raison pour pouvoir la dompter et ne pas la laisser vous inhiber ou vous rendre complètement irrationnel en perdant votre lucidité et vos capacités d’action.
    L’énergie nucléaire et sa puissance énergétique est malheureusement apparue à la face du monde lors de la seconde guerre mondiale avec les « bombes atomiques » Hiroshima – Nagasaki et depuis avec il faut bien le dire de puissantes ONG comme Greenpeace cette énergie fait peur.
    Le nucléaire civil a eu ses déboires au travers des accidents de TMI, Tchernobyl et Fukushima qui ont marqué l’opinion public sans que l’analyse des causes et des effets ait pu convaincre celui-ci que cette énergie n’était pas plus dangereuse que les autres formes d’énergie mais infiniment moins factuellement (https://www.afis.org/L-impact-sur-la-sante-des-differentes-sources-de-production-d-energie)
    Le « nucléaire » malheureusement génère de telles passions irrationnelles qu’il devient impossible de débattre et mettre à distance cette peur légitime et de la maîtriser.
    D’ailleurs je suis certain que les réactions les plus obscurantistes ne vont pas tarder d’arriver ….

    Répondre
  • C’est une très belle énergie, très prometteuse, très puissante, mais qui ne doit pas être laissée aux mains de neuneus (EDF par exemple, déjà cité il y a 30 par Charpak comme faisant partie des opérateurs, au même titre de Tepco, qui font n’importe quoi et qui vont se le faire péter au nez).
    De plus, tant qu’elle produit des déchets dont on ne sait que faire, et dont la seule solution *rationnelle* que nous proposent nos adorateurs béats est de les enfouir, comme un chien sa crotte, mais avec une durée de vie et des conséquences pour les générations futures bien plus dramatiques, alors que déjà sur 40 ans d’utilisation dans des centrales dont on est au courant qu’elles existent et sont en fonctionnement, on n’arrive pas à avoir un fonctionnement zéro défaut…
    L’erreur est humaine. Alors tenons en compte dans nos décisions.
    En plus, cette énergie n’a plus de sens économiquement. Il faut donc cesser de stériliser tout le reste au nom du seul dogme de nos ingés de grandes écoles et politiques redevables.
    En revanche il faut continuer la recherche fondamentale, pour trouver le moyen d’utiliser tous les déchets (et trucs conservés comme non-déchets alors qu’ils en sont pour l’instant) du nucléaire pour les rendre inertes et en tirer de l’énergie.
    Et il faut apprendre à cesser d’être totalement shootés à l’énergie, et devenir plus sobres et plus intelligents (je sais, c’est dur d’essayer d’être plus intelligents plutôt que démagogues).

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