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Nucléaire, renouvelables et transition énergétique

Alors que le changement climatique présente une menace sérieuse à la survie de l’humanité, comment le secteur électrique français peut-il contribuer à la transition énergétique à l’échelle européenne ?

Quand on parle de transition énergétique appliquée à la production électrique, il est une idée reçue qui revient régulièrement : le développement de l’électricité solaire et éolienne permettrait de fermer des centrales nucléaires. La réalité est un peu plus complexe…

Ces deux sources d’énergie renouvelable sont dites intermittentes. C’est-à-dire qu’elles produisent de façon aléatoire : respectivement quand il y a du soleil et du vent. Or l’électricité se stocke mal et le réseau doit être capable de répondre à la demande quelles que soient la météo, la saison et l’heure de la journée.

Des capacités de production dites pilotables (nucléaire, hydroélectricité, charbon, gaz) sont donc nécessaires. Elles doivent être en mesure d’assurer la totalité de la production électrique du pays (pendant une nuit sans vent, notamment).

L’exemple de l’Allemagne illustre bien ce phénomène (voir la figure 1 ci-dessous). En dépit d’un développement très soutenu du solaire et de l’éolien qui totalisent aujourd’hui plus de 100 GW de puissance, les capacités pilotables n’ont pas diminué depuis 2002 et restent elles aussi légèrement supérieures à 100 GW.

La diminution de leur parc nucléaire est compensée par de nouvelles centrales à gaz (+ 9,25 GW sur la période). D’où, d’ailleurs, le projet allemand de gazoduc Nord Stream 2, destiné à accroître leurs importations de gaz russe.

                                                             Figure 1 Évolution des capacités de production électriques allemandes (source : Fraunhofer Institute)

Sans gestion poussée de la demande, la production d’électricité solaire ou éolienne ne permet pas de diminuer le nombre de centrales, mais elle entraîne une réduction de leur utilisation.

Or, si la substitution d’une partie de la production électrique fossile par des énergies renouvelables a un effet positif sur le climat, cet effet est nul si ces dernières remplacent une production nucléaire qui n’émet pas de gaz à effet de serre (voir la figure 2 ci-dessous).

Le consommateur paie donc dans ce cas une redondance des capacités (nucléaire pilotable et renouvelables intermittentes) n’apportant pas de bénéfice sur le plan climatique ni environnemental.

              Figure 2 Intensité carbone de l’électricité, par source d’énergie et par technologie, sur le cycle de vie (infrastructures, chaîne d’approvisionnement, combustion…)

Impossible de fermer des centrales nucléaires ?

Deux options permettraient d’y arriver.

La première serait de remplacer, comme en Allemagne, les centrales nucléaires par une association de gaz d’importation et d’énergie solaire et éolienne.

Cependant, l’approvisionnement en gaz pose question à moyen terme du fait de l’augmentation de la demande mondiale liée à la croissance des pays en développement (Chine…) et au remplacement du charbon.

Cette piste creuserait donc notre dette, menacerait notre approvisionnement énergétique et augmenterait notre contribution au changement climatique car le gaz naturel émet plus de gaz à effet de serre que le nucléaire. Cette option n’est donc pas viable.

La seconde est de faire des économies d’énergie, constituées d’efficacité (les systèmes fournissent le même service en consommant moins d’énergie) et de sobriété (abandon de certains objets ou pratiques afin d’économiser de l’énergie).

Il s’agit d’une démarche qui doit être portée par l’ensemble de la société : moins consommer de façon générale, réparer plutôt qu’acheter neuf, vivre dans des logements plus petits, mieux isolés et moins chauffés, éteindre les appareils électriques lorsqu’on ne s’en sert pas, améliorer certains usages énergétiques (ajouter des portes aux réfrigérateurs dans les magasins), en supprimer d’autres (enseignes allumées la nuit, écrans publicitaires), etc.

Nous pouvons également apprendre à décaler certains usages : les capacités de production françaises étant calibrées pour répondre au pic de consommation de 19h en hiver, si chacun limite sa consommation à ce moment-là (en ne faisant pas fonctionner son électroménager en début de soirée), ce pic de consommation pourrait être atténué.

Cela permettrait en retour de réduire le parc de production pilotable, en fermant en priorité les centrales à énergies fossiles.

Pour aller un peu plus loin…

Admettons maintenant que chacun fasse un effort pour réduire et organiser sa consommation d’électricité. Serait-il alors pertinent d’arrêter des centrales nucléaires qui produisent de grandes quantités d’électricité bas-carbone (contribuant 70 fois moins au changement climatique que le charbon, 40 fois moins que le gaz et même 4 fois moins que le solaire photovoltaïque[1] ) ?

Sachant que pour limiter le réchauffement climatique à 2°C il faudra, à l’échelle mondiale, diviser par 4 nos émissions carbonées d’ici à 2050, nous pourrions aborder la question de la transition énergétique à l’échelle européenne plutôt que nationale et choisir, au lieu de fermer nos centrales nucléaires, d’exporter notre surplus d’électricité bas-carbone vers les pays voisins pour éviter une production à base de charbon ou de gaz chez eux.

Les conséquences du changement climatique étant mondiales, il s’agit d’un défi que nous devons relever collectivement, sans nous limiter à nos frontières.

[1] RapportClimate Change 2014: Mitigation of Climate Change, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)

 


Article paru dans Les Echos le 4 juillet 2018,

commentaires

COMMENTAIRES

  • L’article ci-après plus complet inclue les variations du Pib, la baisse des émissions, celles des capacités nucléaires etc.

    https://www.cleanenergywire.org/factsheets/germanys-energy-consumption-and-power-mix-charts

    Il y a bien eu baisse des émissions et baisse des capacités globales pilotables durant cette période malgré une augmentation notamment du Pib.

    La hausse des renouvelables a plus que compensé la fermeture de centrales nucléaires.

    Il existe des chiffres encore plus précis sur le nombre exact de fermetures de centrales charbon entre autres et sur les prévisions de fermetures qui sont nombreuses.

    Il ne faudrait pas oublier de relever que l’Allemagne n’a pas non plus pu exploiter toutes ses capacités éoliennes du Nord faute d’un réseau achevé avec les centre de consommation du Sud.

    Idem pour le réseau Entso-e de 39 pays dont elle fait partie et qui est en cours d’optimisation avec à la clé des gains d’efficacité très élevés.

    Qu’il y a par ailleurs des délais (administratifs/techniques etc) entre la fermeture d’une centrale thermique et sa prise en compte dans les chiffres officiels ensuite publiés.

    Les données sur le charbon ne sont pas juste théoriques ou techniques mais compte tenu de l’histoire industrielle spécifique de l’Allemagne (comme entre autres la Pologne) ont des implications sociales, électorales et politiques qui ne permettent pas de fermer une centrale aussi vite que possible. En pratique il n’y a donc pas que des aspects techniques.

    On ne peut pas non plus dire que l’électricité « se stocke mal » alors qu’on le fait depuis longtemps avec des rendements élevés.

    En terme de pilotage face aux variations très importantes de la consommation et par ailleurs des renouvelables, variable et intermittente, on sait également que le nucléaire n’est pas la solution la plus optimale tant au plan technique que plus encore économique.

    Les périodes sans guère de vent en Allemagne sont de l’ordre de 16 jours par an sur les données météo de plus d’une décennie et les capacités potentielles de stockage de type power to gas par exemple, de l’ordre de 6 mois (et 2 mois en France en l’état actuel).

    Pour ce qui concerne la France nos pics de consommation et notre thermosensibilité de 2,4 GWh par degré en baisse l’hiver qui est un record mondial et déjà de près de 600 MWh en été, est par contre bien une spécificité de notre mix énergétique très centralisé, préjudiciable et difficile à corriger.

    Et face aux missiles hypersoniques actuels nos centrales nucléaires sont devenues indéfendables et à très hauts risques durables.

    Donc pour juger et comparer des énergies il faut se méfier des conclusions hâtives à partir de quelques données incomplètes ou peu lisibles mais au contraire intégrer le maximum de paramètres fiables.

    Répondre
    • Energie+, vous n’avez pas remarqué d’assez près les données du Fraunhofer. Si l’on joue les puissances de biomasse et d’hydro, certes renouvelables, mais pilotables, on conserve et même on augmente la puissance de pilotables. D’autre part, les Allemands jouent comme nous avec le feu depuis un certain temps, en cherchant effectivement à réduire leur pilotable charbon, mais ce faisant ils diminuent leur marge de sécurité.
      Quant au stockage, je vous invite à lire G.Sapy sur le site de SLC.
      Bien à vous

      Répondre
      • Merci de vos remarques Bernard Durand. Les allemands se sont entre autres heurtés à des problèmes :
        – de réseau (notamment Nord = en bref production éolienne offshore et Sud = consommation),
        – de connexions inter-pays (ils ont appris la leçon comme la majorité des pays européens qui raisonnaient trop en « national » comme Georges Sapy que vous citez et qui n’intègre malheureusement pas assez les évolutions technologiques et approches décentralisées en cours dans la majorité des pays et Etats qui intègrent les énergies renouvelables (198) dont déjà près de 25 et non des moindres (Californie 5e économie mondiale) visent les 100% renouvelables,
        – de zones de stockage (ils perdaient les productions excédentaires et à bas coût) en se focalisant trop sur la liaison Nord/Sud

        Le stockage massif, comme l’hydrogène et biométhane via Power to gas, couplé à l’éolien et solaire est désormais compétitif pour les petits et moyens utilisateurs et dans la décennie en cours pour les grands industriels et utilisations à grande échelle (stockage massif, injection réseau, transports lourds etc). Voir étude récente “Renewable hydrogen‘already cost competitive” parmi plusieurs autres)

        Pour mémoire et concrètement, un plein hydrogène en France coûte actuellement environ 50 euros et un plein solaire à charge rapide (moins de 10 minutes) environ 3 euros. Comparez par rapport aux énergies fossiles, les choses changent plus vite que beaucoup ne le prévoyaient.

        Les allemands corrigent leurs erreurs dont celles citées plus haut et de fait ne mettent pas en péril leur production électrique. Ils font toujours partie comme le Danemark des 3 premiers réseaux les plus sûrs au monde selon les classements annuels. Nous sommes bien plus mal classés actuellement et, comme vous le savez sans doute et comme le confirme RTE dans son dernier rapport, la rénovation du nucléaire ancien et le retard pris dans les renouvelables et en particulier éolien en France, nous fait entrer dans une zone à risques de longues coupures d’électricité pour la période 2020 à 2025 (l’ouverture de l’EPR de Flamanville vient encore d’être retardée de 2 ans)

        Le site « Sauvons le climat » devrait plus objectivement s’appeler « Sauvons le nucléaire ». Moi je suis scientifique indépendant spécialisé en énergie depuis pas mal de temps alors j’observe ce que l’on dit de part et d’autres mais plutôt que de penser que les allemands seraient nuls et nous les meilleurs, il faudrait mieux comme le font 8 pays avec eux dans notre entourage proche et par ailleursles autres, regarder ce qu’ils font de mieux comme d’autres en matières d’énergie et retenir les meilleures solutions qui ne manquent pas. A force de penser que nous sommes les meilleurs, on finit comme à l’époque d’André Maginot par perdre du terrain et beaucoup d’opportunités au plan européen et international.

        Il y a des solutions excellentes dans beaucoup de pays au monde et il faudrait laisser tomber les déjà vieilles approches binaires renouvelables ou nucléaire mais voir les options réellement efficaces et rapidement économiquement acceptable et l’éolien en fait partie – malgré les opposants organisés dont les arguments sont souvent absurdes – et même si çà n’est qu’une des options à retenir.

        Plus de détails récents sur le mix allemand pour confirmation de ce que j’avance :

        https://www.agora-energiewende.de/fileadmin2/Projekte/2018/Jahresauswertung_2018/Agora-Annual-Review-2018_Energy-Transition-EN.pdf

        .

        Répondre
        • La question n’est pas de savoir si le stockage peut être réalisé avec de l’hydrogène, la réponse est connue depuis un siècle. le problème est son rendement et donc son prix: électricité => électrolyseur => compresseur => réservoir => pile à combustible => électricité = 25% soit un prix multiplié par 4 à cause de ce rendement puis encore par 2 pour les amortissements, les frais de fonctionnement et de personnel soit au final de l’électricité à 8 fois le prix de celle des éoliennes elles même plus chères que le prix du marché. Qui va acheter ce courant à 10 fois le prix du marché?
          et que deviendra son coté « renouvelable » quand on aura intégré tous ces intermédiaires?

          Répondre
    • Si la production de CO2 en Allemagne n’a pas augmenté, il n’a pas diminué non plus et c’est par ce que les gains charbon => gaz ont compensé les pertes « renouvelables + gaz » au lieu de nucléaire. Leurs milliards d’€ engloutis dans les « renouvelables » l’ont été en pure perte à cause de la fermeture de leurs centrales nucléaires.

      Répondre
  • En avril 17 on pouvait lire le scenario de Negawatt pour une transition énergétique radicale .
    Tout le programme se ramenait à réduire la consommation dans des proportions utopiques .
    exemples :
    « la consommation d’énergie primaire est réduite de 66 % en France métro entre 2015 et 2050 . »
    Autre argument : la consommation de viande est réduite de moitié .
    le résidentiel tertiaire réduit sa consommation en énergie finale de 56 % entre 2015 et 2050
    Tout est de la même veine . C’est prendre ses désirs pour la réalité .

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