« A très court terme, la France risque de devoir importer de l’électricité »

La fermeture de la centrale de Fessenheim est saluée par les opposants au nucléaire. La question de la production d’électricité décarbonée est du coup remise en cause. Pour Christian Jeanneau, senior Vice-Président nucléaire chez Assystem, c’est une mauvaise nouvelle pour le climat. Interview.

Fermer la centrale de Fessenheim, est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour le climat ?

En matière d’impact pour le climat, si nous mettons de côté les dogmes, l’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim est une très mauvaise nouvelle. En effet, le GIEC a encore publié très récemment l’intensité carbone des principales énergies utilisée dans la production mondiale d’électricité.

Et le constat est sans appel : alors que le nucléaire au niveau mondial émet 12g de CO2/KWh, c’est l’une des énergies les plus propres au monde, loin devant le charbon et ses ~720 g de CO2/KWh, soit 60 fois plus de CO2 que le nucléaire français mais également loin devant le gaz qui émet 40 fois plus de CO2, ou encore que le solaire qui en émet 4 fois plus (source GIEC).

L’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim est donc une très mauvaise nouvelle d’un point de vue climatique.

Comment l’énergie va-t-elle être compensée ?

A très court terme, la France risque de devoir importer de l’électricité. D’une part parce que compenser la perte de deux réacteurs de 900MWe prend du temps.

D’autre part, parce que, comme RTE l’indique, 6 autres réacteurs pourraient être déconnectés du réseau cet hiver compte tenu du retard pris dans les travaux de maintenance des centrales durant la période de CoVid.

La France pourrait devoir donc importer de l’électricité de l’Allemagne… qui ouvre une nouvelle centrale à charbon à Datteln. C’est d’ailleurs à la maille européenne qu’il conviendrait d’évaluer les politiques énergétiques.

En effet, avec le replacement de réacteurs nucléaires par des centrales à charbon en Allemagne et la volonté en Belgique de substituer des réacteurs nucléaires par des centrales à gaz, l’électricité en Europe, de l’ouest notamment, va largement se carboner.

La nouvelle Présidence de la Commission Européenne, qui veut faire de son plan de relance, son « Green Deal », un outil écologique et de résilience de l’Europe, devrait favoriser la construction de nouvelles centrales, notamment les EPR2, en développant des outils de financement dédiés par exemple.

A cet égard, il est regrettable qu’elle n’ait pas réussi à s’opposer à la décision de la Commission Européenne excluant le nucléaire de la liste des énergies « vertes » favorables à l’environnement dans le cadre de la démarche « taxonomie ». 

Combien de temps va durer le démantèlement ? Quelles sont les différentes étapes ?

En France, le démantèlement d’une installation nucléaire suit un processus réglementaire qui commence par une déclaration d’arrêt définitif au ministre chargé de la sûreté nucléaire et à l’ASN dès lors (ou au moins 2 ans avant) que l’exploitant envisage d’arrêter définitivement son installation et se termine par le déclassement officiel de l’installation. Il comprend généralement trois étapes qui s’étale, selon les expériences étrangères, sur une durée généralement comprise entre 12 à 15 ans :

La première étape du démantèlement consiste en l‘arrêt de l’installation : la production d’électricité est interrompue définitivement, tout le combustible est déchargé, les circuits sont vidangés et plus aucune matière radioactive n’est utilisée dans l’installation.

Cette phase de fermeture comprend l’arrêt de production définitif (ADP), la cessation définitive d’exploitation (CDE) et la mise à l’arrêt définitif (MAD) et peut durer quelques années.

La seconde étape démarre après l’obtention d’un décret de démantèlement après avis de l’ASN et enquête publique. Ce décret fixe les principales étapes du démantèlement, la date de fin du démantèlement et l’état final à atteindre. Lors de cette étape, tous les bâtiments (à l’exception du bâtiment réacteur) et tous les équipements de procédés sont démontés et l’ensemble des déchets produits sont conditionnés et expédiés vers les centres de stockage adaptés de l’ANDRA.

]La troisième et dernière étape correspond aux opérations sur site de démantèlement de la cuve, à la démolition des bâtiments du bâtiment réacteur et à l’assainissement des sols. A l’issue de cette dernière étape, le site est déclassé.

De nombreuses installations initialement conçues pour une durée de vie opérationnelle de 30 ans voient maintenant leur exploitation prolongée à 50, voire 60 ans. Est-ce justifié selon vous ?

En France, il n’existe pas de durée limite de fonctionnement d’une centrale. En revanche, tous les 10 ans, une visite, qu’on appelle décennale, est organisée par l’ASN qui, si elle se conclut positivement et émet une autorisation de fonctionnement pour les 10 années suivantes.

L’intérêt d’un prolongement d’une durée de vie pour l’opérateur, mais également pour les finances publiques, est donc prolonger. En effet, au-delà de la période initiale d’amortissement (40 ans donc), une centrale prolongée produit un kWh « débarrassé » de son loyer économique, c’est-à-dire de son amortissement et des intérêts du capital, ce qui représentent une part significative du coût total de production d’un électron.

Par ailleurs, d’un point de vue technique, l’autorité de sureté nucléaire américaine, la NRC, a donné en décembre dernier son feu vert pour prolonger jusqu’à ses 80 ans l’exploitation de la centrale de Turkey Point, sous licence Westinghouse et mise en service en 1972 et 1973… tout comme Fessenheim…

commentaires

COMMENTAIRES

  • Les écologistes seraient-ils les meilleurs amis du réchauffement climatique ?
    En demandant de sortir du nucléaire ils le sont objectivement.

    Et pendant qu’on ferme Fessenheim, l’Allemagne met en service la nouvelle centrale au charbon de Datteln, de 1 100 MW.
    Elle fumera encore dans quarante ans.
    L’avenir du charbon est assuré en Allemagne.

    C’est conforme à cette ancienne déclaration de Jürgen Trittin, chef du groupe des Verts au Bundestag:
    « Nous sommes prêts à accepter un retour temporaire au charbon comme source d’énergie afin d’épargner à l’Allemagne les effets destructeurs de l’atome. »

    Est-il plus urgent de sortir du nucléaire ou de sortir du réchauffement climatique ?

    http://ecologie-illusion.fr/transition-energetique-allemagne-france.htm

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