Nucléaire et déchets de très faible activité, le mieux serait-il l’ennemi du bien ?

Par Maxence Cordiez, ingénieur dans le secteur de l’énergie

La législation française impose de traiter comme radioactifs tous les déchets produits dans certaines zones d’une installation nucléaire, indépendamment de leur activité réelle.

Cette spécificité française empêche de recycler de grandes quantités de matière valorisable, ce qui est contestable sur le plan écologique et soulève des interrogations quant aux volumes de déchets de très faible activité à stocker.

En France, plusieurs secteurs d’activité produisent des déchets radioactifs. Si l’industrie électronucléaire vient naturellement à l’esprit, elle n’est pas la seule à en générer.

La défense (avec la propulsion navale et la recherche), l’industrie non électronucléaire (extraction de terres rares, contrôle des soudures, stérilisation alimentaire ou de matériel médical…), la médecine et la recherche en produisent également.

Le tri des déchets

Selon leur nature et leur origine, les déchets ne sont pas tous égaux en activité et en durée de vie. Ils vont de gravats très faiblement voire pas radioactifs mais provenant de sites nucléaires, à des verres contenant des produits de fission et actinides mineurs issus de combustible usagé, très actifs pendant plusieurs milliers d’années, en passant par les déchets de structure métalliques ayant contenu le combustible (moyenne activité à vie longue), des effluents liquides ou gazeux de faible ou moyenne activité à vie courte, etc.

Afin d’adapter leur gestion à leur dangerosité, les déchets sont triés en six catégories, selon leur durée de vie et leur activité : haute activité (HA), moyenne activité à vie longue (MA-VL), faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC), faible activité à vie longue (FA-VL), vie très courte (VTC) et, spécificité française, très faible activité (TFA).

En pratique, l’essentiel de la radioactivité (95%) est contenue dans les déchets de haute activité qui représentent 0,2% du volume total, soit 3740 m3 à fin 2017 (l’équivalent du volume d’une piscine olympique). Les déchets FMA-VC et TFA constituent l’essentiel du volume (60% soit 938 000 m3 pour les déchets FMA-VC et 31% soit 537 000 m3pour les déchets TFA) mais ils ne contiennent que peu d’activité : 0,03% du total pour les FMA-VC et 0,0001% pour les TFA.[1]

Cas des déchets TFA : gestion par « zonage » et seuil de libération

En France, tout déchet produit dans certaines zones à production potentielle de déchets radioactifs est obligatoirement considéré comme déchet radioactif, qu’il le soit ou non. C’est le cas des équipements de protection individuels (charlottes, gants…), des consommables (pots de peinture, bidons, boulons…) et machines industrielles (pompes, générateurs de vapeur, etc.).

C’est ce qu’on appelle une gestion par zonage. L’avantage de cette méthode est de ne pas avoir à mesurer des activités très faibles afin de détecter quel déchet est très légèrement contaminé et quel déchet ne l’est pas. Le stockage des déchets TFA ne coûtant pas très cher en France, cette approche est rentable tant que les volumes générés restent modérés.

Dans de nombreux autres pays, tels que le Royaume-Uni ou l’Allemagne, ne sont considérés comme déchets radioactifs, et gérés comme tels, que ceux qui le sont dans les faits. Il existe ce qu’on appelle un seuil de libération, qui correspond à une activité en-deçà de laquelle le déchet n’est pas considéré comme radioactif et peut être soit traité comme déchet conventionnel, soit recyclé s’il est valorisable. Ce seuil correspond environ à 1/450ede la radioactivité naturelle (10 µSv/an contre une exposition à la radioactivité naturelle en France d’environ 4,5 mSv/an[2] ).

Cette approche présente l’avantage de minimiser la quantité de déchets à traiter en tant que déchets nucléaires. Elle permet également de valoriser ce qui peut l’être (métaux, gravats…), mais elle requiert de mesurer de très faibles activités, ce qui peut être complexe.

Les limites de l’approche française

L’approche française de gestion des déchets « par zonage » ne pose pas de problème en opération, car des quantités relativement modérées de déchets TFA sont générées. Les choses se compliquent avec le démantèlement des installations anciennes (centrales, usines, laboratoires…) et le remplacement de composants du parc nucléaire.

Ces étapes produisent d’importants volumes de matière. La synthèse du dossier du maître d’ouvrage établie par l’Autorité de sûreté nucléaire dans le cadre du débat public sur le plan de gestion des déchets et matières radioactives estime que le démantèlement de toutes les installations existantes devrait générer 2 200 000 m3 de déchets de très faible activité. Or le centre de stockage dédié, le CIRES, a une capacité maximale de 650 000 m3. Même en ouvrant un nouveau centre de stockage, ces volumes restent élevés. En outre, une partie de la matière destinée à être mise au rebut est valorisable.

Les exploitants d’installations (EDF, CEA, Orano) estiment que 240 000 tonnes de gravats seront ainsi produites entre 2012 et 2033, dont 64 000 tonnes pourraient être valorisées.

Du côté des métaux, le démantèlement de l’ancienne usine d’enrichissement d’uranium George Besse 1 devrait générer 140 000 tonnes d’acier, ce à quoi il faut ajouter 100 000 tonnes d’acier avec le remplacement des générateurs de vapeur du parc EDF, ainsi que « 650 000 tonnes de métaux en vrac dont les exploitants nucléaires estiment qu’une partie significative est exempte d’activité. »[3]

C’est-à-dire que 900 000 tonnes de métaux relevant de la catégorie TFA pourraient potentiellement être valorisées. Si la mesure de l’activité précise de gravats TFA peut être complexe et explique la frilosité de l’ANDRA et de l’ASN quant à la mise en place d’un seuil de libération, il en va différemment des métaux.

Ceux-ci peuvent être fondus, ce qui permet une homogénéisation de la matière et une mesure plus simple.

L’entreprise Cyclife Sweden, filiale d’EDF, qui recycle des métaux issus de l’industrie nucléaire suédoise, produit ainsi des lingots qui peuvent ensuite circuler librement sur le marché mondial, être dilués avec du métal conventionnel pour assurer une marge par rapport aux seuils de libération ou être renvoyés au client pour être gérés comme déchets en cas de non-conformité (activité supérieure au seuil de libération).

Les lingots libérés peuvent l’être soit de façon inconditionnelle si leur activité est inférieure au dixième du seuil de libération, soit de façon conditionnelle, ce qui suppose une procédure entre Cyclife Sweden et l’industrie réceptrice des lingots, dans le cas d’une activité inférieure au seuil de libération mais supérieure au dixième de celui-ci.

Alors que la crise écologique impose de recycler ce qui peut l’être pour économiser les matériaux et l’énergie (nécessaire pour extraire et raffiner les métaux), la rigidité des procédures françaises actuelles devrait conduire à gaspiller par principe des centaines de milliers de tonnes d’acier, destinées à être mises au rebut dans des sites de stockage.

Peut-être la France pourrait-elle s’inspirer sur ce point de ses voisins (Royaume-Uni, Allemagne, Suède…) et rationaliser la gestion de ses déchets très peu voire pas radioactifs, ce qui représenterait un gain à la fois écologique et économique.

 

[1] ANDRA, Inventaire national des matières et déchets radioactifs, 2019

[2] IRSN, Base de connaissances, Quelle est la dose annuelle moyenne de radioactivité naturelle reçue en France ?, consulté le 2 juillet 2019,https://www.irsn.fr/FR/connaissances/faq/Pages/Quelle_est_la_dose_annuelle_moyenne_de_radioactivite_recue_en_France.aspx

[3] ASN, Rapport du groupe de travail sur la valorisation de matériaux de très faible activité, 28 juillet 2015

 

Crédit photo : Cyclife Sweden

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