nucléaire France

Leçons à tirer de l’arrêt forcé d’un nombre record de réacteurs nucléaires en France

Nous en sommes à présent certains, un tiers du parc nucléaire français se trouvera durablement à l’arrêt cet hiver.
Conséquence d’un conjonction de facteurs inédite en France (arrêts forcés d’un certain nombre de réacteurs nucléaires sur injonction de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) pour vérifications de composants, arrêts programmés par l’opérateur et arrêts pour incidents ponctuels), cette mise en sommeil de notre parc nucléaire et les inquiétudes qu’elle occasionne doivent nous conduire à interroger la stratégie mise en œuvre par les pouvoirs publics pour organiser le renouveau de la production énergétique française dans les prochaines décennies.

Vers des pénuries ?

Tout d’abord, l’arrêt forcé actuel démontre que le surplus de capacité de production est surestimé. En effet, il est déjà nécessaire de faire appel à des centrales alimentées au pétrole, gaz et même charbon, y compris à l’étranger. Une période de froid plus rigoureuse que la moyenne cet hiver conduira à des coupures électriques pour un grand nombre de consommateurs particuliers et d’industriels. Prétendre qu’une augmentation de la part des énergies renouvelables (ENR) dans le mix énergétique français pallierait ces pénuries momentanées est faux. Cette allégation ignore en effet l’un des points faibles majeurs des énergies renouvelables, leur caractère intermittent qui ne permet pas, pour le moment, de garantir l’alimentation électrique aux heures de pointe sauf mise en place de systèmes de stockage adaptés. Le remplacement même partiel du nucléaire par les ENR n’a donc pas été vraiment réfléchi et c’est inquiétant.

Cet arrêt forcé du tiers du parc nucléaire français est donc une préfiguration de transition énergétique qui, mal conduite, risque de générer des pénuries plus graves encore.

En effet :

Le vieillissement du parc exige de décider de la prolongation ou non d’une trentaine de réacteurs dans les 10 ans et du reste du parc dans moins de 20 ans. Que l’on veuille réduire ou pas la part du nucléaire, il faudra statuer sur le prolongement d’environ 15 à 30 réacteurs d’ici 2025. Des études sont donc à engager dès à présent à l’Institut de Radioprotection et Sûreté Nucléaire. Commanditées par l’ASN, elles auraient pour objectif de déterminer quels réacteurs peuvent être prolongés et à quelles conditions. Il est toutefois à craindre que ce travail n’aboutisse pas à temps étant donné l’importance du travail de fond sur le vieillissement de certains composants des réacteurs. Les polémiques sur la prolongation des réacteurs nucléaires risquant en outre de retarder le processus de décision. Finalement, à moins de décisions politiques claires très prochainement, la garantie de maintien du parc nucléaire même à seulement 50% de la production totale ne sera pas assurée en 2025.

« Le vieillissement du parc exige de décider de la prolongation ou non d’une trentaine de réacteurs dans les 10 ans »

Au vu de la part modeste d’investissements dans les ENR prévu dans la loi de Programmation pluriannuelle énergétique (PPE), on peut douter que ces derniers soient suffisants pour compenser le manque de production dû à l’arrêt des réacteurs les moins sûrs en 2025. D’autre part, la mise en route de plus d’un ou deux réacteurs EPR, vu les difficultés rencontrées dans les projets actuels, est peu probable avant 2030. Enfin, en prenant en compte l’intermittence nécessitant un stockage avec perte d’énergie et le développement de véhicules électriques gourmands en énergie, il faudrait investir dans les ENR trois fois plus que prévu dans la PPE pour compenser la baisse de la production d’énergie nucléaire.

« Il faudrait investir dans les ENR trois fois plus que prévu dans la PPE pour compenser la baisse de la production d’énergie nucléaire »

Le développement des technologies de stockage d’électricité d’origine renouvelable est indispensable pour le fonctionnement stable du réseau, notamment si la part des ENR dépasse 20%. Or cette question n’est pas abordée par les politiques. Probablement par ignorance des difficultés technologiques rencontrées, peut-être aussi par manque de courage devant l’ampleur de la tâche.

La stratégie énergétique au cœur du débat

En obligeant les responsables politiques et les citoyens à affronter les défis de la transition énergétique, cet arrêt forcé du tiers du parc nucléaire pourrait paradoxalement être salvateur.

« Cet arrêt forcé du tiers du parc nucléaire pourrait paradoxalement être salvateur »

Moindre recours à l’énergie d’origine nucléaire, développement des ENR et des technologies de stockage à un rythme soutenu mais raisonnable, prolongation de la durée de vie de certains réacteurs et éventuellement lancement de nouveaux réacteurs type EPR, autant de défis qu’il est essentiel de relever au sein d’une stratégie énergétique française réactualisée. Au risque de se voir contraint à un recours massif aux énergies fossiles carbonées dès la prochaine décennie. Le respect des engagements de la COP 21 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne serait alors qu’un pieu souvenir.

 

commentaires

COMMENTAIRES

  • Merci à Michel Cranga pour cet exposé tout à fait objectif de la situation actuelle de notre parc nucléaire et de la disponibilité de l’énergie dans les prochaines années.
    Le risque d’avoir à recourir tôt ou tard à de l’énergie carbonée est bien réel pour pouvoir assurer la couverture des besoins en électricité qui sont toujours croissants.

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