Comment l’isolation à un euro est devenue une machine à arnaque ?

Sur le papier, la mesure est excellente. L’isolation à un euro repose sur le principe aujourd’hui largement répandu du pollueur-payeur. Mais, très vite les premières dérives sont apparues et l’isolation à un euro est devenue une véritable machine à cash pour des entreprises peu scrupuleuses. Démarchage abusif, travaux réalisés à la va-vite ou encore fraude avérée : le système est rapidement devenu incontrôlable et a obligé les pouvoirs publics à — partiellement — sévir.

D’une mesure pleine d’espoirs à une machine arnaque

Le dispositif, lancé par l’État en 2017, repose sur la contribution financière de quelque 1 300 entreprises qui financent les travaux de rénovation des combles des particuliers. En échange, ces entreprises reçoivent des Certificats d’économie d’énergie (CEE) qui leur permettent de prouver qu’elles ont bel et bien financé leur quota d’économies d’énergie. Elles évitent, ainsi, de régler de lourdes contributions financières.

Un système gagnant-gagnant en somme. Qui avantage surtout les particuliers. En effet, la rénovation énergétique des combles peut entraîner d’importantes économies sur les factures d’énergie, pouvant aller jusqu’à 30 % du tarif global. Cependant, l’ADEME (ndlr. l’organisme en charge de la protection de l’environnement et de la transition énergétique) a publié les résultats d’une étude indiquant que les économies d’énergie n’atteignaient que très rarement les effets escomptés.

Les professionnels de l’isolation ont logiquement vu leur chiffre d’affaires exploser. Mais ce dispositif a aussi créé un effet d’aubaine dans lequel se sont engouffrées beaucoup d’entreprises peu scrupuleuses, entraînant dès lors une recrudescence des arnaques. Le marché, devenu ultra-concurrentiel, s’est transformé en champ de bataille, chacun cherchant à avoir la plus grosse part du gâteau.

Deux types de dérives ont été observées. Selon Nicolas Moulin pour La Dépêche, spécialiste des questions d’isolation et président de PrimeEnergies.fr, les premières arnaques sont avant tout commerciales. Des entreprises, se faisant volontiers passer pour des organismes étatiques ou assermentés par les pouvoirs publics, pratiquent un démarchage agressif par téléphone comme à domicile. Même chose sur le Web où certains sites se parent d’une apparence légale et affichent les logos gouvernementaux ou mettent à disposition des simulateurs à destination des particuliers.

« Souvent, quand on décroche, il y a un message du ministère de la Transition écologique et solidaire », évoquait un particulier en janvier dernier au site Bastamag. Des pratiques que confirme d’ailleurs tacitement l’ADEME. « Ils se font passer pour le département, la région… Ils donnent des noms qui sont potentiellement faux », explique un conseiller d’un organisme rattaché à l’ADEME.

Des arguments qui font souvent mouche auprès des personnes vulnérables, notamment les personnes âgées, plus susceptibles d’être victimes de démarchage abusif. Quant aux dispositifs existants, ils semblent totalement inadaptés pour protéger les consommateurs. « D’une manière ou d’une autre, ils savent que nous sommes propriétaires. Nous sommes pourtant inscrits sur Bloctel, mais manifestement, ça ne les arrête pas… », expliquait Martine à Marianne, en juillet 2019. 

L’autre type d’arnaques le plus répandu concerne la partie rénovation stricto sensu. Les travaux, très rapidement réalisés, ne respectent pas les normes en vigueur. Dans le meilleur des cas, aucun effet n’est à noter sur la facture d’énergie des particuliers. Mais, dans le pire des scénarios, des risques d’incendie ou une dégradation progressive du bâti peuvent subvenir à cause de travaux mal effectués. Et le service après-vente de ces structures est le plus souvent inexistant, laissant les particuliers démunis. En effet, pour beaucoup d’entreprises, le principe est le même : amasser, coûte que coûte, un maximum de clients et réaliser des travaux à la chaîne pour profiter du dispositif étatique.

Les pouvoirs publics sonnent la charge

Face aux dérives, les pouvoirs publics ont tenté de sévir. La récente loi contre le démarchage téléphonique abusif, votée le 31 janvier dernier, a ainsi interdit cette pratique dans le secteur de la rénovation énergétique des logements. Une mesure qui concerne évidemment l’isolation à 1 euro, mais aussi la vente de fenêtres ou de systèmes de chauffage.

Une première victoire pour l’association de consommateurs UFC — Que Choisir qui réclamait déjà une telle décision depuis 2018. De nouvelles mesures viennent par ailleurs compléter ce nouvel arsenal législatif, comme un encadrement des horaires autorisés ou encore une politique de name and shame destinée à désigner publiquement les entreprises coupables. Un répit bien mérité pour les consommateurs ? Pas réellement.

En effet, si le démarchage téléphonique est désormais interdit dans ces secteurs, il est encore autorisé dans bien d’autres domaines, notamment l’assurance, particulièrement touchée par les cas de vente abusive. Et le démarchage à domicile, lui, reste encore autorisé et demeure vecteur de nombreuses dérives, principalement pour ce qui est de la fourniture d’énergie aux particuliers.

Comme le rappelle le médiateur de l’énergie, dans le secteur de la fourniture d’énergie, le nombre de litiges explose et le démarchage à domicile est plus que jamais propice aux formes de vente abusives. En 2018, un Français sur deux a ainsi déclaré avoir été démarché pour une offre d’électricité ou de gaz. Ils n’étaient que 36 % en 2017. Et là encore, les dérives sont nombreuses et relèvent, bien souvent, de la tromperie.

Engie, Eni, Total Direct Energie…

Des sous-traitants de concurrents d’EDF, notamment Engie, Eni et Total Direct Energie, se font ainsi passer pour l’opérateur historique ou des agents chargés de relever les compteurs pour avoir accès à la facture des particuliers. De faux avis de passage sont signés cachant en réalité des contrats validant un changement de fournisseur d’énergie.

Comme pour la rénovation à un euro, toutes les méthodes sont bonnes pour amasser de nouveaux clients. L’UFC Que Choisir avait d’ailleurs, le 9 mars dernier, recueilli le témoignage d’un démarcheur, sous-traitant d’Engie et d’Iberdrola qui dévoilait des stratagèmes pour le moins édifiants.

Premier enseignement : le commanditaire, qu’il s’agisse d’un fournisseur d’énergie ou d’un de ses sous-traitants, n’est guère regardant sur les méthodes employées. Ensuite, les rémunérations peuvent être impressionnantes pour un démarcheur aux méthodes de vente douteuses. « Les premiers jours, on s’interroge, c’est pas clean, on a des doutes, et puis on gagne tellement bien sa vie qu’on oublie vite », explique Sylvain à l’UFC — Que Choisir. Un aveu qui pourrait s’apparenter à une prime à l’illégalité.

Pourquoi le secteur de l’énergie est-il un vivier si vivace pour ce type de dérives ? D’abord parce que les dispositifs étatiques à destination des particuliers y sont particulièrement nombreux, rendant les travaux particulièrement attractifs.

Ensuite parce que les consommateurs souffrent d’une profonde méconnaissance des transformations structurelles du marché, permettant par exemple aux démarcheurs de jouer sur l’ambiguïté entre EDF et ses concurrents. Et le démarchage, à domicile comme téléphonique, n’est que l’expression de ces réalités. Malgré le durcissement législatif récent, les particuliers demeurent des proies faciles.

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