L’hydroélectricité, « un atout précieux à la résolution de la question climatique »

« L’hydroélectricité est le géant oublié de l’électricité propre ; elle doit être carrément remise à l’ordre du jour de l’énergie et du climat si les pays sont sérieux au sujet de la réalisation de leurs objectifs nets zéro », affirme l’Agence Internationale de l’Energie. Selon elle, l’hydroélectricité est « l’épine dorsale » de la production électrique bas carbone dans le monde.

Un constat partagé par Dominique Grand, Christian Le Brun et Roland Vidil de Hydro 21, pour qui l’hydroélectricité est un atout précieux à la résolution de la question climatique. Interview.

En quoi l’hydroélectricité est-elle, selon vous, le géant oublié de l’électricité propre ?

L’hydroélectricité contribue pour près de 1/6 à la production mondiale d’électricité. Ceci la situe assez largement en tête des sources qu’on appelle renouvelables parce qu’elles sont alimentées par des flux naturels ininterrompus.

Dans le cas de l’hydroélectricité, le flux de l’eau qui l’alimente peut-être en partie piloté ou stocké grâce aux retenues d’eau. Ceci est une opportunité dont on verra toute l’importance par rapport aux flux éoliens et solaires sur lesquels on ne peut pas aménager de telles « retenues » et qu’on ne peut pas piloter.

En effet disposer de sources de production électrique pilotables devient un enjeu majeur de sécurité du réseau électrique dans la transition en cours, ainsi que l’a montrée une récente étude de France Stratégie.

Par ailleurs, l’hydroélectricité s’intègre bien dans les territoires. C’est le propre d’une technologie qui continue de progresser à partir d’une connaissance construite sur des décennies, par la rencontre entre les industriels et équipementiers et les acteurs des territoires (représentants élus ou économiques, associations de protection de la nature… ).

Ainsi l’hydroélectricité s’adapte à des normes environnementales plus exigeantes et apporte, en plus de la production électrique, des opportunités au développement du tourisme autour des lacs de retenue et à l’irrigation des terres agricoles.

Barrage de Grand Maison – Crédit photo EDF

Effectivement ce géant est souvent oublié. Pourquoi ? Sans doute parce que fonctionnant sans problème, on en vient à oublier sa présence dans nos vies et les services qu’il rend.

La situation française est-elle à l’image de ses voisins européens ?

La France est le premier producteur d’hydroélectricité de l’UE ex-aequo avec la Suède. Sa part de 12% de la production électrique la situe à la moyenne de l’Union Européenne, sachant que cette moyenne recouvre de grandes disparités entre les pays.

Ainsi l’hydroélectricité ne représente que 4% de la production électrique en Allemagne alors que ce pourcentage monte à 40% en Suède et de 63% en Autriche. Les pays scandinaves, bien irrigués et les pays de l’arc alpin aux grands dénivelés sont propices à cette forme d’énergie renouvelable.

Les Alpes firent de Grenoble le berceau de la houille blanche dès la seconde moitié du 19ème siècle, dotant alors la révolution industrielle d’une forme d’énergie propre. Près d’un siècle avant que la question du dérèglement climatique ne se pose, naissait une alternative aux énergies fossiles, comme le nom de « houille blanche » l’indique bien.

Aujourd’hui plus que jamais, l’hydroélectricité est un atout précieux à la résolution de la question climatique, car elle contribue à la stabilité indispensable d’un réseau électrique alimenté par une part importante de renouvelables.

Ainsi, si le Danemark a pu développer son parc éolien, c’est grâce à un puissant câble électrique le reliant aux pays scandinaves. Ces derniers gèrent l’intermittence de la production éolienne danoise à l’aide d’un important parc hydroélectrique.

L’hydroélectricité peut-elle avoir plus de place dans le mix énergétique français ?

En France, l’hydroélectricité peut difficilement faire considérablement plus en quantité car la plupart des sites sont équipés. Cependant la petite hydroélectricité peut encore se développer et de nombreux sites existants doivent être réhabilités. Mais elle a également un potentiel certain qui reste à développer pour répondre aux nombreux défis posés par l’évolution du mix énergétique.

Sa pilotabilité et ses possibilités de stockage, grâce aux retenues d’eau, en font un pilier de la transition énergétique. Aussi son apport doit être mieux pensé et intégré dans les orientations de la politique du pays et dans la communication auprès de nos concitoyens.

L’hydroélectricité fait bien plus que produire de l’électricité : elle permet de stabiliser le réseau, service qui doit être reconnu à part entière et organisé. Les sites existants doivent être améliorés pour mieux participer à la stabilisation nécessaire d’un réseau électrique mis à l’épreuve par l’augmentation de volume de productions intermittentes.

En matière d’écologie, avec le retour d’expérience, les normes évoluent pour une meilleure protection du milieu aquatique et naturel, ce qui est une autre raison de moderniser l’existant.

Pour répondre à ces deux défis, l’innovation et le développement technologique sont indispensables. Mais leur potentiel ne pourra pleinement se déployer que s’il existe une bonne coordination qui assure l’intégration des centrales hydroélectriques au fonctionnement du réseau et au développement des territoires. C’est un domaine qu’on ne peut pas livrer à une concurrence débridée qui conduirait à une évolution anarchique incompatible avec le but poursuivi.

Peut-elle soulager le réseau électrique à l’heure où les autres énergies renouvelables intermittentes se développent ?

Oui, l’hydro apporte, avec les autres sources pilotables bénéficiant de stocks, la possibilité de soulager le réseau des effets de l’intermittence des flux éoliens et solaires. Dans le futur dessiné par la loi de programmation de l’énergie, la PPE, la part de ces productions intermittentes, éoliennes et solaires, aujourd’hui de 8% du mix électrique, s’élèverait à 35% vers 2035.

énergie renouvelable
énergie renouvelable

Nous avons démontré, avec un physicien allemand, dans plusieurs travaux conduits à partir des données de la France comme de l’Allemagne et pour différents scénarios, qu’il faudrait déplacer un quart de la production des sources intermittentes des périodes de « vaches grasses » où les productions intermittentes sont supérieures à la demande aux périodes de « vaches maigres » où elles sont inférieures au besoin, voire nulles comme par les nuits sans vent.

Et compter sur les voisins européens pour nous aider semble illusoire dans la mesure où ceux-ci sont engagés, comme nous, dans l’accroissement de l’intermittence d’une production qui obéit aux mêmes aléas que la nôtre. Il est évident qu’il fait nuit en même temps en Europe.

Les manques de vent concordent aussi, fait moins facilement admis malgré notre connaissance de la taille continentale des mouvements de l’atmosphère montrés par les satellites. Or des études récentes ont confirmé que les productions éoliennes variaient en phase, y compris pour l’éolien maritime, et pouvaient s’effondrer en même temps en Europe.

Il faudra donc déplacer ou stocker un quart de l’électricité produite par les ENR intermittentes ce qui est un défi considérable.

Si on ne parvient pas à régler ce problème par le stockage et les sources pilotables n’émettant pas de CO2, les combustibles fossiles seront indispensables, en contradiction avec nos engagements de réduction des émissions.

Y a-t-il encore en France de la place pour la construction de nouveaux barrages ?

Oui assurément, il y a une place pour l’industrie française dans la construction de nouveaux barrages, non seulement dans notre pays mais dans le monde. Dans sa prospective pour 2050, l’association mondiale de l’hydroélectricité (IHA) estime nécessaire la mise en service de 850 GW supplémentaires d’hydroélectricité afin de tenir les engagements climatiques au niveau mondial.

renouvelables-hydroelectricite-jpg

L’industrie hydroélectrique française a construit dans la durée une expertise de premier plan, pour la construction des barrages et leur intégration au milieu, la conception et la réalisation des turbines et alternateurs, leur pilotage et raccordement au réseau électrique.

Elle doit pouvoir donner pleinement sa capacité et être soutenue par les pouvoirs publics si on veut apporter notre contribution à l’électrification nécessaire au développement des pays qui en ont besoin. Dans le même mouvement, ceci contribuera à l’industrialisation, à la création d’emplois et au redressement de la balance commerciale dont notre pays a tant besoin.

 

———–

Nota : Les informations données dans cet entretien proviennent en grande partie du livre Blanc de Hydro 21 intitulé « Hydro 2030, production et stockage » qui sera largement diffusé lors des Rencontres Business Hydro des 11 et 12 octobre 2021 à Grenoble (www.hydro21.org/business-hydro )

commentaires

COMMENTAIRES

  • Quand on parle d’hydro-électricité, jamais on ne parle des hydroliennes marines, là aussi il y aurait une ressource quasi inépuisable et propre !

    Répondre
  • Complètement faux!! Le changement climatique fait que l’eau stagnante s’évapore bien trop vite. Ce qui se passe sur la côte ouest des états unis depuis des années. C’est importe quoi. Nous avons juste ruiné les cycles de l’eau. Nos glaciers des Pyrénées et des Alpes auront quasiment disparus d’ici la fin du siècle…le.calcul est vite fait… le projet de tailler des blocs de glaces du pôle Sud a été relancé. C’est pas pour rien. ( Même si ça aussi c’est catastrophique…)
    Y a qu’une chose a faire. Cet je suis même pas que que ce soit faisable (matières premières colossales. Béton à mort! Acier etc; pour faire des cavités sous terriennes pour stocker l’eau de pluie. Et là intégrer un système hydroélectriques.
    Mais faire, même a l’échelle de la France…j’y crois meme pas. Et va falloir déjà régler le peobyde nos vieux barrages ! Qui vont fi or, dans pas si longtemps, par s’effondrer. Comme en chine. Ou comme les trop vieille infrastructures des états unis. Etc etc.
    Sur le sujet des barrages et du déréglement climatique, il t au mois une personne qui travaille dessus. (Et c’est une cata) c’est Gilles escarguel. Pour l’instant c’est au niveau de l’étude et de la recherche. Mais ce n’est pas le seul à étudier ça de près et d’annoncer que c’est pas une solution.
    Bien-sûr, comme nous sommes des neuneux, nous choisissons la voies de la facilité…comme toujours. Et comme toujours, c’est un mauvais choix. Une mauvaise voie.

    Répondre
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