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Comment expliquer la hausse de la consommation de charbon dans le monde ?

Carine Sebi, Grenoble École de Management (GEM)

Publié en décembre 2018, le récent rapport de l’Agence internationale de l’énergie indique que la consommation mondiale de charbon est repartie à la hausse (+1 % par rapport à 2017).

Cette tendance est inquiétante car malgré une prise de conscience globale sur les dangers du réchauffement climatique causé par l’accumulation des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, certaines grandes économies ne parviennent pas à substituer leur électricité produite à partir du charbon par une énergie moins carbonée.

L’utilisation principale du charbon concerne en effet la production d’électricité, avec les deux tiers de la consommation mondiale destinés à cette fin ; cette proportion atteint les trois quarts si l’on exclut Chine et Inde qui ont des usages traditionnellement plus répandus ; le reste de la consommation va à l’industrie (sidérurgie principalement).

Le charbon reste la source d’énergie la plus polluante : elle émet généralement deux fois plus de CO₂ que le gaz naturel, son principal concurrent.

Comment expliquer la hausse de la consommation de charbon dans le contexte du changement climatique ? Nous nous appuierons sur les différentes bases de données émises par le bureau d’études spécialisé dans le domaine de l’énergie Enerdata pour décrypter les grandes tendances mondiales.

La première énergie pour produire l’électricité

Dans le monde, la consommation de charbon utilisée pour produire de l’électricité croît au même rythme que la consommation globale d’électricité (2,8 %/an versus 3 %/an entre 2000 et 2017). De ce fait, la part du charbon dans le mix électrique mondial est restée globalement stable autour de 40 % depuis vingt ans. Même si l’on note une légère baisse de deux points depuis 2010, comme le montre la figure ci-dessous, cela n’empêche pas le charbon d’être la source d’énergie la plus utilisée pour produire de l’électricité dans le monde.

                                                                        Carine Sebi (données Enerdata), CC BY-NC-ND

Mais l’on observe des tendances opposées au sein des plus grandes économies : aujourd’hui, les efforts et les promesses de certaines régions pour renoncer à l’utilisation du charbon pour produire de l’électricité sont mis à mal par un lot de pays qui, au contraire, voient la part du charbon augmenter dans leur mix électrique.

C’est notamment le cas des gros pays producteurs de charbon : Indonésie (58 % d’électricité produite à partir du charbon en 2017, +18 points de progression entre 2010 et 2017- voir la figure ci-dessus), Turquie (33 %, +7 points) ou encore Inde (75 %, +7 points), le second producteur mondial derrière la Chine. Dans ce pays, le développement des énergies renouvelables et la construction de centrales au charbon plus performantes ne suffisent pas à absorber la hausse de la demande d’électricité qui croit en moyenne de 7 % par an depuis 2005.

D’autres pays, cherchant à diversifier leur mix énergétique, ont un recours croissant au charbon pour produire leur électricité : c’est le cas de la Malaisie (45 %, +10 points), du Chili (37 %, +9 points), de la Corée du Sud (46 %, +2 points) ou encore du Japon (33 %, +6 points). Du fait d’un manque de ressources disponibles sur son territoire, ce pays est l’un des plus gros importateurs de pétrole, de gaz naturel et de charbon. Entre 2011 et 2015, la part du charbon dans la production d’électricité nippone a dû significativement augmenter pour faire face à la fermeture des centrales nucléaires suite à l’accident de Fukushima.

Enfin, certains pays disposant de réserves nationales de charbon, comme les Philippines (50 %, +15 points) ou le Vietnam (34 %, +14 points), mettent en valeur cette ressource pour produire leur électricité et améliorer leur indépendance énergétique.

Recul en Chine, aux États-Unis et dans l’UE

Inversement, la part du charbon dans le mix électrique a fortement baissé dans la plupart des pays de l’Union européenne, en Chine et aux États-Unis. Les pays de l’UE réduisent fortement l’utilisation de ce combustible pour lutter contre le changement climatique (21 %, -10 points depuis 2000).

Le charbon garde encore un poids dominant dans certains pays charbonniers de l’UE, comme la Pologne (78 %), la République tchèque (49 %) ou l’Allemagne (39 %), quoiqu’en forte baisse.

La Chine, qui est de loin le pays qui consomme le plus de charbon dans le monde pour produire son électricité, met en place des politiques environnementales et énergétiques restrictives sur l’utilisation du charbon (68 %, -10 points) pour améliorer la qualité de l’air et contribuer aux efforts de lutte contre le changement climatique.

Les États-Unis qui, comme la Chine, sont un gros pays producteur de charbon, ont significativement réduit l’importance de cette source d’énergie dans leur mix électrique (31 %, -15 points), mais pour d’autres raisons. Ici, le recul du charbon s’explique par le développement et l’abondance d’une autre énergie carbonée, à savoir le gaz de schiste.

Au niveau mondial, la capacité des centrales électriques au charbon a progressé de 1 000 GW depuis 2000 et de 500 GW depuis 2010. Cette augmentation est principalement due à la Chine (+850 GW depuis 2000, soit 80 % de la variation mondiale) et dans une moindre mesure l’Inde (+150 GW depuis 2000).

La baisse sensible aux États-Unis et dans l’Union européenne (de 40 GW chacun depuis 2000) est compensée par une progression au Japon, en Corée et en Turquie (+70 GW dont 40 GW au Japon).

Les nouveaux pays du charbon

Fait plus étonnant dans un contexte de lutte généralisée contre le changement climatique, une vingtaine de nouveaux pays – dont neuf en Afrique (RDC, Égypte, Côte d’Ivoire, Kenya, Maroc, Mozambique, Niger, Sénégal et Tanzanie), trois en Amérique centrale (Panama, Salvador et République dominicaine), deux au Moyen-Orient (Émirats arabes unis et Jordanie) et trois en Asie (Bangladesh, Cambodge et Myanmar) se tournent vers le charbon.

D’ici 2025, plus de soixante-cinq centrales thermiques pourraient être mises en service dans ces pays, représentant une capacité de 50 GW (équivalente à plus de 2 % par rapport à la capacité mondiale de 2017). La plupart de ces pays n’ont même pas de ressources charbonnières, mis à part le Bangladesh et la Tanzanie.

Le plus souvent, ils développent leurs projets avec des financements indiens ou chinois, depuis que les grands organismes de financement internationaux ne soutiennent plus ce type de projet. On peut citer ici le mégaprojet de centrale à charbon de Lamu, construite par la China Power Global, avec l’aide de la Banque africaine du développement au Kenya.

Et à plus long terme ?

Les projections du service de prévisions Enerfuture s’avèrent moyennement optimistes, indiquant que d’ici 2040, la part du charbon dans le mix électrique au niveau mondial ne devrait diminuer que de 10 points.

L’Union européenne – qui vise la neutralité carbone d’ici 2050 – semble sur la bonne voie malgré la réticence de la Pologne qui souhaiterait subventionner ses centrales charbon au-delà de 2030.

La Chine, l’Inde et l’Indonésie, pour qui l’électricité est produite majoritairement à partir de cette énergie fossile, diminueront très fortement la part de charbon dans leur mix électrique, mais ne parviendront pas à réduire leur part au-delà de 35 %, du fait de l’abondance du combustible dans leur réserve nationale et son attractivité économique.

                                                                               Enerdata (Enerfuture, scénario Enerblue, janvier 2018), CC BY-NC-ND

Avec l’augmentation du taux d’électrification poussée par le développement de certaines économies émergentes et le déploiement de nouveaux usages électriques partout dans le monde (on pense notamment à la mobilité électrique), la demande d’électricité continuera d’augmenter à court et moyen termes.

Si les pays et régions du monde ne mettent pas les moyens pour remplacer cette énergie très polluante par des modes de production « plus verts », maintenir le réchauffement climatique dans des mesures acceptables semble compromis. L’enjeu se joue principalement au niveau des gros pays, à la fois producteurs et consommateurs tels que la Chine ou l’Inde, qui essayent de réduire leur dépendance à ce minerai.

Mais ces efforts seront-ils suffisants face à l’engouement pour un charbon abondant, facile à transporter et peu cher dans de nouveaux pays, comme au Bangladesh ; ou encore face à la mise en place de plans favorables au développement de cette énergie fossile, comme aux États-Unis, où les réserves de charbon sont conséquentes ?


Bruno Lapillonne, directeur scientifique d’Enerdata, bureau d’études spécialisé dans le domaine de l’énergie, a participé à la rédaction de cet article.The Conversation

Carine Sebi, Assistant Professor – Economics, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

commentaires

COMMENTAIRES

  • Cà n’est qu’une approche partielle, mais compte tenu de la part encore trop importante du charbon dans le monde et des aspects sociaux qui vont avec, il y a des moyens d’en réduire nettement la pollution voire d’exploiter les mines anciennes, y compris de grande profondeur par voie enzymatique, comme les travaux de l’Université du Delaware le démontre. Ca produit du méthane donc réduit nettement la pollution du charbon mais produit du C02.

    https://www.udel.edu/udaily/2019/january/termite-gut-microbes-extract-clean-energy-from-coal/

    Par contre çà remplace du gaz importé. Le bilan peut être optimal avec les piles à combustible méthane et le C02 peut être capté sous forme solide (comme le démontre entre autres l’Islande) et stocké ou utilisé autrement. En bref çà change notoirement le très mauvais bilan initial du charbon.

    Enfin lorsqu’une mine est totalement exploitée, elle peut servir au stockage d’air comprimé, de power to gas, de step etc comme c’est déjà souvent le cas dans plusieurs pays à des coûts compétitifs

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