fortes tensions sur lenergie reduction energies fossiles engendreront tres fortes tensions sur alimentation humanite - Le Monde de l'Energie

« De fortes tensions sur l’énergie et la réduction des énergies fossiles engendreront de très fortes tensions sur l’alimentation de l’humanité »

Le Monde de l’Energie ouvre ses colonnes à Marc Benoit, chercheur agro-économiste à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), pour évoquer la consommation d’énergie du secteur agricole, et les mutations qui pourraient découler de la crise énergétique et climatique, à partir de son article Céréales, élevage ou énergie ? Les terres agricoles attisent les appétit.

Le Monde de l’Énergie —Pourquoi l’élevage est-il nettement plus touché que les grandes cultures (céréales, oléoprotéagineux) par l’augmentation des prix de l’énergie ?

Marc Benoit —Pour produire 1 Méga-Joule de denrée alimentaire pour l’Homme, il est nécessaire d’investir beaucoup plus d’énergie s’il est question de viande ou de lait que s’il s’agit de céréales ou d’oléoprotéagineux. Cela est lié au fait que, pour une culture donnée (blé, maïs etc.), si on la destine plutôt à alimenter un animal qu’un humain, cela revient à rajouter un chaînon de plus (l’animal) dans la chaîne entre la production végétale et le consommateur final. Les animaux ont en général (surtout les ruminants) une faible efficience de transformation des aliments qui leur sont distribués… et cette efficience est dans tous les cas inférieure à un. Une partie de l’énergie qu’ils consomment est utilisée pour leur métabolisme et n’est donc pas retrouvée dans les produits qu’ils fournissent.

Par rapport à l’énergie contenue dans l’aliment consommé par l’Homme, la quantité d’énergie nécessaire à la production de cet aliment sera ainsi plus importante s’il s’agit de produits animaux que de produits végétaux. Pour 1 mégajoule d’énergie consommée, l’élevage produit entre 0,5 et 1 mégajoule sous forme de lait ou de viande, alors que les grandes cultures (céréales, oléoprotéagineux) en produisent plus de 6.

Le Monde de l’Énergie —De par leur coût qui va exploser (sauf forte hausse des subventions) et leur impact climatique plus important, la part des produits d’origine animale dans l’alimentation va-t-il fatalement baisser ?

Marc Benoit —Nos sociétés occidentales sont inféodées à la consommation d’énergie. L’augmentation du coût de l’énergie touche ainsi tous les secteurs économiques et les coûts de production augmentent de façon généralisée. Pour le consommateur, les augmentations de salaires, dans cette situation inflationniste, ne couvriront pas intégralement les augmentations du prix des produits et des services. Face à la baisse du pouvoir d’achat qui en découle et l’augmentation importante du coût des produits issus de l’élevage, le consommateur (surtout dans les ménages les plus modestes) va ainsi arbitrer ses achats de produits alimentaires. Il privilégiera ceux qui satisfont ses besoins nutritionnels à moindre coût. Et les produits animaux seront en très mauvaise position dans cet arbitrage.

Le Monde de l’Énergie —Outre une baisse de la production, comment l’élevage peut-il se réinventer pour répondre à ces problématiques ?

Marc Benoit —Une baisse de production est, de fait, à attendre, au moins sous nos latitude (Europe), sous deux effets : tout d’abord la baisse de demande liée à la baisse de consommation ; ensuite, les surcoûts de production que les éleveurs pourront difficilement répercuter intégralement dans les prix de vente. Ceux qui le pourront abandonneront l’élevage pour d’autres productions. Par ailleurs, une compensation par les pouvoirs publics ne parait pas tenable sur le long terme.

Dans ce contexte d’inflation importante du prix de l’énergie sur le long terme, la principale solution d’adaptation pour les éleveurs sera d’essayer de limiter cette dépendance à l’énergie, directe ou indirecte, c’est-à-dire autant celle directement consommée sur la ferme (carburant des tracteurs par exemple) que celle utilisée dans la fabrication des intrants qu’ils utilisent, comme l’engrais azoté.

Dans les systèmes d’élevage français (bovins lait ou viande par exemple, ou porcins), 75% des besoins en énergie directe et indirecte sont issus de l’alimentation. Cela recouvre la mise en œuvre des cultures, avec le travail du sol et en particulier le labour, la fertilisation, la récolte, la distribution. Il s’agit aussi les aliments achetés, qui ont fait appel à ces mêmes types d’énergie, transport en plus. Il faut donc privilégier les aliments produits à la ferme nécessitant peu d’énergie, comme l’herbe, et en premier lieu via le pâturage, pour éviter les coûts de récolte et d’épandage des effluents (fumier, lisier). Pour les porcs et les volailles il s’agira plutôt d’utiliser les co-produits de la transformation des cultures.

Le Monde de l’Énergie —Certaines terres libérées par l’élevage pourraient-elles être utilisées pour produire des biocarburants, sans remettre en cause la sécurité alimentaire ?

Marc Benoit —La question n’est pas facile car d’autres facteurs entrent en jeu. L’utilisation de surfaces dédiées à l’élevage pour la production d’énergie est déjà fréquemment observée, en particulier avec les champs de panneaux photo-voltaïques, mais aussi, lorsque les terres sont labourables, pour des cultures énergétiques (bioéthanol, méthanisation etc.). Une baisse importante de la consommation de produits animaux, à l’échelle globale, permettrait en effet de libérer des terres pour d’autres usages que l’alimentation, dont la production d’énergie.

Cependant, j’ai personnellement des craintes que les activités d’élevage, au moins à court et moyen terme, ne se réduisent guère, en parallèle du maintien d’une part majoritaire des énergies fossiles dans le mix énergétique. Une réduction drastique de l’utilisation des énergies fossiles pourra conduire à une tension énorme sur le coût de l’énergie. Les pays à fort pouvoir d’achat amplifieraient alors l’utilisation des surfaces agricoles, pour la production d’énergie.

Au-delà de la question de la remise en cause de l’élevage, cela conduirait, de fait, à des tensions très importantes sur le prix de l’ensemble des denrées agricoles destinées à l’alimentation humaine, ainsi qu’une accentuation de la déforestation et le maintien d’une agriculture très intensive, avec des intrants ayant des impacts très négatifs sur la biosphère et la santé humaine.

Plus simplement, j’ai le sentiment que de très fortes tensions sur l’énergie et la réduction importante de l’utilisation des énergies fossiles engendreront de très fortes tensions sur l’alimentation de l’humanité. Les pays qui ont les plus faibles ressources financières et une faible autonomie pour leur alimentation pourront alors connaître des crises alimentaires de grande ampleur.

commentaires

COMMENTAIRES

    • @ »Père vert » Serge,

      Surtout sur les perspectives Long terme du BioGaz à large échelle !!!

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  • M.Benoit se place délibérément dans le système actuel et dans la position de celui qui subit les aléas du marché. Il ne propose pas une politique volontariste claire et nette. Pour quelqu’un de l’INRAE c’est dommage! L’objectif 2050 impose pourtant de changer progressivement, mais en commençant tout de suite, nos pratiques agricoles et alimentaires. L’agroécologie a des techniques efficaces et éprouvées, à développer et à perfectionner encore mais elles existent. La diminution drastique de l’élevage industriel est incontournable. La diversification des cultures dans chaque région, la forte réduction des intrants chimiques, le développement des circuits courts, tout cela doit apporter un meilleur revenu à l’agriculteur avec un faible impact sur le consommateur. L’utilisation énergétique du végétal doit se limiter à ce qui n’entre pas en concurrence avec l’alimentation, pailles, tourteaux d’oléagineux, déchets. Il faut pour cela une politique claire, tenue sur le long terme, alors que nos gouvernements ont toujours été ballotés entre les divers lobbies et l’électoralisme. Il y a suffisamment de terre arable pour nourrir les français. Contrairement à d’autre domaines comme l’industrie et les transports où c’est complexe, on sait clairement quoi faire dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture, quelle direction suivre, on en a les techniques. C’est rageant de voir qu’on ne bouge pas.

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  • La réponse au problème n’est pas facile. L’élevage constitue, malgré tout, un apport de fertilisation organique non négligeable qui réduit d’autant l’apport d’intrants chimiques, même si l’efficience de transformation des aliments est plus faible qu’en grande culture. Un grande partie des surfaces agricoles en France (prairies naturelles) n’est exploitable que par les ruminants qui sont capables de mieux valoriser des végétaux impropres à la consommation humaine. Tout n’est donc pas blanc ou noir.

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  • La question sur la Agrocarburants et le biogaz n’est pas tranchée… quoi qu’en disent leurs supporters…

    Avec le risque de beaux changements climatiques dans les années à venir (petit emballement du système pas impossible) notre agriculture est menacée par bien des calamités et autres désastres (mais ce n’est rien comparativement à d’autres pays…). Faire des plans sur la comète avec le Biogaz relève de l’utopie, cela sera efficace dans certaines places et complètement concurrent de l’alimentation humaine en d’autres lieux suivant les années, c’est un Choix à faire en connaissances de causes et d’effets possibles par nos politiques mais aussi les investisseurs dans ce domaine… (les attitudes à la « petit Gibus » ne sont plus tolérables vu l’état des connaissances actuelles…)

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  • L’article pose de bonnes questions sur nos régimes alimentaires (trop carnés en moyenne) mais ne parle pas des importations énormes d’aliments pour les élevages industriels (plusieurs ports bretons sont équipés de silos et autres infrastructures pour favoriser ces importations…). L’origine de ces aliments est parfois douteuse (du Brésil notamment) dans le fond et la forme…
    La baisse de production industrielle de viandes entrainerait certes une baisse de consommation de certaines céréales et aussi une baisse des importations d’aliments, mais est ce que cela compensera(it) les baisses de production de céréales que l’Espagne et le pourtour méditerranéen pourraient avoir !?
    En regardant au global, les perspectives de production agricole sont potentiellement inquiétantes… même en consommant moins de viande… Si on continue la viande à gogos+ les Agrocarburants et qu’on ajoute le Biogaz à large échelle, cela risque de faire exploser la faim dans le monde (déjà en cours depuis 5 ans…) et les conséquences qui vont avec…

    Nota : La France avec ses façades maritimes et les espèces déjà présentes a un réel potentiel avec les Algues (cultivées sans intrants, ni « cides » divers et variés…) pour un peu d’alimentation humaine mais aussi animale – l’expression bijin saout en Breton (« algue à vaches ») illustre l’utilisation des algues comme nourriture pour le bétail – https://fr.wikipedia.org/wiki/Go%C3%A9mon

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    • https://www.doc-developpement-durable.org/file/Culture/culture-algues/La-fili%C3%A8re-algues/Usage%20traditionnel%20&%20proto-industriel%20des%20algues%20en%20Bretagne.pdf

      Pour avoir un aperçu rapide des ressources marines potentielles (avec historique du passé), Cf ci-dessus…

      Nota : Je me pose toujours la question de pourquoi les parcs éoliens ne sont pas prévus avec des zones d’aquaculture diverses intégrées et/ou intégrables (Surement dû à l’épidémie de « raisonnement systématique en Silo » de la pensée dominante actuelle…). Il y aura peu de navigation donc des zones exploitables durant la belle saison (soit de Paques à la Toussaint…) et pas franchement de concurrence d’usages de la place, si ce n’est de faire des réserves marines réelles sans pêche de quelque nature que ce soit (sauf à la ligne) plusieurs mois par an…

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    • En mars 2020, l’Union européenne a dévoilé sa stratégie « de la ferme à la table » (F2F), une politique ambitieuse visant à réduire l’empreinte carbone de l’agriculture. Mais celle-ci n’est pas sans problème pour l’alimentation des Européens ainsi que d’autres populations à travers le monde : https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/lukraine-un-grain-de-ble-dans-la-machine-f2f/ Et concernant l’impact climatique, le résultat n’est peut-être pas assi positif que ce que certains prétendent.

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      • @Cochelin,

        Je trouve la filière « insectes » en cours de développement en France potentiellement très utile dans les filières agroalimentaires, que ce soit pour la stabilité des engrais créés et aussi pour le maintien de protéines en circulation (et ne pas continuer à faire des molécules d’azote simple et polluantes comme dans les lixiviats de méthaniseurs) et ce dans l’alimentation animale (vertébrés et poissons) et/ou humaine (j’ai de très bons souvenirs des vers de bancoule en Nouvelle-Calédonie un gout de chlorophylle très prononcé mais amusant – https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/province-sud/farino/farino-les-caledoniens-ont-devore-les-vers-de-bancoule-1320308.html).
        Pour les Algues, la Santé et la longévité des consommateurs asiatiques d’algues devraient retenir notre attention (Japonais vivant bien vieux malgré des vies stressantes au travail, Coréens et Chinois du littoral…) A Quand un Monsieur ou Madame « Parmentier 2.0 » pour accélérer la consommation d’algues en France ???

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