« Les forêts ont un rôle crucial dans l’atténuation des changements climatiques »
Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Christine Deleuze, directrice du projet Stratégie Carbone de l’Office National des Forêts (ONF), pour analyser la place des forêts dans la lutte contre le changement climatique.
Le Monde de l’Énergie —En quoi les forêts jouent-elles un rôle dans la régulation du climat ?
Christine Deleuze —Le dernier rapport du GIEC vient de sortir et réaffirme le rôle réchauffant des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et la responsabilité indéniable de l’activité humaine dans leur augmentation : +1,1°C au niveau mondial, mais plus de 2°C en France métropolitaine.
Au niveau mondial, les forêts permettent de compenser environ un quart des émissions fossiles : elles ont un rôle crucial dans l’atténuation des changements climatiques, juste derrière les océans. L’enjeu à cette échelle est de limiter la déforestation.
En France, il n’y a pas de déforestation, puisque la surface forestière a au contraire progressé de 50% au XXeme siècle. La croissance de la forêt permet de compenser environ 10% de nos émissions, et 5% supplémentaires si l’on considère les sols forestiers, qui stockent des quantités équivalentes ou même plus fortes de carbone que les arbres.
Le Monde de l’Énergie —Les prélèvements de bois, pour la construction par exemple, perturbent-il l’absorption du carbone par les forêts ?
Christine Deleuze —La gestion durable de la forêt assure que chaque arbre coupé pour faire des poutres, des meubles ou des panneaux est relayé dans la forêt par des arbres plus jeunes, qui continuent à pousser : le principe de ce renouvellement en continu est d’assurer une stabilité de la production et un approvisionnement durable de la filière bois.
En même temps ces produits bois vont prolonger le stockage du carbone dans notre environnement et chaque citoyen peut amplifier ce stockage en allongeant les usages ou en contribuant au recyclage. Une poutre recyclée pourra stocker encore des années du carbone dans des panneaux par exemple. Bien plus l’usage du bois permet de limiter l’usage de matériaux plus énergivores et d’origine fossile. Cet usage contribue à baisser l’empreinte carbone de ces secteurs industriels. Le bois énergie récolté en même temps que le bois pour les poutres, permet d’économiser des énergies fossiles.
Le prélèvement de bois ne perturbe donc pas le bilan carbone mais le complète dans ce cadre de notre gestion durable.
Le Monde de l’Énergie —La stratégie Nationale Bas Carbone prévoit de doubler le puits de carbone grâce à la contribution des forêts. Comment est-ce possible ?
Christine Deleuze —La stratégie carbone actuelle (SNBC2) publiée en 2018 prévoyait effectivement de doubler le puits de carbone de toute la filière en amplifiant ce rôle de stockage dans les produits bois de longue durée et en améliorant le recyclage : la forêt et le bois peuvent avoir un rôle central dans la bioéconomie de demain. C’est un vrai enjeu de société pour fixer ce carbone et éviter qu’il ne reparte dans l’atmosphère. Chaque citoyen américain ou canadien stocke en moyenne 3-4 fois plus de carbone dans des produits bois qu’un français : nous avons un vrai potentiel à mieux valoriser les produits de nos forêts et à contribuer à l’atténuation des changements climatiques.
Le Monde de l’Énergie —Comment concilier cet objectif avec celui de l’adaptation des forêts face aux pressions climatiques et sanitaires ?
Christine Deleuze —La réelle difficulté est effectivement de garder ce potentiel d’atténuation de notre filière forêt-bois. Le changement climatique menace nos essences forestières comme le montrent les forts dépérissements de ces dernières années. Associées à la fragilisation de la forêt, aux sécheresses et aux canicules, les risques incendies s’amplifient. Pour pérenniser le rôle d’atténuation de la forêt, il faut aujourd’hui commencer par une forte stratégie de défense contre les risques incendies et d’adaptation de nos peuplements.
L’ONF est associé à la forêt privée à travers le Réseau Mixte Technologique AFORCE pour accélérer le transfert de la recherche et contribuer au partage de solutions. Des outils sont déjà disponibles auprès des gestionnaires pour réfléchir aux essences plus adaptées et organiser le renouvellement des peuplements dépérissants ou menacés. Ensuite il faut travailler avec la filière pour anticiper les changements que cela entrainera dans l’usage des bois et assurer le rôle d’atténuation de l’ensemble forêt-filière bois dans ce contexte de changement général.
Le Monde de l’Énergie —Quelles sont les priorités de l’ONF dans les années à venir ?
Christine Deleuze —Aujourd’hui l’ONF est engagé dans un programme ambitieux de renouvellement forestier, soutenu financièrement par l’État : la priorité est la recherche d’essences et de provenances adaptées, la compréhension des contextes pédoclimatiques de demain pour choisir aujourd’hui les cortèges d’essences à implanter. Ensuite notre gestion restera orientée vers la production d’un bois matériau de qualité, pour amplifier le rôle d’atténuation. Enfin des précautions sont mises en place afin de mieux préserver les stocks de carbone de nos sols forestiers. L’ensemble de ces actions sont en permanence alimentées par tout un réseau de recherche et développement directement en lien avec la recherche fondamentale pour accélérer le transfert de connaissances et de solutions. Il reste beaucoup d’incertitudes sur les évolutions à venir, mais face à ce contexte, la certitude est d’agir et de diversifier nos solutions.
COMMENTAIRES
La responsable de l’ONF aurait pu aussi ajouter les avantages des forêts dans le cycle de l’eau (en règle générale) et le fait que certaines forêts permettent en hiver de par la Nature du sol forestier de réellement recharger certaines Nappes phréatiques (si il pleut…) àl’inverse de beaucoup de sols agricoles en agriculture intensive (avec leur semelle de Labour et la « battance » créée en surface). Certaines essences d’arbres et certaines forêts permettent aussi de créer des micro-pluies locales ou du moins de l’humidité bénéfique en période de canicule…
Si, la rédactrice de l’article lit ce commentaire, j’aurais souhaité avoir son avis.
Pas mal de massifs forestiers français deviennent très sensibles à des risques d’incendies depuis peu. Faudra donc t’il faire des coupes/pares-feux comme dans la Forêt Landaise !? Si Oui, est ce que des fermes PV pourraient être installées sur ces zones pare-feux !?
Elle est bien bonne.
Que, à court terme, faire pousser un arbre « consomme » du carbone atmosphérique, ce bois finit toujours par se décomposer et à retourner dans l’atmosphère.
Sauf dans des cas exceptionnels comme les tourbières, tout se recycle via le CO2 de l’atmosphère.
Et je serais très surpris qu’une forêt ou jungle ancienne absorbe encore quelque chose.
@Hervé Guéret,
Vous êtes un peu dur mais réaliste sur les échanges globaux de carbone…
Le Bois de charpente de nos cathédrales stockent du carbone depuis des siècles, mais le sol en dessous plus grand chose du fait de l’artificialisation…
Se remettre à construire et consommer massivement du Bois peut nous permettre (un peu) de stocker du Carbone tout en augmentant l’efficacité énergétique de certaines batiments (bardage bois avec isolation).
Un point peu connu en France est le Biochar qui fait l’objet de multiples études scientifiques et qui sur certains sols (acide notamment) peut permettre de belles augmentations de rendement… tout en stockant du Carbone sur de longues durées… (https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/gcbb.12885) et pour le faire il faut du Bois…
Le biochar pourrait être utile à la méthanisation agricole, les lixiviats de méthanisation sont sur certains sols des désastres écologiques avec des fuites de partout dans les nappes et cela pourrait stabiliser ces « déchets » et augmenter la fertilité des sols en diminuant les intrants « neufs »… (mais là on s’éloigne des forêts…)
@APO
Qu’il y ait quelques trucs intéressants à faire, bien entendu, qu’il soit stupide de brûler les forêts anciennes, évidemment, mais en vue macroscopiques, laisser penser qu’en plantant des arbres on résoudra le problème des émissions de CO2 par nos industries, nos chauffages et nos voitures est malhonnête.
@Hervé Guéret,
Avec nos niveaux d’émissions actuelles, vous avez parfaitement raison.
A rajouter que bien des forêts françaises (et Allemandes) ne se portent pas bien et qu’une partie des essences s’y trouvant va être à supprimer dans certains lieux… (Il reste de vieilles forêts de chênes en Algérie, en fond de vallée et dans quelques régions d’altitude sur des sols un peu spécifique, j’imagine capable de stocker l’eau et/ou de drainer l’eau du voisinage pour maintenir des espèces gourmandes en eau dans des zones sèches l’été). Les arbres des forêts en piteux état vont être à « transformer » (Bois d’oeuvre et de chauffe) plutôt que de les voir partir en allumettes dans des feux de forêts massifs (comme en Gironde l’été dernier…). Au moins les « émissions » serviront à quelquechose…
Pour l’absorption de CO2 par de la Biomasse, les Algues peuvent faire pas mal de travail (avec des avantages intéressants et amusants sur le pH des eaux environnantes…). Mais cela restera maigre face à nos émissions globales actuelles, mais pas nul…
La ceinture dorée Bretonne longtemps très utilisatrice d’algues en amendement majoritaire est intéressante historiquement pour une utilisation de biomasse en engrais (plus besoin d’apport massif d’Azote de synthèse ) et les diverses industries historiques des algues aussi sont intéressantes… – https://fr.wikipedia.org/wiki/Ceinture_dor%C3%A9e#:~:text=La%20Ceinture%20dor%C3%A9e%20est%20le,le%20L%C3%A9on%20et%20le%20Tr%C3%A9gor. – Est-ce que l’on saura reprendre l’exploitation massive d’algues en manche !? (les nutriments sont là avec les embouchures de fleuves cotiers et la Seine, le CO2 aussi, et le développement des éoliennes au large pourrait aider…).