enjeu toits en ville dans transition energetique - Le Monde de l'Energie

L’enjeu des toits en ville dans la transition énergétique

Une tribune signée Philippe Alluin, Ingénieur-Architecte, chargé d’enseignement dans le Mastère Spécialisé®  TEC XX Transformation écologique des constructions du XXe siècle

 

En France, nos zones urbaines concentrent un peu plus de 40 % des consommations d’énergie. Les constructions neuves y étant de plus en plus rares, le véritable enjeu énergétique des villes se trouve en réalité dans les bâtiments existants. Les immeubles d’habitation construits durant les « trente glorieuses » y sont largement représentés, et sont couverts le plus souvent par les toits-terrasse. Dès 1910, Le Corbusier désignait dans ses Œuvres complètes le toit-terrasse comme l’un des cinq points d’une architecture nouvelle, en montrant combien ils pouvaient être multifonctionnels : on trouve sur les toits de la Cité Radieuse ( 337 logements, Marseille 1952) une école, un gymnase, des pistes de sport, belvédères et autres.

Mais les toits de nos immeubles modernes sont pour l’essentiel réduits à la fonction de toiture, et le plus souvent inaccessibles. A l’heure du réchauffement climatique, on incrimine les toits-terrasses et on envisage de les peindre en blanc. Effectivement, les toits-terrasse en ville, en général de teinte foncée, absorbent et stockent la chaleur (effet « albédo » ). Mais chercher des réponses sur cette seule question serait une grave erreur. Car ces toits-terrasse constituent de multiples opportunités pour de nouveaux usages : activités ludiques, nouvelles fonctions de service, production d’énergie, valorisation foncière et autres possibilités, souvent complexes et parfois contradictoires. Se contenter de les peindre pour les adapter aux problématiques de réchauffement climatique serait rater une l’occasion de revaloriser ces immeubles dans une réelle démarche vertueuse : ils occupent une place centrale dans le développement durable et la transition énergétique en ville, et constituent de réelles opportunités de valeur ajoutée.

Tout d’abord, les toits-terrasse en ville embarquent les questions de biodiversité : on peut facilement les « verdir » en transformant les surfaces minérales en surface végétalisées, apporter des solutions à la gestion de l’eau (rétention, absorption), et y faire émerger les activités d’agriculture urbaine. Les exemples de réalisations existent, encore trop rares.

Ensuite l’utilisation du foncier aérien par surélévation d’immeubles, qui s’inscrit dans l’histoire des villes, devient plus fréquente dans le contexte « Zéro artificialisation nette ». Hélas les récentes réalisations sont focalisées sur le seul objectif de dégager le maximum des bénéfices financiers au profit des propriétaires d’immeubles, le plus souvent au détriment des autres objectifs.

Mais surtout, en termes de production d’énergie, les toits-terrasse représentent un gisement important d’énergie renouvelable. A Paris, et selon l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme), 27 % des immeubles disposent d’un ensoleillement annuel moyen supérieur à 800 kW/m2, offrant 3,8 millions de m2 de toits plats d’une surface de plus de 200m2. Imaginer couvrir la totalité de ces toits de panneaux solaires n’est évidemment pas réaliste, d’autant que ces installations sont complexifiées par les contraintes d’ordre juridique, technique, et règlementaire. Des installations de production ont bien été ponctuellement réalisées, notamment sur des bâtiments de logement à vocation sociale et quelques équipements publics, mais ces réalisations sont faites sans réfléchir à une réelle intégration urbaine et patrimoniale.

C’est précisément cette absence de prise en compte de l’intégration des productions d’énergie dans leur contexte qui en fait le frein dans leur développement : les panneaux sont implantés en fonction de l’optimum technique et financier, ce qui donne des résultats déplorables en terme d’architecture. Quelques exemples d’une parfaite intégration existent, hélas trop rares.

Le développement des installations de productions d’énergie photovoltaïque en ville, qui devrait s’accélérer avec les récentes évolutions du cadre juridique de l’autoconsommation collective, ne sera possible, et accepté, que s’il embarque une vision globale du toit-terrasse.

Il s’agit donc de conduire un projet non pas en fonction d’un seul objectif, mais avec une vision d’ensemble embarquant les questions d’usage, de réchauffement, de biodiversité, de production d’énergie, et bien sûr d’équilibre financier. Cette posture convoque des compétences pluridisciplinaires qui s’imbriquent et sont interdépendantes (aspects techniques, architecturaux, juridiques et financiers). Cette complexité est confrontée à l’insularité des savoirs telle que la décrivait Bourdieu, ou Edgar Morin quand il expose les méfaits de l’hyperspécialisation dans notre monde contemporain.

C’est donc dans une approche approche globale et pluridisciplinaire des enjeux que nous devrions mettre en valeur les toits en ville, afin qu’émergent de nouveaux usages dont certains contribueraient au financement des travaux, et qu’à cette occasion on les rende actifs dans la transition énergétique (isolation thermique, confort d’été, gestion de l’eau, biodiversité), et bien sûr producteurs d’énergie. A l’étranger, cette nouvelle approche des toits-terrasse donne lieu à des actions de la part de collectivités locales et de professionnels, par exemple à Rotterdam, au travers des Rooftop Days, apparus voici huit ans. La première session parisienne a eu lieu les 9 et 10 septembre derniers, c’est un signe de prise de conscience du potentiel de nos toits.

On a là une réelle opportunité d’amélioration de nos villes et de notre patrimoine urbain, opportunité qui s’inscrit parfaitement dans les objectifs de la transition énergétique. Les architectes, techniciens du bâtiment et autres professionnels de l’immobilier devraient s’y employer sans tarder.

commentaires

COMMENTAIRES

  • Bonjour,
    D’accord avec les propositions ci-dessus mais n’oublions pas que
    – le matériel est importé le plus souvent de Chine (production et transport très carbonés) Il convient donc d’en tenir compte dans le bilan complet de chaque installation…
    – le soleil ne brille que la journée et surtout l’été. La règlementation oblige la production d’électricité pilotable à ralentir !!! Le photo voltaïque a besoin d’un back-up pour nous satisfaire quand il n’y a pas soleil (ou de vent). Le renouvelable est donc un investissement en double. Il ne faut pas s’étonner s’il y a un doublement du prix de l’électricité !!!
    – le vrai renouvelable devrait produire ET stocker l’énergie sur une longue période pour pouvoir être comparé aux productions pilotables.
    – … Tout doit être pris en compte, jusqu’au recyclage des matériaux.
    – … Il n’y a pas d’action humaine qui ne soit pas polluante (+ ou – , le plus souvent +++)

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    • Merci Stoclin d’enfoncer des portes ouvertes, car bien sûr vous êtes le seul à savoir ces faces ignorées de tous des renouvelables…. mais vous êtes aussi certainement le seul à ignorer les monstrueuses tares du nucléaire puisqu’on ne vous lit jamais sur ce sujet mis en parallele avec les renouvealbles.

      Répondre
  • Peindre les toits en blancs pour éviter la chaleur de l’été … mais les peindre en noir l’hiver pour conserver la chaleur : un corps de métier au bel avenir, mais une absurdité évidente.

    Si le prix de l’électricité a augmenté, c’est que le coût complet de production de l’électricité nucléaire a fortement augmenté au cour des dernières années, comme il résulte des études de la Cour des comptes.

    Le coût complet économique, le seul qui prend en compte la totalité des investissements, est passé de 49,6 €/MWh en 2010 à 59,8 €/MWh en 2013 et à 68,4 €/MWh pour l’année 2019 (euros courants).

    On n’ose imaginer quel a été ce coût de production de 2020 à 2022, avec une production en berne et des coûts d’exploitation et de maintenance en forte augmentation.

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  • @Canado
    Vous vous répétez !
    Un coût du nucléaire autour de 70 € / Mwh pour un service rendu tout autre que le « renouvelable », autrement dit de l’électricité 24h/24h, et pas seulement quand il y a du vent ou du soleil , c’est un prix qui satisfait bon nombres de fournisseurs et qui est bien en deçà des prix moyens du marché depuis des années .
    Et vos allégations gratuites ne sont pas confirmées pour l’heure où le nucléaire produit de plus en plus er revient à son niveau habituel d’avant le problème industriel des CSC (corrosion sous contraintes) qui semble résolu !
    Quant à l’utilisation des toitures pour du PV l’article décrit en partie les problématiques qu’elle pose ce qui limitera certainement son développement massif.

    Répondre
  • Quelles aberrations ne ferons nous pas au nom de l’écologie ?
    L’esthétique d’une toiture en matériaux traditionnels pour cet usage (tuiles rondes dans le midi, belles ardoises en Bretagne, dans le val de Loire, etc.), sans compter les dispositions particulières (à la Mansart, ou la variété de pente par exemple) est sans commune mesure avec la hideur des toits en terrasse, et est le plus souvent caractéristique d’une région. Mais l’avenir est à faire partout de l’uniformément laid. Lamentable.

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    • Il faut aussi avoir en tête la sécurité des installations et des structures qui les portent
      Les réglementations sur les prix d’achats ont des le début, valorisé a outrance une intégration qui s’est révélée cause de sinistres innombrables, au point que nombre d’artisans ne trouvent plus de décennale photovoltaïques.
      les assurances ayant dépensés 2 euros pour 1 cotisé.
      le fait d’enlever le matériau de couverture qui est souvent un excellent coupe feu, aggrave les infiltrations, (70% des sinistres)
      L’état, alerté des le début, n’a rien fait pour corriger cette aberration technique, appuyé sans doute par quelques architectes rances, sans considération pour la production affaiblie par la sous ventilation.

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      • Sous la pressions des assurances, la prime a l’intégration a été supprimée, puis rétablie avec des montants suffisamment faibles pour ne pas être trop incitatifs

        Répondre
  • En 2022, la France a importé pour 1.415 millions d’euros de panneaux photovoltaïques, dont 60% de Chine, et en a exporté pour 196 M€.

    C’est peu comparé aux importations d’ordinateurs portables : 5.187 millions d’euros, dont 90% de Chine, et exportations de 380 M€.

    Et à celles de téléphones portables dits « intelligents » : 5.597 millions d’euros, dont 67% de Chine, et exportations de 730 M€.

    La « paille » du PV critiquée est bien moindre que la « poutre » des ordinateurs et téléphones portables. « Poutre » beaucoup plus coûteuse pour notre balance commerciale, sans compter, à un autre ordre de grandeur, les importations de pétrole et de gaz naturel.

    Répondre
  • Le coût de production de l’électricité estimé par EDF pour la période 2026-2030 est de 74,80 €/MWh. Bien supérieur à celui de la CRE, lequel ne prend pas en compte les investissements.

    Le coût annoncé par EDF est dans la continuité de celui annoncé par son président en janvier 2015 au Sénat : 55 €/MWh à l’époque.

    Répondre
  • Précision :
    Le coût de production de l’électricité NUCLéAIRE estimé par EDF pour la période 2026-2030 est de 74,80 €/MWh. Bien supérieur à celui de la CRE, lequel ne prend pas en compte les investissements.

    Le coût annoncé par EDF est dans la continuité de celui annoncé par son président en janvier 2015 au Sénat : 55 €/MWh à l’époque.

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