L’enjeu des réseaux de chaleur renouvelable
Article de notre partenaire La Fabrique écologique
Les réseaux de chaleur sont constitués d’une chaufferie centrale (ou de plusieurs), de canalisations aller/retour enterrées et pré-isolées et de sous-stations d’échange et de comptage en pied d’immeuble (Figure 1).
Contrairement aux chaudières à combustibles liquides ou gazeux (fioul domestique ou gaz naturel), dédiées aux bâtiments à chauffer ou aux convecteurs électriques, cette configuration s’impose pour les combustibles solides (bois-énergie), la géothermie profonde, ou la récupération de chaleur fatale: incinération, process industriel, cogénération gaz naturel ou biogaz….
En effet, il est inenvisageable par exemple de créer en zone urbanisée autant de chaufferies bois, ou de puits géothermiques, que de bâtiments ou d’établissements en cause. C’est donc une forme de production/distribution de l’énergie thermique locale, mais centralisée à l’échelon d’une ville, d’un quartier ou désormais d’un gros bourg rural.
En France, le chauffage urbain est ancien : le réseau parisien a été créé en 1928 ! En dépit d’un fort développement autour des ZAC dans les années 60/70 et d’une relance à la charnière des années 2010, son poids dans la fourniture de chaleur demeure modeste : 760 unités en 2017 pour une livraison de 25 TWh (sur une consommation totale légèrement supérieure à 500 TWh).
Point positif : la proportion des énergies renouvelables et de récupération dépassent désormais 50 % et s’accroît d’année en année. A titre d’exemple, le parc des chaufferies bois de plus de 1 MW concernait en 2018 près de 350 réseaux de chaleur, y compris ceux alimentés par une unité de cogénération. La puissance installée se situait autour de 2 235 MWth.
Figure 1 : Principes techniques d’un réseau de chaleur renouvelable
En matière de développement des réseaux de chaleur alimentés par des énergies renouvelables, les objectifs de la transition énergétique à l’horizon 2030 sont très ambitieux : 40 TWh, soit une croissance de 60 % en 10 ans.
En Europe du Nord, les réseaux de chaleur sont beaucoup plus développés, pour des raisons climatiques évidentes, mais aussi de choix de politiques énergétiques privilégiant une forme de production/distribution de chaleur qui permet de faire très largement appel aux sources renouvelables. En Suède, la taxe carbone, instituée depuis près de 30 ans et qui atteint 125 €/tonne de CO2, a eu un très fort effet de levier sur le développement des réseaux de chaleur, notamment au bois (Figure 4).
Figure 2 et 3 : Etat des lieux des chaufferies bois > 1 MW en France
Figure 4 : Composition du mix énergétique des réseaux de chaleur en Suède
Le renouvelable émergent en compétition avec le fossile existant
Les combustibles liquides ou gazeux d’origine fossile cumulent des défauts macro-économiques et environnementaux bien documentés. Beaucoup d’arguments militent au contraire en faveur de la chaleur renouvelable via des réseaux à créer ou à étendre : économies d’énergies fossiles, valorisation des ressources forestières, lutte contre l’effet de serre et protection de l’environnement, aménagement du territoire et développement local, économie circulaire, création d’emplois locaux… (Figure 5).
Cependant des difficultés existent : lorsqu’une collectivité décide de créer un réseau de chaleur sur son territoire, elle s’engage dans un processus complexe et long, qui va s’étaler sur plusieurs années et peut s’avérer infructueux.
Pour les usagers, pressentis en premier établissement, le raccordement à un réseau de chaleur est simple dans son principe. Mais il implique un engagement de long terme, peu flexible. C’est un handicap, particulièrement vrai pour le secteur privé, mais parfois aussi pour des établissements publics ou même des logements collectifs.
Pour les usagers, les combustibles liquides ou gazeux et l’électricité présentent un avantage évident : on leur livre un produit « prêt à l’emploi » à domicile, qu’ils peuvent abandonner ou moduler à tout moment, ou bien conserver mais en changeant de fournisseur.
Ces « facilités » appréciées par les décideurs en charge de la gestion de l’énergie sur le terrain sont confortées par la dérégulation des marchés de l’énergie qui désormais permet de mettre en concurrence les fournisseurs et d’en changer.
Ceci n’est pas possible avec le réseau de chaleur, qui s’inscrit dans une démarche patrimoniale de long terme et de solidarités entre acteurs du territoire.
L’alternative renouvelable, même lorsqu’elle réussit à démontrer son intérêt économique par rapport à la référence fossile existante, n’est pas nécessairement perçue favorablement par tous les usagers potentiels : certains considèrent que l’adhésion au réseau, exigeant un abonnement contraignant de longue durée, les prive de leur liberté de choix. Cette situation est une illustration des difficultés de rendre cohérent le droit de la concurrence avec le déploiement de solutions durables.
Figure 5 : Atouts des réseaux de chaleur renouvelable
Les particularités juridiques des réseaux de chaleur
Sur le plan juridique, le réseau de chaleur est un service public à caractère industriel et commercial dont la mise en œuvre incombe à la collectivité ou à un EPCI auquel elle adhère, en gestion directe (régie), ou en gestion déléguée (DSP).
C’est une compétence optionnelle pour la collectivité. Bien qu’elle soit explicitement prévue par la loi (Code Général des Collectivités Territoriales), beaucoup d’élus méconnaissent cette faculté ou ne souhaitent simplement pas l’exercer.
C’est un point de blocage à surmonter puisque le maire et/ou les membres du conseil municipal doivent être convaincus de l’intérêt de la démarche, donc informés/sensibilisés par des spécialistes (ADEME, associations de développement des énergies renouvelables, entreprises du secteur de l’énergie, représentants de la forêt ou du bois).
Cette phase préliminaire doit permettre à la collectivité territoriale de s’approprier ce type de projets, alors que les consommations du patrimoine communal ou communautaire représentent une part faible de l’énergie totale qui sera distribuée par le futur réseau (souvent de l’ordre de 10 %).
La seconde particularité concerne le caractère facultatif du raccordement des futurs usagers, contrairement à d’autres services publics comme l’assainissement collectif qui sont obligatoires. Le futur usager d’un réseau de chaleur est déjà chauffé par une autre source d’énergie.
Rien à voir donc avec l’électrification ou l’adduction d’eau dans les campagnes des années 50, attendues alors comme le messie ! L’usager potentiel doit être approché par la commune (régie) ou son opérateur (DSP) dans le cadre d’une phase dite de commercialisation, avant l’engagement des travaux. L’accord du futur abonné quant à son basculement sur le réseau de chaleur s’effectue généralement à partir d’un comparatif, en coût global, entre la référence fossile (ou l’électricité) et l’alternative renouvelable.
Cette comparaison entre solutions centralisées (réseau) et décentralisées (chaudières à combustible liquide ou gazeux) est difficile à faire comprendre aux futurs usagers. Tout d’abord, il faut leur présenter de façon pédagogique le réseau de chaleur et leur démontrer que le service rendu comprend l’ensemble des charges de combustibles, d’exploitation, d’amortissement des équipements (rendu sous-station). Enfin mettre en regard ces coûts agrégés avec celui du combustible de référence, majoré des frais d’entretien et de renouvellement de la chaudière en place.
Ensuite, il faut faire accepter une tarification où le poids de l’abonnement (charges fixes d’amortissement et d’exploitation) est très lourd (plus de 50 % de la facture globale – Figure 6), contrairement à ce qui prévaut avec le gaz ou l’électricité que chacun a en tête comme point de comparaison.
Cette structure tarifaire, protectrice du service public local non mutualisé, en partie décorrélée du niveau de consommation constaté et d’éventuels efforts d’économies d’énergie, n’est pas bien acceptée par certains usagers.
Figure 6 : Structures de coûts comparées entre la situation de référence gaz et le réseau renouvelable (exemple bois énergie)
Un projet de réseau de chaleur n’est viable que si la grande majorité des usagers pressentis en premier établissement y adhèrent. Les raisons d’un refus de raccordement ne sont pas seulement financières mais relèvent aussi d’autres considérations, notamment comme on l’a rappelé d’un engagement de long terme, en possible contradiction avec le devenir de l’entreprise ou de l’immeuble, voire de la situation familiale dans le cas de maisons particulières.
Pas de création de réseau de chaleur donc, sans une longue concertation avec les usagers et sans leur adhésion majoritaire, sous l’égide de la collectivité et dans une atmosphère plutôt consensuelle.
Un processus démocratique, mais complexe et long
C’est un euphémisme de dire que la production / distribution des énergies centralisées n’a jamais fait l’objet de vrais et larges débats démocratiques. Leurs périmètres ont toujours fait partie du domaine réservé de l’Etat (nucléaire) et/ou ont été la chasse gardée des grandes entreprises multinationales (pétrole et gaz), avec ou sans capitaux publics.
Ce n’est pas le cas de la chaleur renouvelable : sa mise en œuvre, via un réseau de chaleur, suppose un bel exercice de démocratie locale participative et on ne peut que s’en féliciter. Avec pour contrepartie un processus s’inscrivant dans la (trop) longue durée, des études initiales à la mise en service des installations !
A partir de la décision de principe, la collectivité doit choisir un mode de gestion, souvent la régie pour les petites communes faute d’opérateurs vu la taille modeste du projet, plutôt la délégation de service public (concession) pour les villes moyennes et grandes où des sociétés spécialisées se positionnent en réponse à une consultation.
Les communes ont la possibilité de transférer leur compétence à un EPCI du type syndicat d’énergie, mais un tel transfert n’est actuellement ouvert qu’à un petit tiers du territoire hexagonal.
Pour les deux modes de gestion, les étapes technico-économiques et juridico-contractuelles sont assez voisines. A ceci près, qu’en régie, c’est la collectivité qui assume les relations et les responsabilités avec les différents partenaires (bureau d’études, entreprises de travaux, exploitant et fournisseur de combustible) et bien sûr avec les futurs usagers.
Dans le cas d’une concession, elle délègue ces missions mais a la responsabilité de choisir un prestataire de service, à l’issue d’une procédure de mise en concurrence prévue par la Loi Sapin de 1992, modifiée par l’ordonnance de janvier 2016. Elle a également un droit et un devoir de contrôle du délégataire.
Engagement et rigueur de la part des élus, de leur assistant et des autres partenaires, sont indispensables dans toutes les phases du processus : études préalables, construction, financement, exploitation/gestion sur le long terme.
À chaque stade, il convient de bien évaluer les risques sur les charges et sur les produits. Comme le dit le proverbe « le diable se niche dans les détails ». Les risques sur les charges peuvent résulter de choix techniques initiaux (surdimensionnement) et/ou d’une sous-estimation des investissements et des provisions pour gros entretien/réparation. Dans le cas des réseaux alimentés par des chaudières bois, une vigilance toute particulière doit s’exercer pour ce qui concerne le contrat d’approvisionnement en combustible (quantité, qualité, prix, indexation…).
Les risques sur les produits adviennent si la commercialisation des polices d’abonnement a été insuffisante et/ou lors d’une restructuration urbaine, d’importants travaux d’isolation des logements (légitimes par ailleurs au titre de l’efficacité énergétique), de la baisse d’activité ou de la disparition d’une entreprise cliente. Évidemment ces difficultés sont plus faciles à surmonter lorsque le réseau peut être redéployé, ce qui nécessite alors des investissements supplémentaires.
Les raisons qui justifient le développement des réseaux de chaleur renouvelable subsistent (aménagement du territoire et gestion raisonnée des espaces forestiers, développement de l’économie locale, baisse des émissions de gaz à effet de serre…).
Mais il convient aujourd’hui de lever deux obstacles majeurs, La compétitivité des énergies renouvelables par rapport aux références fossiles et le financement public et privé d’investissements lourds amortissables seulement sur du long terme.
Un développement contrarié, face à une conjoncture énergétique déprimée
La phase de commercialisation est d’autant plus longue (et les résultats incertains) que les prix des énergies fossiles sont bas et/ou orientés à la baisse. Le développement des réseaux de chaleur était ainsi plus facile et rapide dans le contexte qui prévalait il y a encore quelques années, lorsque le prix du baril de pétrole était supérieur à 100 $ et celui du gaz naturel beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui.
Figure 7 : Evolution du Baril de pétrole Brent en $/baril
Figure 8 : Evolution des tarifs réglementés gaz d’Engie depuis 2009
La forte dynamique de la fin des années 2000/début 2010 s’est enrayée, depuis la forte baisse du prix du pétrole et surtout du gaz naturel. Les projets bois par exemple, comme leur financement public (Fonds Chaleur), ont très fortement diminué : les opérations engagées en 2018 ayant été divisées par 4 par rapport à l’année record de 2010 (en TWh/an).
Figure 9 : Développement des projets biomasse et interventions du Fonds chaleur depuis 10 ans
Exemple d’un projet de réseau de chaleur ENR en 2019
Pour concrétiser un projet de réseau de chaleur, le prix de la solution renouvelable doit être nettement inférieur à celui des équipements fioul ou gaz en place, en moyenne d’au moins 10 % et même un peu plus pour certains usagers comme les bailleurs sociaux par exemple. Ce différentiel dépend du niveau du prix de l’énergie de référence, qui oscille d’une période à l’autre.
Deux mécanismes de soutien public (subventions aux travaux et TVA à taux réduit) permettent d’abaisser de manière automatique le prix de la chaleur renouvelable de l’ordre de 20 à 25 % pour un réseau de taille moyenne distribuant 20 GWh d’énergie thermique par an.
Actuellement, l’effet cumulé de ces deux dispositifs permet de ramener le prix du MWh utile peu ou prou au niveau de celui du gaz naturel, taxe carbone 2018 comprise. Du fait de cette absence d’écart entre la référence fossile et l’alternative renouvelable, on constate que certains usagers pressentis refusent de signer leur police d’abonnement ! (Figure 10).
Figure 10 : Impacts du Fonds chaleur et de la TVA à 5.5 % sur le coût final de chaleur des réseaux EnR et comparaison avec la référence gaz selon le niveau de contribution climat énergie taxe carbone
Conclusion
Actuellement, la création d’un réseau de chaleur renouvelable, de la prise de décision initiale à la mise en service, s’étale sur de nombreuses années, quand la démarche ne s’avère pas tout simplement infructueuse. Le processus est très complexe et la concrétisation d’un projet trop longue.
La réussite d’un réseau de chaleur renouvelable dépend par ailleurs beaucoup de l’engagement du Maire (ou du Président) et des élus qui doivent être très motivés et volontaristes. Pour mener à terme ces projets, ces élus doivent obtenir un consensus global au Conseil municipal (ou communautaire) et une adhésion d’une majorité des abonnés pressentis !
Ainsi faut-il mieux accompagner les élus locaux si on veut atteindre les objectifs ambitieux de l’Union européenne et des pouvoirs publics français en matière de changement énergétique et de réduction d’émission des gaz à effet de serre !
Plus particulièrement, les pouvoirs publics doivent être aux côtés des collectivités territoriales et des acteurs économiques pour surmonter deux difficultés majeures qu’affrontent les promoteurs et acteurs de la chaleur renouvelable : la compétitivité ; à défaut d’une remontée du prix de base des énergies fossiles, celle-ci passe par la taxation du carbone, dans la trajectoire initialement prévue par le parlement, mais avec une compensation financière pour les plus faibles ; Les financements publics et privés ; ceux-ci doivent être agrégés et simplifiés, au travers d’opérateurs régionaux, adossés à un fond de péréquation/ garantie à l’échelon national.