Embargo européen : « la Russie devra réduire sa production de pétrole pour éviter une saturation de son stockage »
Le spécialiste américain des matières premières Robert P. Ryan, du cabinet BCA Research, apporte au Monde de l’Energie son éclairage sur les effets de la crise russe sur la production et les cours du pétrole, à court et moyen terme.
Le Monde de l’Énergie —Les cours du pétrole ont connu un recul durant le mois de juillet 2022. Quels sont les principaux facteurs qui expliquent cette tendance récente ?
Robert P. Ryan —En glissement mensuel, la demande de pétrole en juillet a diminué de 220 000 b/j dans les économies non-membres de l’OCDE, que nous utilisons comme indicateur de la zone euro. La demande en DM (indicateur de l’OCDE) est restée stable d’un mois sur l’autre. Si l’on examine les comparaisons d’une année sur l’autre, pour éliminer les effets saisonniers, la demande mondiale de juillet 2022 a augmenté de 2,1 millions de barils par jour.
Les prix du pétrole ont baissé en juillet, reflétant les craintes des acteurs du marché d’une récession imminente, et d’un ralentissement en Chine, en raison de sa politique de tolérance zéro à l’égard du COVID-19 et d’une réduction du soutien fiscal et du crédit de la part du gouvernement chinois.
Les craintes de récession sont – pour l’instant du moins – sans fondement, car le chômage reste faible et les conditions financières n’ont pas contraint l’activité en dehors de la Chine.
En analysant les trois plus grandes économies en termes de pouvoir d’achat, on constate que la demande a augmenté de 800 000 b/j aux États-Unis et dans l’Union européenne (total de 1,6 million de b/j), et qu’elle a diminué de 20 000 b/j en Chine. Ces trois économies représentent chacune environ 16 % du PIB mondial.
C’est la première fois depuis la crise financière mondiale de 2008 que la demande de pétrole de la Chine baisse en glissement annuel. À l’approche de l’hiver, nous prévoyons que le passage du gaz au pétrole par les économies de l’UE et des pays émergents ajoutera 800 000 b/j au cours de la saison de chauffage (de novembre à mars), en raison de la flambée des prix du gaz naturel à l’échelle mondiale causée par l’interruption des livraisons de gaz naturel de la Russie à l’UE.
La demande chinoise devrait rester stable jusqu’à la fin du congrès du parti en novembre, après quoi nous prévoyons une augmentation du soutien fiscal et du crédit.
Le Monde de l’Énergie —En quoi l’embargo européen sur le pétrole russe change-t-il la donne, au niveau européen et mondial ?
Robert P. Ryan —À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février, l’UE a approuvé des embargos sur l’importation de pétrole brut et de produits raffinés russes par voie maritime, et des interdictions de couverture d’assurance/de réassurance pour les navires transportant des produits pétroliers russes.
L’embargo sur le pétrole brut prend effet le 5 décembre 2022 et celui sur les produits raffinés le 5 février 2023. L’interdiction de l’assurance/réassurance doit prendre effet en décembre.
La Russie devra donc réduire sa production de pétrole pour éviter une saturation de ses installations de stockage, à la capacité limitée, avant l’embargo du 5 décembre.
L’interdiction de l’UE en matière d’assurance et de réassurance est soutenue par le Royaume-Uni et les États-Unis. Elle affectera profondément la production russe, si elle est pleinement mise en œuvre, puisque les navires ne navigueront pas sans assurance.
Pour contourner les embargos de l’UE, les entreprises russes et chinoises vont développer les transferts de navire à navire en haute mer, ainsi que les services de traitement et de stockage externes, afin de masquer les exportations de brut et de produits.
Les embargos de l’UE forceront la Russie à réduire sa production d’environ 1,6 million de b/j d’ici la fin de l’année, pour atteindre 2 millions de b/j en 2023, selon nos estimations.
Le passage du gaz au pétrole en Europe stimulera la demande de distillats et de combustibles résiduels d’environ 800 000 b/j cet hiver.
Le Monde de l’Énergie —Quelles évolutions prévoyez-vous pour la fin 2022 et l’année 2023 concernant la production et les cours du pétrole ?
Robert P. Ryan —Nous prévoyons que le prix du pétrole brut Brent s’établira en moyenne à 119 $/b au 4T22, car les producteurs de pétrole russes devront commencer à ajuster les calendriers de production et de raffinage d’ici septembre pour éviter une accumulation massive et involontaire des stocks.
Il y a également 60 % de chances que les États-Unis acceptent de rétablir l’accord sur le nucléaire iranien cette année, ce qui permettra de remettre sur le marché 1 million de barils par jour venu d’Iran. Cela ne sera pas suffisant pour couvrir la perte de production russe suite aux embargos de l’UE.
Nous attendons de voir si les États-Unis prolongent la mise à disposition de leurs réserves stratégiques de pétrole, et quelle sera l’ampleur de cette prolongation. Le 1 million de b/j que le SPR américain mettait à la disposition du marché se termine en effet en octobre 2022 après six mois.