La Chine peut-elle devenir verte ?
Article signé Géraldine Kühn, chargée de mission à La Fabrique écologique
Le bilan précis des dégradations environnementales en Chine montre à quel point elles sont graves et indéniables, avec des effets directs sur la santé et la biodiversité. De nombreuses mesures écologiques ont pourtant été prises depuis le début des années 2000, avec un appareil législatif de protection environnementale très développé et de très importants investissements verts.
Comment alors comprendre que la situation ne s’améliore pas plus rapidement ? Quels sont les freins économiques, politiques et sociaux au développement de la civilisation écologique chinoise ?
La période maoïste et ses grands plans productivistes à l’échelle nationale, puis la course à la croissance entamée à la fin des années 1970 ont causé des dommages immenses et irréversibles à l’environnement chinois. Ces décennies ont également marqué une rupture nette entre l’homme et la nature en réduisant cette-dernière aux ressources qu’elle produit et aux richesses qui peuvent en être tirées.
Cette distanciation a conduit à une exploitation massive et destructrice des ressources naturelles dont les conséquences sont aujourd’hui évidentes : apparition de « villages du cancer », multiplication des scandales alimentaires, terres inutilisables et eaux déclarées dangereuses par simple contact…
La liste est loin d’être exhaustive et, face à de tels signaux d’alarme, le gouvernement chinois a progressivement renforcé la prise en compte des enjeux environnementaux : mise en place d’un cadre législatif et institutionnel de protection environnementale, politiques volontaristes dans les Plans quinquennaux, investissements massifs dans les énergies renouvelables et les « éco-cités » et engagements croissants à l’échelle internationale.
Ce tournant est souvent regardé avec suspicion, et de nombreux observateurs dénoncent de pieux engagements qui ne viseraient qu’à calmer les exaspérations citoyennes et internationales.
La question du modèle autoritaire chinois se pose aussi : peut-il laisser une place à l’environnement en l’absence de liberté d’expression des citoyens ? En réalité, le parti communiste chinois a tout intérêt à améliorer les conditions environnementales du pays et a d’ailleurs mis en place de multiples mesures dans le sens d’une plus grande protection de l’environnement.
Pour autant, et comme pour de nombreux autres pays, l’applicabilité des mesures en place doit être questionnée : malgré un système législatif très complet, de nombreuses institutions environnementales et des investissements croissants, la Chine a en effet vu son environnement continuer de se dégrader au XXIe siècle.
Comprendre les principaux facteurs économiques, politiques et sociaux à l’origine de ces difficultés est indispensable : les carences écologiques de la gouvernance chinoise ont de fait des conséquences mondiales, notamment sur les dérèglements climatiques, la Chine étant le plus gros émetteur de GES.
Avoir une compréhension exhaustive de ces obstacles est aussi essentiel afin de replacer dans son contexte le rôle central de la Chine lors des dernières COP. Certains observateurs en viennent ainsi à la qualifier de nouveau leader de la lutte contre le changement climatique : mais, est-elle réellement en capacité d’assumer un tel rôle ?
Un modèle de croissance polluant et destructeur
Le parti communiste chinois a basé sa légitimité politique sur la croissance économique et cherche ainsi à tout faire pour la garantir, il en va de sa survie au pouvoir. Mais la production n’est pas rationalisée et reste largement basée sur le charbon.
L’économie verte peine également à être réellement efficace. Ce modèle de croissance polluant constitue le premier grand obstacle à la protection environnementale en Chine.
Des modèles d’urbanisation et de production, causes de la pollution atmosphérique
Le développement récent et très rapide de la voiture, couplé à une urbanisation peu ou pas contrôlée, sont de plus en plus préoccupants. Ces phénomènes sont d’autant plus inquiétants qu’ils sont toujours en cours et ne semblent pas devoir ralentir au vu de la dynamique démographique chinoise : en 2016, les Chinois ont acheté 28 millions de voitures et en 2020 la Chine comptera 800 millions d’urbains.
En l’absence de plan d’urbanisation mettant en place des alternatives de mobilité douce et avec de nombreux véhicules qui ne respectent pas les normes, la voiture est devenue une source majeure de pollution. L’explosion du parc de voitures individuelles conduit entre autres à une hausse annuelle de 6% de consommation de pétrole.
De manière plus générale, les villes chinoises sont souvent synonymes d’émissions accrues de GES, de pollutions locales dangereuses pour la santé et d’artificialisation de terres arables.
Mais la principale coupable de la pollution atmosphérique chinoise reste l’industrie : malgré la tertiarisation de l’économie, le secteur industriel représente encore plus de 40% du PIB du pays.
Même si les politiques gouvernementales ont permis une baisse de l’intensité énergétique, cette-dernière ne suffit pas à compenser l’augmentation de l’activité. Dans le même temps, les industries dites stratégiques (notamment la production d’acier, le secteur de la construction, etc.) sont encore largement soutenues par des subventions gouvernementales.
En 2015, Chai Jing, journaliste et ancienne présentatrice vedette de CCTV, dénonçait déjà les proportions de la pollution de l’air dans un reportage qui, malgré la censure, a eu un écho considérable en Chine.
Parmi les principales causes de cette pollution, elle soulignait les incohérences du modèle productif chinois : sur les 39 industries lourdes que compte la Chine, 22 sont en importante surproduction.
Et entre ces industries, la concurrence ne se fait pas sur la qualité mais sur les prix et les quantités vendues : chaque unité de production cherche à vendre toujours plus, pour toujours moins de yuan, peu importe si cela suppose l’émission de plus de particules et gaz nocifs.
Cependant, il faut bien replacer cette incohérence dans son contexte : depuis les années 1980, la Chine est très largement intégrée dans la mondialisation et les incohérences de la production chinoise ne peuvent être comprises hors du modèle économique mondial. En tant qu’ « atelier du monde », le pays a longtemps misé sur les exportations à bas coûts afin de satisfaire la demande des pays industrialisés : l’usine Foxconn à Shenzhen en est un exemple frappant.
De la même manière, jusqu’à début 2018, la Chine était la principale poubelle du monde : elle recevait 7,2 millions de tonnes de déchets par an, soit près de la moitié des déchets mondiaux ; elle a depuis décidé d’interdire les exportations de déchets sur son territoire.
La principale conséquence de cette logique de rentabilité est l’utilisation massive du charbon. Il s’agit en effet d’une source d’énergie très bon marché en Chine : l’Empire du milieu possède des réserves importantes et de très nombreuses centrales à charbon prêtes à les exploiter.
Ce coût très faible en fait l’énergie préférée des industries chinoises, et de loin : 80% de l’énergie primaire du pays vient du charbon, et la Chine représente à elle seule 48% de la consommation mondiale.
La part du charbon dans le mix énergétique chinois diminue grâce aux investissements dans les énergies renouvelables, mais en termes absolus sa consommation augmente encore et toujours, et de nouvelles centrales continuent à sortir de terre.
L’AIE prévoit ainsi une hausse de 0.5% par an de la consommation de charbon chinoise, au moins jusqu’en 2023. Autre problématique : cette énergie devient de plus en plus émettrice car, pour réduire leurs coûts de production, les industriels chinois utilisent une qualité de plus en plus médiocre de charbon, le lignite, qui émet beaucoup de cendres.
Le développement irrationnel et peu efficace de l’économie verte
Pour tenter de réduire la pollution atmosphérique due à cet usage incontrôlé du charbon, la Chine investit massivement dans les énergies renouvelables : pays leader, elle a représenté à elle seule près de 40% des investissements mondiaux de l’année 2017 et compte les financer à hauteur de 360 milliards de dollars ente 2018 et 2020.
Cette politique volontariste répond à des objectifs ambitieux : le gouvernement central désire atteindre 15% d’énergies non fossiles dans le mix énergétique chinois en 2020 et 20% en 2030. Mais l’utilité réelle de ces investissements est en partie questionnable : le parti communiste incite à la création d’infrastructures mais la demande ne suit pas, du fait des prix élevés de cette énergie.
Le secteur est ainsi d’ores et déjà en surproduction et 35% de l’énergie produite par le solaire et l’éolien n’est pas utilisée [8] ,: jugée trop coûteuse, elle n’est souvent même pas connectée au réseau central d’électricité !
Comme le soulignent Stéphanie Monjon et Sandra Poncet dans leur ouvrage : « en l’absence de progrès techniques significatifs et sans une modification en profondeur du fonctionnement du système de distribution d’électricité chinois, l’installation d’éoliennes et de panneaux solaires, même à un rythme frénétique, ne suffira pas à faire reculer la demande de charbon ».
Dans un article paru en 2017, Mylène Gaulard décrit ainsi ces investissements comme un « simple subterfuge » qui serait utilisé pour masquer les difficultés à réduire la part des énergies fossiles dans la consommation nationale.
Ce qui est certain, c’est que ces énergies ne sont pas viables sans mécanismes financiers pour inciter les entreprises et les individus à se détourner du charbon. Les énergies renouvelables ne seront pas non plus utilisées tant qu’elles se heurteront aux intérêts des gouvernements locaux qui protègent les centrales à charbon déjà implantées sur leurs territoires.
Il y a donc un clair décalage entre les objectifs fixés par le gouvernement central et leur applicabilité au niveau local, ce qui peut avoir des conséquences finalement très néfastes pour l’environnement.
Cette difficulté à développer une économie verte et les conséquences potentiellement dévastatrices de projets démesurés s’illustrent de manière frappante avec le développement des éco-cités.
Ces villes supposément écologiques sont construites pour répondre au défi humain et climatique que constitue l’urbanisation chinoise. Inclusion d’espaces verts, gestion des déchets, utilisation d’énergies renouvelables et maximisation de l’efficacité énergétique, utilisation de véhicules électriques : les éco-cités semblent parfaites sur le papier. Mais le décalage entre les objectifs affichés et la réalité peut être colossal.
En l’absence de définition claire et de standards, le risque est grand que les éco-cités ne deviennent rien d’autre qu’un label au cœur d’une stratégie marketing ou politique. Ces projets répondent en effet bien souvent à une logique de vitrine, et ne s’inscrivent donc pas dans les besoins immédiats des territoires locaux : de nombreuses éco-cités sont aujourd’hui à l’abandon, faute d’habitants.
C’est le cas de Caofeidian, construite en 2003 et déclarée « ville fantôme » en 2015. D’autres villes ne respectent plus les critères environnementaux initialement fixés dans le cahier des charges. Finalement, les éco-cités peuvent même justifier une urbanisation effrénée et toutes les conséquences écologiques désastreuses qui l’accompagnent : artificialisation des sols, importation de quantités considérables de matériaux de construction, faible intégration territoriale, etc.
Les projets sont ainsi de plus en plus dénoncés comme étant démesurés, impliquant des coûts très élevés et s’inscrivant dans une démarche top-down poussée à l’excès, sans prise en compte du contexte local, du climat ou de la géographie.
On commence dès lors à se rendre compte que les obstacles à la concrétisation de la « civilisation écologique » décrite par XI Jinping trouvent également leurs sources dans les incohérences institutionnelles du régime chinois.
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