Le bâtiment et les « consommations d’énergie mobilières »

Par Emerson Cabane, ingénieur bâtiment

Quand on entend parler d’énergie dans le bâtiment, une majorité de personnes (professionnels ou non) pensent instinctivement : chauffage, éclairage et eau chaude sanitaire en laissant bien souvent de côté, à tort, les dénommés « usages mobiliers ».

Tour d’horizon de ces usages pour en apprécier l’importance grandissante, voir essentielle, en particulier dans les bâtiments neufs.

Usages mobiliers : de quoi parle-t-on ?

Tout d’abord, il convient de définir quels sont ces fameux « usages mobiliers » et ça commence mal car aucune définition n’est, à ce jour, clairement posée dans les documents officiels.

Dans le référentiel E+C-, il est écrit que « les équipements mobiliers regroupent tous les appareils liés aux « autres usages du bâtiment »». Ils sont donc officiellement définis comme ne faisant pas partie :

  • Des usages RT 2012 : chauffage, refroidissement, éclairage, ECS et auxiliaires (pompes, circulateurs et ventilateurs)
  • Des autres usages immobiliers : les ascenseurs, l’éclairage et la ventilation des parties communes

Le rapport du groupe d’expertise 09 de la préparation de la RE 2020 propose une autre définition :

« Les équipements dits mobiliers sont ceux qui ne sont pas attachés au bâtiment, mais généralement apportés par les occupants. Ici, on s’intéresse aux équipements mobiliers consommateurs d’énergie : informatique, électroménager, hifi, éclairage d’appoint, etc. ».

Ces deux définitions permettent de cerner ce que sont ces usages même si une définition officielle plus claire mériterait d’être apportée.

Usages mobiliers : ça pèse combien ? 

Dans le parc actuel :

Contrairement à ce que l’on peut penser de prime abord, les usages mobiliers sont loin d’être anecdotiques. Dans le résidentiel par exemple, on peut estimer la part des usages mobiliers à environ 20% de la consommation d’énergie finale en 2018.

Ce qui en fait le 2ème poste de consommation derrière le chauffage, assez nettement devant l’ECS et l’éclairage.

Dans les locaux tertiaire de type bureaux et administratifs, cette même part peut être évaluée à environ 24% ce qui en fait, une fois encore, le deuxième poste de consommation derrière le chauffage.

Figure 1 Répartition de la consommation d’énergie finale par secteur et par usage – Source : Emerson Cabane d’après données CEREN, ADEME, RTE 2019

Et dans le neuf :

Les réglementations thermiques 2005 et 2012 ont eu pour effet de faire considérablement baisser les consommations des bâtiments neufs sur les 5 postes réglementés par rapport au bâti antérieur. Dans le même temps, le déploiement du numérique, la très nette hausse du taux d’équipement des ménages en appareils électroménagers, en équipement multimédia et la multitude d’équipements mobiles fonctionnant sur batterie font que les usages mobiliers tendent à devenir le premier poste de consommation des bâtiments neufs. L’exemple sur le résidentiel est particulièrement parlant avec le graphique suivant :

Figure 2 Evolution des consommations finales du secteur résidentiel par logement et selon l’usage (en base 100) – Source : ADEME, Chiffres clés Climat Air Energie 2018

Pour appuyer ce propos, les deux graphiques ci-dessous produits d’après les données du CEREMA issues du retour d’expérience PREBAT[1] le montrent bien : les usages mobiliers sont désormais, avec le chauffage, le premier poste de consommation d’énergie primaire des bâtiments neufs performants.

 

Figure 3 Répartition de la consommation d’énergie primaire (mesurée) dans les bâtiments neufs performants – Source : Emerson CABANE d’après données REX PREBAT, CEREMA 2018

Usages mobiliers : Qui pèse quoi ?

Pour essayer de mieux comprendre la répartition des consommations des usages mobiliers, je me suis attelé à mesurer (à l’aide de Wattmètres) et/ou collecter (campagne de mesure externe, étiquette énergie normalisée, fiches techniques fabricant) tout ce qui pouvait l’être.

Figure 4 Exemple d’enregistrement de la puissance appelée par un réfrigérateur

Mon travail s’est intéressé à plus de 50 types d’appareils différents (de la box internet au congélateur en passant par la guirlande de Noël) et comporte plus de 600 références au total.

Le palmarès des consommations annuelles estimées[1] (sur la base d’un usage de type logement) est visible ci-dessous :

Figure 5 Estimation de la consommation d’électricité annuelle selon le type d’appareil pour un usage domestique

[1] Les puissances moyennes en marche sont déterminées grâce à une campagne de mesure et de collecte d’information. La durée de fonctionnement est estimée sur la base d’un usage de type logement à partir de données statistiques (INSEE, études diverses…) ou d’enquêtes utilisateurs en dernier recours. Note : Les appareils rencontrées sont relativement récents dans l’ensemble (>2014).

On peut tirer plusieurs enseignements de l’analyse de ces résultats :

Sans surprise, le « gros électroménager » occupe la tête du classement. Les consommations grimpent (plus de 150 kWh/an) dès qu’il s’agit de porter à haute ou basse température de l’air ou de l’eau. La mise en température est beaucoup plus énergivore que la mise en marche d’un moteur comme l’illustre la puissance électrique d’un sèche-cheveux en fonctionnement :

Figure 6 Puissance de fonctionnement d’un sèche-cheveux suivant les programmes utilisés

 

La durée totale de fonctionnement est déterminante. Ainsi, on peut voir des cas ou un simple radioréveil (de l’ordre de 1W en fonctionnement) peut s’avérer consommer autant voir plus qu’un aspirateur (de l’ordre de 1000W en fonctionnement) ou qu’une console de jeu (de l’ordre de 100W en fonctionnement).

L’absence ou l’efficacité des veilles peut peser très lourd ! Prenons l’exemple de deux décodeurs TV dont j’ai pu mesurer la consommation: Le modèle 1 a une puissance mesurée en veille de 9.7W alors que le modèle 2 a une puissance mesurée en veille de 0.3W.

Résultat des courses : le modèle 1 consommera in fine 5,5 fois plus d’électricité que le modèle 2 pour une même durée d’utilisation (85kWh/an soit 12€ contre 15kWh/an soit 2€ d’électricité !).

L’étiquette énergétique pour les appareils les plus consommateurs est un bel outil en terme de lisibilité des données mais une lecture attentive est indispensable pour ne pas se faire prendre au piège.

En effet, cette étiquette est parfois bâtie selon l’indicateur de consommation d’énergie rapportée au dimensionnement au détriment de l’énergie consommée en valeur absolue. Ce paradoxe s’illustre très bien sur les téléviseurs :

Figure 7 Puissance de fonctionnement des téléviseurs en fonction de la taille de l’écran et de l’étiquette énergie

Ainsi, il est possible d’avoir une TV de 80cm de diagonale d’étiquette énergie B (89W en marche) et une TV de 195cm de diagonale classée A+ (173W en marche). Tout cela parce que le ratio W/m² éclairé est meilleur alors qu’intrinsèquement, la petite TV consomme 2 fois moins !

Pour les appareils les plus consommateurs, il est possible d’observer d’importantes disparités dans la consommation pour un même service rendu selon l’efficacité et/ou la nature du matériel utilisé.

Exemple pour un lave-vaisselle : surconsommation moyenne de l’ordre de 27% entre un lave-vaisselle de classe énergétique A+ et A+++ à taille équivalente.

Figure 8 Comparaison de la consommation des lave-vaisselles de capacités comparables pour un cycle de lavage « normal » selon l’étiquette énergie

Figure 9 Comparaison de la puissance moyenne mesurée en fonctionnement d’ordinateurs

Enfin, il peut exister des manières plus ou moins économes en énergie pour qu’un même appareil rende un service quasi-identique comme le montrent les 3 exemples ci-dessous :

Figure 10 Comparaison de la consommation moyenne de différents appareils électroménagers selon le programme de fonctionnement

Sur les appareils les plus consommateurs des logements présentés ci-dessous, on peut atteindre une surconsommation de l’ordre de 20% à 50% selon le programme utilisé par rapport à un programme de fonctionnement plus économe en énergie.

Usages mobiliers : l’impact indirect sur le confort d’été

Aujourd’hui, la majorité des bâtiments neufs sont correctement isolés et avec peu de fuites d’air parasites. Comme l’illustre Olivier Sidler, ils se comportent à la manière d’une bouteille thermos : la moindre énergie entrante y est stockée et convertie en chaleur (rayonnement solaire, chauffage, équipements mobiliers en marche…).

Cela est très bien l’hiver pour limiter le besoin de chauffage mais peut vite devenir problématique l’été lorsque le bâtiment ne permet pas d’évacuer l’excédent de chaleur accumulé.

Pour limiter le risque de surchauffe dans le neuf l’été, il convient donc de limiter autant que possible tous les apports de chaleur, y compris celle dégagée par les équipements mobiliers.

Pour illustrer ce phénomène, j’ai réalisé une simulation dynamique sur une cuisine-salle à manger de 28 m² d’un logement collectif performant avec apports solaires bien maitrisés (exposition Sud avec casquette solaire). Le bilan des apports énergétiques liés aux consommations mobilières est visible ci-contre :

Figure 11 Estimation des gains internes liés aux usages mobiliers dans une cuisine-salle à manger d’un logement

Toutes conditions égales par ailleurs (éclairage, occupation, ventilation, apports solaires…), l’élévation moyenne de la température intérieure imputable au fonctionnement des équipements mobiliers (lave-vaisselle, four, TV, ordinateur, réfrigérateur…) est évaluée à 4 degrés l’été.

Par comparaison, l’influence du rayonnement solaire est de 2.5 degrés l’été dans cette pièce bien protégée, ce qui est nettement en dessous de l’influence de la puissance dissipée (presque deux fois inférieur).

Dans cette même configuration, je me suis également intéressé à évaluer la variation de l’élévation de température entre les cas où les équipements mobiliers utilisés sont énergétiquement performants ou médiocres.

Conclusion : le fait d’utiliser des équipements mobiliers performants permet d’avoir une température intérieure inférieure de 1 °C à 2.5°C selon les moments de la journée.

Figure 12 Illustration de l’écart de température intérieure entre la configuration avec équipements mobiliers performants vs médiocres

Sur le graphique ci-dessus représentant une semaine chaude l’été (mi-juillet), un point à X degrés signifie que la pièce avec équipements mobiliers médiocres est X degrés plus chaude que la même pièce avec équipements mobiliers performants, toutes conditions égales par ailleurs.

Usage mobilier : Une impossible prise en compte réglementaire ?

Il est difficilement imaginable qu’une politique ambitieuse de réduction des consommations d’énergie du bâtiment ne couvre pas le second poste de consommation d’énergie finale de ce secteur. C’est pourtant le cas aujourd’hui.

En effet, les usages mobiliers sont par définition liés aux occupants d’où leur intégration difficile dans le périmètre réglementaire. On pourrait pourtant imaginer plusieurs pistes de prise en compte pour réglementer ces consommations :

Au niveau de la réglementation énergétique du bâtiment, le groupe d’expertise 09 de la RE 2020 propose de valoriser certaines pratiques constructives dans un indicateur réglementaire (Bilan Bepos E+C-, Cep RT 2012 ou autre…) comme par exemple :

  • Mise en place de points d’eau chaude reliés à des systèmes de production vertueux pour les lave-linge et les lave-vaisselle
  • Mise en place d’interrupteurs de coupure de veille pour les prises destinées aux équipements audiovisuels
  • Affichage en temps réel de la consommation électrique des logements
  • Mutualisation des équipements de lavage dans les logements collectif (local dédié)
  • Mise en place d’un local dédié au séchage naturel.

D’après les derniers arbitrages sur la réglementation RE2020, cette option ne semble pas être retenue (disparition probable de l’indicateur Bilan Bepos).

Au niveau des fabricants : pourquoi ne pas interdire la mise en vente d’appareils dont la veille est supérieure à 1 Watt ? En effet, il n’est pas nécessaire de soutirer davantage sur le réseau pour afficher l’heure ou une simple veilleuse rouge. Multiplié par le nombre d’appareils en veille (décodeurs TV, box internet, veille des fours, TV, micro-ondes…), le gaspillage d’énergie lié à leur fonctionnement indésirable est considérable !

Au niveau des fabricants : on pourrait imaginer une consommation maximale pour les appareils les plus consommateurs. A la manière de la réglementation automobile (objectif de 90g CO2/km pour la voiture moyenne vendue avec un bonus/malus pour le constructeur en fin d’année), on pourrait imaginer une consommation cible pour les appareils les plus consommateurs (réfrigération, cuisson, lavage, TV…) et un système de bonus-malus sur le prix de l’appareil avec une éventuelle pénalité pour les fabricants.

Pour les TV par exemple, une valeur cible de 125 W permettrait aux fabricants de continuer à proposer des très grandes TV (>150cm) mais à conditions qu’elles soient très performantes (A++).

Conclusion

Les consommations d’énergie mobilières sont un enjeu majeur dans la consommation énergétique des bâtiments. En effet, elles représentent aujourd’hui le 2e poste de consommation d’énergie finale des bâtiments existants (derrière le chauffage).

Dans les bâtiments neufs, les consommations mobilières sont désormais devenues le premier poste de consommation en énergie primaire, au même niveau que le chauffage.

Dans l’habitat, la part liée au gros électroménager est prépondérante : cuisson, réfrigération et lavage. Derrière, les usages multimédia occupent une place importante : téléviseurs, ordinateurs et équipements associés (box, décodeurs TV…).

Plusieurs pistes existent pour limiter cette consommation :

Choix des équipements

  • Sobriété à Exemples : est-ce nécessaire de consommer de l’électricité pour sécher son linge ? Pour se brosser les dents ?
  • Dimensionnement à Exemple : est-ce nécessaire de dimensionner un frigo pour qu’il puisse absorber les 2 à 3 repas nombreux par an et rester au quart vide les 360 jours restants ? Choisir un écran TV de 1,5 m² ?
  • Efficacité à Exemple : choix d’un appareil disposant de la meilleure étiquette énergétique possible

 

Choix des programmes d’utilisation à Exemple : lavage à 40°C, programme « éco », cuisson à chaleur tournante…

 

  • Limitation du temps de fonctionnement via l’extinction des appareils et la coupure des veilles intempestives à Exemple : Eteindre sa box internet, son décodeur TV la nuit, la journée si absence, en cas d’absence prolongée…

 

  • Valorisation des bonnes pratiques dans la réglementation énergétique du bâtiment à Exemple : prises coupe-veille, espace dédié au séchage…

 

  • Réglementer les équipements les plus énergivores selon leur consommation en marche et en veille à Exemple : transposition de la réglementation automobile des « 90g CO2/km », interdiction des veilles > 1 W

Aujourd’hui, ces consommations ne sont pas encadrées et impactent également le confort d’été, en particulier dans les bâtiments performants.

L’été, les apports énergétiques internes liés au fonctionnement de ces équipements peuvent être responsables d’une élévation de la température intérieure de 4°C. C’est 2 fois plus que pour le rayonnement solaire dans un logement bien protégé.

Au-delà de générer une économie d’énergie significative, le choix d’un matériel performant peut représenter un gain de l’ordre de 2°C sur la température intérieure atteinte en été.

————

[1] PREBAT: Retours d’expérience sur 141 bâtiments neufs performants ou rénovés basse consommation.

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COMMENTAIRES

  • Ces analyses confirment l’aberration qui consiste à définir la consommation d’un ménage en ne prenant en compte que la seule consommation mesurée sur le compteur personnel. . La banque mondiale donne le chiffre de # 7000 KW/h par an et par personne . Ce chiffre tient compte de tous les usages ,privés ou liés aux équipements privé ou publics que chacun utilise .
    Le chiffre publié par les promoteurs éoliens relève de la publicité ., d’aucuns diront mensongère .

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