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Repenser les modèles français et allemand d’autoconsommation

Par Sacha Bentolila, conseiller développement durable de l’Association des Petites Villes de France, Albert Ferrari, responsable des relations institutionnelles d’Enercoop, Benoit Ploux, ingénieur spécialisé dans l’énergie, et Rodi Téginère, membre du groupe Énergie d’Eurocité.

L’autoconsommation, qui consiste à consommer l’énergie que l’on produit, apparait comme un élément possible de gestion de la transition vers des formes d’énergies plus durables et respectueuses de l’environnement.

Quels sont les modèles existants pour les particuliers et les entreprises, et comment sera-t-il possible de les développer dans les années qui viennent ? Ces modèles présentent-ils des risques économiques ou environnementaux pour ceux qui les adoptent, et comment est-il possible de les mitiger ?

Le groupe énergie d’EuroCité se penche sur la question, et observe les modèles d’autoconsommation en France et en Allemagne, ainsi que les perspectives d’avenir pour ce secteur prometteur.

Alors même que nous subissons des catastrophes climatiques de plus en plus intenses, nous découvrons grâce à l’Observatoire Climat-Énergie que la France prend du retard sur ses engagements environnementaux, notamment en matière d’énergies renouvelables et d’autoconsommation.

L’autoconsommation, c’est-à-dire le fait consommer l’énergie que l’on produit, peut être individuelle (pour des particuliers) ou collective (en coopérative, association, etc.), mais aussi résidentielle ou tertiaire (entreprises).

L’autoconsommation demeure limitée en Allemagne, et plus encore en France en raison du prix TTC plus faible du kWh sur la grille nationale (ce qui n’encourage pas la transition à un investissement d’autoconsommation). Cependant, au fur et à mesure que son coût diminue, on peut s’attendre à ce que l’autoconsommation se développe.

Une évolution bénéfique

Cette évolution sera bénéfique à tous, puisque le consommateur final paiera son électricité à un prix plus faible que s’il la soutirait du réseau, et la collectivité évitera des dépenses parfois élevées liées au mécanisme des prix d’achat garantis (dits : « feed-in tariffs »).

Il faut dire que le coût de production des renouvelables a fortement chuté. L’autoconsommation collective présente un avantage non négligeable sur l’autoconsommation individuelle : elle permet de profiter du foisonnement des consommations à l’échelle locale, une complémentarité des comportements liée au fait que tous les consommateurs n’ont pas la même courbe de charge.

Mais on se heurte encore à deux obstacles qui devront être levés.

Tout d’abord, le coût du stockage par batterie du fait de l’intermittence de cette électricité renouvelable demeure élevé. Puis, il importe de mener les réformes projetées de la tarification d’accès aux réseaux, notamment au réseau de distribution.

Le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité ou TURPE est aujourd’hui assis à 80 % sur l’énergie soutirée du réseau et à 20 % sur la puissance souscrite, c’est-à-dire la quantité d’électricité maximale utilisable simultanément par les équipements électriques.

La proportion devrait s’inverser en partie demain, ce qui fait que l’auto-consommateur qui soutire peu du réseau mais conserve une capacité d’accès paiera un peu plus cher son droit de faire appel au réseau lorsque cela sera nécessaire.

L’alternative c’est évidemment le développement du stockage lié à la mobilité électrique qui à terme pourrait lui permettre d’être largement voire totalement autonome.

Mais nous en sommes encore loin et l’autoconsommation n’a pas vocation à remplacer le réseau pour tous. C’est un complément et un facteur de flexibilité locale, qui dans certains cas permet aussi d’éviter des coûts de réseau de distribution.

Après avoir constaté les limites du modèle de l’autoconsommation développé en France et en Allemagne ces dernières années, il faut s’interroger sur les conditions à mettre en œuvre pour atteindre le système d’autoconsommation le plus bénéfique pour notre planète mais aussi pour notre économie.

En France comme en Allemagne, la priorité a été donnée aux unités individuelles de petite taille alors même qu’elles sont loin d’être les plus bénéfiques.

L’autoconsommation individuelle de petite taille avant tout

La France et l’Allemagne ont connu un véritable développement de l’autoconsommation ces dernières années.

8000 projets déclarés en France rien qu’au premier semestre 2017. Les autoconsommateurs seraient entre 20.000 et 30.000 sur le territoire français aujourd’hui et 500.000 en Allemagne. Dans les deux pays, ce sont des unités individuelles et résidentielles de petite taille qui dominent le marché.

En France, 82 % des installations sont inférieures à 3kW, soit moins de 30 m2 de panneaux solaires. En Allemagne, 95 % des installations sont d’une puissance inférieure à 10 kW, soit des installations de moins de 100m2. L’autoconsommation collective et tertiaire peine quant à elle à se développer.

Plusieurs facteurs viennent expliquer cette prévalence des unités individuelles et résidentielles de petite taille. Aussi bien en France qu’en Allemagne, les instruments de soutien direct comme les tarifs d’achat ou prime à l’investissement sont dégressifs et limités à des installations inférieures à 100 kW. Les soutiens indirects comme la TVA à taux réduit ne s’appliquent pas à l’autoconsommation collective.

En Allemagne, les installations inférieures à 10 kW sont exemptées de la taxe payée normalement par les autoconsommateurs pour favoriser le déploiement des énergies renouvelables. L’absence de modèle économique clair pour l’autoconsommation tertiaire et la définition tardive de l’autoconsommation collective en France mais également Outre-Rhin expliquent de surcroit le retard pris par ces deux pays en la matière2.

Malgré une récente politique volontariste en faveur de l’autoconsommation collective en France et en Allemagne, l’autoconsommation individuelle de faible taille reste la grande gagnante des politiques publiques alors même qu’elle présente de nombreuses limites, notamment en termes de rendement.

Un modèle d’autoconsommation attirant et pourtant limité

L’intérêt de l’autoconsommation réside dans le rapprochement des sites de production et de consommation permettant de réduire, sous certaines conditions, la charge sur le réseau d’électricité qui peut être coûteuse pendant les pointes de consommation.

Par ailleurs, du point de vue du consommateur, professionnel ou particulier, cela réduit sa facture d’électricité et le sensibilise aux enjeux de sobriété énergétique. L’engouement pour l’autoconsommation vient également de la tendance actuelle pour la consommation “verte” ou locale.

Mais l’autoconsommation individuelle présente aussi de nombreuses limites. D’une part, sauf pour certains profils de consommation spécifique, elle est souvent moins avantageuse : la courbe de consommation d’un foyer ne correspondant pas vraiment à la courbe de production d’une installation photovoltaïque au quotidien.

Cela nécessite une réinjection du surplus sur le réseau, et un appel de puissance de consommation lorsque rien n’est produit. Peu à peu, des systèmes de stockages apparaissent pour répondre à ces problématiques, à l’image de Sönnen en Allemagne. Mais cette technologie reste aujourd’hui coûteuse et son essor incertain.

Le développement de l’autoconsommation va aussi remettre en question certains principes du service public de l’énergie qui ne sont pas les mêmes en France et en Allemagne.

Outre-Rhin, on critique l’autoconsommation individuelle car elle serait le fait de consommateurs aisés pouvant se soustraire de leur dépendance au réseau et dont la charge resterait payée par une collectivité plus défavorisée. Or, les réseaux d’électricité sont financés par tous les utilisateurs en fonction de leur utilisation (puissance souscrite, énergie injectée ou soutirée).

Cela engendrerait donc une problématique d’accès à l’énergie, dans une situation où l’assiette sur laquelle repose le financement des réseaux diminuerait. Le développement de l’autoconsommation réinterroge également le modèle énergétique français incarné par les principes du « timbre-poste » (les tarifs d’accès aux réseaux sont indépendants de la distance entre le site de production et le site de soutirage) et de péréquation tarifaire (les tarifs de fourniture d’électricité sont indépendants de la localisation du site de soutirage).

Au vu de ces nombreuses imperfections écologique et économique du modèle de l’autoconsommation développé en France et en Allemagne, il serait nécessaire de réfléchir à un modèle plus adapté.

La suite de l’article à lire ICI

 

commentaires

COMMENTAIRES

  • « Alors même que nous subissons des catastrophes climatiques de plus en plus intenses »

    Effrayer pour rendre le message plus crédible ?

    2001-2015 : 15 ans de catastrophes naturelles dans le monde
    https://www.catnat.net/donneesstats/dernieres-actualites/21507-bilan-statistique-des-catastrophes-naturelles-survenues-dans-le-monde-entre-2001-2015-2
    Cependant voir dans cette forte augmentation de fréquence les conséquences du changement climatique global serait très réducteur. En effet, de nombreux autres paramètres – anthropiques notamment – entrent en jeu. Parmi les principaux, citons notamment :
     les progrès en matière de diffusion de l’information relative aux événements naturels dans le monde entier (et en particulier dans les pays en voie de développement) qui entraine une meilleure collecte des événements (des événements survenant aujourd’hui dans une région reculée d’Afrique n’auraient probablement pas été médiatisés dans les années 80 et l’est aujourd’hui) ;
     la relative jeunesse des institutions qui se charge de répertorier systématiquement les événements qui font que la reconstitution des événements antérieurs à leur création est souvent compliquée ;
     la dynamique démographique mondiale : augmentation de la population mondiale, urbanisation exponentielle (or les villes sont, pour des raisons historiques et / ou pratiques localisées dans des zones exposées au risque inondation notamment), pression démographique dans les zones littorales (plus de la moitié de l’humanité vit à moins de 50 km des côtes, or les zones littorales sont par nature davantage.

    Se plonger dans les catastrophes climatiques anciennes n’est pas superflu, et effrayant par rapport à la période où nous vivons.

    Répondre
  • Nous travaillons sur l’autoconsommation collective depuis mi 2017. Après une modeste contribution au projet mis en service « Partagelec Penestin », nous réalisons aujourd’hui un second projet démonstrateur sur le siège social du SYDELA (mise en service envisagée mi 2019).
    Ces travaux nous ont permis entre autre de produire la vidéo suivante qui illustre de manière pédagogique les problématiques soulevés dans l’article sur le financement du réseau. => https://youtu.be/Qby9NNpxWkg
    A partager sans modération

    Répondre
  • « Alors même que nous subissons des catastrophes climatiques de plus en plus intenses, nous découvrons grâce à l’Observatoire Climat-Énergie que la France prend du retard sur ses engagements environnementaux, notamment en matière d’énergies renouvelables et d’autoconsommation. »

    Il semble utile de rappeler qu’en France, ainsi que dans plusieurs autres pays, grâce à l’hydraulique et au nucléaire, la production d’électricité émet déjà très peu de gaz à effet de serre.

    Les engagements en matière d’énergie renouvelable et d’autoconsommation ne peuvent donc pas se justifier de ce point de vue là en France, d’autant plus que la production d’électricité à partir des deux grandes sources EnR que sont l’éolien et le solaire émet plus de gaz à effet de serre que l’hydraulique ou le nucléaire.

    Ces engagements sont doublement contre-productifs dans notre pays : en plus d’augmenter la quantité de gaz à effet de serre de la production d’électricité, les moyens qui y sont alloués représentent autant de moyens qui n’ont pas été investis dans des secteurs encore fortement émetteurs de gaz à effet de serre (transports, habitat, agriculture ou industrie), et donc où il serait nécessaire de faire porter l’effort.

    Le climat ne peut donc définitivement pas être avancé comme argument pour la promotion des EnR que sont le photovoltaïque et l’éolien dans notre pays.

    Enfin, notons au passage que tous les pays industrialisés possédant une production d’électricité décarbonnée font appel massivement à l’énergie nucléaire, et à l’hydroélectricité.

    Répondre
  • Il est évident que le secteur du bâtiment avec des constructions productrices d’énergie et des quartiers et communes indépendantes en énergie accélèrent la transition et tout le monde participe ainsi à régler le problème énergétique et climatique. L’énergie centralisée n’est plus la solution. Entre multiples autres exemples : Ensemble d’immeubles d’habitation entièrement hors réseau et autosuffisant en énergie à Vårgårda (Suède). Le solaire excédentaire du printemps et de l’été est stocké sous forme d’hydrogène et couvre 100% des besoins en électricité, eau chaude et chauffage pour 6 immeubles de 30 appartements.

    Chaque bâtiment dispose de 109 kWc solaires sur le toit pour couvrir 100% des besoins de cette région de Suède où le climat hivernal est rigoureux.

    Les habitants évitent ainsi les coûts d’infrastructures du réseau et autres frais de plus de 50% sur les factures.

    Ce programme se développe grâce à la société municipale de logement Vårgårda Bostäder, aux côtés de ses partenaires danois Better Energy et suédois Nillson Energy. Le concept a initialement été testé par Nillson Energy en partenariat avec AT Solar en mai 2018 lors du projet pilote “RE 8760”.

    Les solutions de stockage d’hydrogène couplées aux énergies renouvelables offrent ainsi des perspectives d’indépendance énergétique et d’importantes diminutions de coûts de réseau, entre autres. On fait la même chose avec le stockage solaire printanier et estival au Canada (Drake Landing) en Suède etc via des réseaux de chaleur avec stockage ou quand il n’y a pas de réseau via de forages de 37 m de profondeur. C’est très compétitif et très durable et peut se faire dans de multiples endroits.

    https://www.pv-magazine.com/2019/01/04/off-grid-swedish-housing-block-to-be-supplied-100-by-pv-hydrogen/

    Répondre
  • Il est vrai qu’en France, les décideurs ont tendance à voir l’autoconsommation comme un passager clandestin (car ne contribuant pas aux coûts fixes des réseaux et moyens de production) d’un réseau électrique globalement peu carbonné.

    Cependant, elle peut être source d’économies dans certains cas particuliers: par exemple en système insulaire, en plein été, elle peut permettre de ne pas lancer un moyen de pointe (une turbine au kérosène comme en Nouvelle-Calédonie) ou de moins brûler du fioul chèrement acheté et stocké d’un moyen de semi-pointe. En France métropolitaine, la question se pose pour la région PACA, presque une ZNI à fort taux d’ensoleillement avec un différentiel hiver-été moins important que par ailleurs.

    Au final, il convient de s’interroger sur la façon d’atteindre l’objectif louable d’équité territoriale: le tarif, et le principe du timbre-poste, me semblant présenter trop de rigidité pour répondre aux défis à venir. Deux pistes sont ainsi envisageables:
    – augmenter le coût de l’abonnement pour résoudre la question des coûts fixes,
    – envisager la création d’une sorte « d’assurance énergie » qui serait financer selon des principes actuariels et payés par tous.

    Répondre
  • en autoconsommation avec une production d’électricité photovoltaïque la différence entre le prix de vente (0,06€ le kWh) aux heures de production sans consommation et le prix d’achat (0,14€ le kWh) est difficile à amortir sans stockage . Le prix de la technologie Lithium dans une application stationnaire n’est pas adapté. Pour des unités de production de l’ordre de 30kW la technologie Nickel-Fer donne un coût du kWh stocké-restitué de l’ordre de 0,06€HT.

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