Zoom sur la Transition énergétique dans les régions

Article signé Ivan Saillard, et Arthur Moinet, étudiant à l’IEP.

 

La loi portant Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) du 7 août 2015 prévoyait l’adoption obligatoire par chaque Conseil Régional d’un Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Egalité des Territoires (SRADDET). Une ordonnance de juillet 2016 est par la suite venue prescrire une adoption dans un délai de trois ans, soit avant le mois de juillet 2019.

Après avoir dépassé de quelques mois la date légale d’adoption, il est particulièrement intéressant de se demander où en sont les régions et dans quelle mesure nous pouvons dégager de toutes premières conclusions de ce nouvel exercice, notamment sous l’angle très observé du volet énergie-climat.

L’adoption des SRADDET : les régions se distinguent par les méthodes et les temporalités

A ce jour, seule une région a adopté son projet final de SRADDET (qui reste toutefois à être avalisé par les services de l’Etat), à savoir la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, qui peut donc se targuer d’être la seule à avoir respecté le délai légal.

Après avoir finalisé la procédure d’enquête publique un premier ensemble de régions s’apprête à adopter leur projet final à l’automne 2019 : Grand Est, Hauts-de-France, Normandie et Centre-Val-de-Loire.

Trois autres régions devront encore franchir l’étape d’enquête publique : Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle Aquitaine et Bourgogne Franche-Comté. Il est à noter que le mouvement de fusion des régions, entraînant une période de transition majeure encore à l’œuvre, peut légitimement expliquer des adoptions retardées.

Enfin, Bretagne, Occitanie et Pays de la Loire se singularisent par la non-finalisation de leur projet de SRADDET à ce jour, justifiée, pour la dernière par la nécessité de reprendre toutes les études suite à l’abandon du projet d’aéroport. La région Île de France elle, non concernée par le SRADDET, a adopté un schéma spécifique (SDRIF) dès 2016 et a adopté une stratégie régionale énergie-climat dans ce cadre en 2018.

Compte tenu de ces éléments, notre étude n’a pu principalement porter que sur les textes des SRADDET votés par les exécutifs régionaux à début septembre 2019 et rendus publics sur les sites internet de sept régions : Provence Alpes Côte-d’Azur, Grand Est, Hauts-de-France, Normandie, Centre-Val-de-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle Aquitaine.

Objectifs énergie-climat : les choix politiques et techniques des régions tendent à se spécialiser

Parmi les nombreux domaines couverts par les SRADDET, celui des objectifs de lutte contre le changement climatique sera un des plus observés. Il importe de rappeler en premier lieu que sans y être liés juridiquement, les SRADDET ont notamment été pensés pour s’articuler de façon cohérente avec les objectifs de lutte contre le dérèglement climatique énoncés par la loi de transition énergétique pour la croissance verte d’août 2015.

Pour ce qui concerne, par exemple, les objectifs de baisse de la consommation énergétique finale, les sept régions étudiées reprennent à leur compte l’objectif national de baisse de 50% à l’horizon 2050, à l’exception de Centre Val de Loire qui se fixe un objectif légèrement inférieur.

Les objectifs régionaux de croissance des énergies renouvelables sont un autre point qui retient dès à présent l’attention des observateurs.

D’une manière générale, pour ce qui concerne les énergies renouvelables « traditionnelles » actuelles (éolien terrestre et photovoltaïque, cf encadré ci-après) notre première analyse met clairement en évidence le caractère globalement ambitieux des objectifs des SRADDET, le plus souvent supérieurs aux objectifs nationaux, mais avec des stratégies clairement différenciées tirant parti des ressources naturelles disponibles mais tenant compte également des positionnements actuels (certaines régions visant à rattraper un « retard », d’autres considérant qu’elles ont atteint un seuil maximal).

Dans le domaine des énergies renouvelables “émergentes” les régions affichent des convergences, filière hydrogène combinée avec les transports verts par exemple, mais aussi des volontés de spécialisations : méthanisation pour Auvergne Rhône Alpes, Hauts de France et Nouvelle Aquitaine, bois-énergie pour Grand Est et Auvergne Rhône Alpes.

Les objectifs comparés des régions à l’horizon 2030 en matière d’éolien terrestre et de photovoltaïque

S’agissant de l’éolien terrestre toutes les régions étudiées ont affiché à l’horizon 2030 un objectif de croissance supérieur à celui de la PPE (facteur 3), aux exceptions notables de la région Haut de France (qui relève non sans raisons valables qu’elle représente à ce jour le quart de la production française et qu’elle a atteint le seuil de ses capacités : 7824 GWh produits en 2018 sur les 27800 GWh produits dans l’hexagone) et de la région Normandie qui affiche un facteur 2. Parmi les régions les plus « ambitieuses » la région Provence Alpes Côte d’Azur, qui affiche à ce jour le chiffre très faible de 99 GWh produits, se fixe l’objectif d’un facteur 16 à l’horizon 2030 pour se placer à un niveau comparable à celui des autres régions. La région Nouvelle Aquitaine, déjà puissamment dotée (1792 GWh produits en 2018), en ambitionnant un facteur 6, deviendrait en 2030 la première région d’éolien terrestre.

Pour ce qui concerne l’électricité photovoltaïque la PPE fixe pour 2030 un objectif de facteur 5. Toutes les régions (sauf la Normandie dont l’objectif est un facteur 2) visent des objectifs supérieurs. On relève notamment la région Hauts de France qui affiche un facteur 12 pour se placer dans les premières régions photovoltaïques de France (notamment en utilisant des terrains favorables non propices à l’agriculture), la région Centre Val de Loire (facteur 8) et surtout la région Provence Alpes Côte d’Azur, déjà à un niveau élevé (1622 GWh produits en 2018), qui avec un facteur 9 deviendrait en 2030 largement la première région photovoltaïque, notamment grâce à un très ambitieux programme d’équipements sur toiture détaillé dans son SRADDET.


D’une manière générale en matière d’objectifs énergie-climat ce sont de véritables politiques régionales, toutes lisibles, cohérentes et argumentées, qui s’esquissent pour la première fois au travers des projets de SRADDET sous une forme plus ou moins explicite selon la personnalité des exécutifs régionaux.

Une coordination et un pilotage d’une nouvelle « compétence énergie » sans doute à approfondir

A travers ce premier panorama des régions et de l’état d’avancement de leur SRADDET plusieurs conclusions peuvent être tirées concernant notamment la façon dont les régions commencent tout juste à se saisir d’une nouvelle « compétence énergie ».

L’incertitude quant à la compatibilité des SRADDET avec les objectifs nationaux a été relevée dans de nombreux avis de l’Autorité Environnementale ou des CESER. Ainsi, dans un rapport parlementaire de juin 2019[1] , le député Julien Dive a suggéré d’adopter une vision ascendante de la planification énergétique (du PCAET à la planification européenne), tout en coordonnant davantage au niveau national la bonne réalisation des objectifs.

C’est pour répondre à ces interrogations que l’article 13 de la Loi Energie Climat a prévu la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement visant notamment à comparer la contribution des SRADDET aux « objectifs nationaux et aux orientations nationales inscrits dans la programmation pluriannuelle de l’énergie et la stratégie nationale bas-carbone ».

Par ailleurs de nombreuses compétences et moyens d’action en matière d’énergie restent encore largement l’apanage de l’Etat, ce qui n’encourage pas les régions à s’engager sur des objectifs dont elles ne peuvent contrôler totalement l’application.

L’exemple de la politique de développement de l’éolien off-shore, initiée dès 2007 à l’issue du Grenelle de l’environnement et analysée dans un récent article d’Aurélien Evrard et Romain Pasquier[2] fournit d’intéressantes pistes de réflexion sur les interactions complexes entre les acteurs centraux et locaux de la décision publique en matière d’énergie.

Confrontées à ces incertitudes ou à ces ambiguïtés les régions ont adopté des attitudes différenciées. Pour certaines d’entre elles la démarche SRADDET reflète avant tout un souci de réalisme dans les objectifs fixés pour ne pas aboutir à un document « catalogue » : Auvergne Rhône-Alpes, Hauts-de-France ou bien encore Grand Est mettent ainsi particulièrement en avant leur souhait de se mettre à disposition des autres collectivités pour co-construire l’action publique régionale de lutte contre le dérèglement climatique dans le cadre de l’élaboration des PCAET par exemple.

À l’opposé, d’autres régions élaborent des documents volumineux, avec des objectifs nombreux, précis et bien territorialisés visant à assumer directement et dans la durée le pilotage d’une ambitieuse trajectoire énergie-climat régionale (Provence Alpes Côte-d’Azur, Nouvelle Aquitaine, Centre Val de Loire et sans doute Occitanie).

Reprenant à notre compte les propos du géographe Xavier Desjardins dans une interview à la Gazette des Communes de juillet dernier[3] nous percevons dès leur conception les SRADDET comme reflets des orientations politiques des régions au-delà de leur rôle technique spécifié par les textes.

[1] Rapport d’information déposé par M. Julien Dive le 25 juin 2019. http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i2068-tI.asp#P474_72753

[2] EVRARD, Aurélien ; PASQUIER, Romain. « Territorialiser la politique de l’éolien maritime en France » in Presses de Sciences Po, janvier 2019.

[3] DESJARDINS, Xavier. « La planification ennuie beaucoup d’élus locaux » in La Gazette des communes, juillet 2019.

commentaires

COMMENTAIRES

  • Merci pour l’article.
    Cependant un grand absent : l’hydroelectricite !
    Les régions pourraient développer énormément cette ressource notamment les petites centrales au fil de l’eau.
    Est ce totalement absent des politiques des régions ou un oubli de l’auteur de l’article ?

    Répondre
  • Je suis désolé mais l’hydrogène n’est pas une énergie mais un vecteur énergétique. A ce jour la majorité de l’hydrogène utilisé est sale car fabriqué par vaporeformage du pétrole ou du gaz. L’hydrogène propre fabriqué par électrolyse d’un autre vecteur énergétique l’électricité décarbonée n’est pas compétitif en raison du rendement de l’opération qui à ce jour est au maximum de 50 %.

    Répondre
  • Vous avez raison Mr Fluchère. Edda-Energie est composé de retraités tres actifs et qui ont démontré dans les années 73-85 leur capacité à gazéïfier de la biomasse pour en faire de l’energie électrique et de la chaleur par cogénération sur des moteurs thermiques. Nous avons créé Edda-Energie en 2008 non pas pour fabriquer de l’hydogene ou du méthane, mais pour moderniser ce que nous avions fait au cours des ces années enthousiasmantes. Si vous intervenez sur ce blog c’est sans doute que vous êtes toujours vous aussi actif dans le domaine de l’energie et je pense qu’il serait intéressant que nous communiquions plus avant par exemple sur un blog professionnel bien connu et ou nous semblons être présents l’un et l’autre.Pour en finir, oui nous avons commencé à regarder la production d’hydrogene via la gazéïfication de la biomasse, mais notre priorité est de mettre sur le marché des petites centrales énergétiques dans les territoires tout en espérant que les applications cogénération ne soient pas exclues par la loi energie ce que nous avons du mal à comprendre.

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  • Il n’y a que les bobos ( ou ceux qui y travaille) pour ne pas s’apercevoir que l’éolien est le scandale du siècle, absolument tout les niveaux. Je ne vais pas refaire l’argumentaire ici car il est connu et bien connu. L’exemple allemand le démonte , 30 000 éoliennes est aucun effet sur les GES et une acceptation sociale de plus en plus mise à mal. Il se passera la même chose chez nous, car il y a une évidence comment accepter des tours mobiles et clignotantes de plus de 180 maintenant visible a 40 km à la ronce à moins de 1.5km de sa maison? Qui peut vivre cela sans parler de tous les effets négatifs largement étudier sauf en France…. Et surtout qui n’a absolument aucun effet sur le réchauffement, tout cela n’est qu’électoral et financier. Il va y avoir des drames à ne pas écouter les 1500 associations qui luttent contre ce fléau inutile qui tue nos campagne avec une corruption galopante.

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  • A la lecture de cet article je comprends qu’ENEDIS se retrouve bien souvent en difficulté face à des ambitions régionales diverses et souvent incohérentes (euphémisme) avec une gestion optimisée au plan national (équilibre du réseau –> offre= demande). En effet les gouvernances politiques des régions sont bien peu compatibles avec un schéma national de production d’électricité répartie proportionnellement aux besoins sur le territoire et non en fonction des options politiques plus largement influencées par l’idéologie et les immenses subventions accordées aux EnR! (vent et soleil). Je souhaite bon courage à ENEDIS (et RTE) pour réussir à construire un réseau national résilient, pilotable et à un coût socialement acceptable avec les SRADDET ..

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