Transitionnons, transitionnons, il en restera peut-être quelque chose !

Transitionner, c’est nous dit-on, quitter les certitudes éculées et inconséquentes du vieux monde pour s’engager résolument sur des chemins nouveaux, quitte à être iconoclastes.

Certes, le statu quo est difficile à défendre, tant de clignotants verts s’étant allumés, mais puisqu’il faut avancer, gardons nous cependant, tant des engouements consensuels que des phobies partagées, sans nous questionner plus avant.

Si le « pourquoi » s’engager n’est guère discutable, il est en effet peu rassurant que le « comment » s’y prendre, ne soit pas davantage discuté.

Vocable performatif

« Sans transition » disait jadis, par précaution, un célèbre présentateur du JT, quand il s’agissait de sauter abruptement d’un sujet à l’autre du kaléidoscope, et ce, bien que les téléspectateurs fussent rompus à l’exercice.

Aujourd’hui, tout au contraire, il faut compter « avec la transition », à tout le moins le vocable, qui s’invite partout, et largement hors de son champ premier, qui concernait surtout l’énergie, ayant adopté depuis l’épithète « écologique », à la fois couteau suisse et sésame universel.

Une séquence de la Matinale de France-Culture, s’appelle désormais « La transition » (2), et sans surprise, le concept se révèle omnivore.

Il est remarquable, en effet, que quel que soit le sujet abordé, une relation avec la problématique « transitionnelle » puisse être établie, quitte à faire parfois les pieds au mur pour y parvenir, mais, en lui-même, l’exercice est toujours intéressant.

Désormais, tant accompagnés par l’expression, qu’un sevrage trop brusque nous alarmerait, nous sommes rassurés qu’on nous en parle chaque jour, sans marquer plus d’étonnement pour le côté caméléon du concept. De plus, évoquer une « transition », c’est déjà se sentir en mouvement, la notion même, étant devenue performative.

La montée récente de la tension écologique, crée par une conjonction, largement mimétique, de toutes les voies (et voix) médiatiques, et destinée à nous faire comprendre qu’il y avait, d’urgence, « quelque chose à faire», comme dans l’émission radio, si populaire à l’époque, du regretté Pierre Bellemare, n’a laissé personne indifférent. Les incrédules, sont devenus mencheviks, et tous les autres se sentent désormais concernés.

La « transition » s’est donc inventée à point, pour offrir ses oracles et surtout ses prestations, se démultipliant et se diversifiant à l’envi.

Régime transitoire

Mais on peut se trouver longtemps en état transitionnel, comme les marins de la course au large stagnent dans le « pot au noir », surtout quand le point de départ est mal défini, que le point d’arrivée à la forme du Saint Graal, que les feuilles de route pour tenter d’y parvenir sont largement sujettes à caution et que les impasses, qui sont légions, peuvent pourtant apparaître, d’entrée, comme des passages obligés.

Mais compte tenu des moyens considérables que notre pays et notre continent sont prêts à consacrer à cette transition (les chiffres, en milliers de milliards d’euros, sont vertigineux et rassurent certains, autant qu’ils en effraient d’autres), il serait judicieux de mettre à profit ce long laps qui vient, pour bien nous réapproprier la problématique et évaluer les résultats censés être obtenus, grâce aux moyens déjà en lice, un exercice, oh combien, éclairant.

Ceux qui proposent leurs services et se présentent comme écologiquement militants sont avant tout des businessmen, dont on pourra dire, avec l’ambigüité de la formule, qu’ils sont sensibles à la cause, mais l’expérience montre que ,quand l’urgence est déclarée, la société est peu regardante sur les moyens dévolus et sur les arcanes de leur mise en œuvre.

C’est a posteriori qu’on fait les comptes, mais au-delà de cette trivialité, ceux-ci pourraient bien révéler l’amplitude effrayante de l’égarement, au détriment de tant d’autres besoins.

Réponse visible ne signifie pas solution en vue

 Pour se conserver les bonnes grâces et les subsides de l’opinion, à l’urgence écologique proclamée doivent répondre des réalisations concrètes, si possible visibles, présentées comme les plus idoines, voire comme incontournables. Sur cette grille, les énergies renouvelables électriques paraissent « cocher toutes les cases ».

Mais l’important n’est-il pas qu’il se passe quelque chose, et quand les mats se dressent et que des panneaux s’étalent, les sceptiques sont rassérénés. Alors, que la réponse à la question posée ne soit pas tout à fait la bonne, importe finalement peu.

Et si les résultats, eux, ne sont pas encore visibles, c’est que les déploiements déjà existants sont notoirement insuffisants, aussi convient-il de faire mieux, voire beaucoup mieux, comme le prévoit la nouvelle PPE(3), fermant ainsi une boucle logique, capable de conforter l’opinion.

De plus, et pour faire bonne mesure, il est facile d’expliquer que cette abondance électrique serait irrationnelle si, de l’autre main, on ne diminuait pas les moyens existants, dont le nucléaire, qui n’est plus très en cour, et ça tombe bien. On va donc fermer progressivement les centrales, comme le prévoit aussi la nouvelle PPE, dont la dialectique est décidément inexpugnable.

Les quelques voix discordantes se sont effectivement fracassées sur ce mur de complétudes, et dans l’ensemble, l’opinion, pour qui la messe est dite, n’a manifesté que peu d’intérêt à l’importance de ces changements, vus, sinon compris, comme l’aboutissement attendu.

Quand on veut noyer son nucléaire, on se garde bien de mettre en exergue ses qualités insignes, et on préfère le diaboliser, c’est si commode, mais si inconséquent dans le contexte actuel.

Promesses renouvelables

Et c’est ainsi que la France, qui ne pèse que quelques pourcents, (importations comprises), dans les émissions de GES du monde, affiche vouloir relever le défi planétaire du climat, en jouant un rôle exemplaire dans la cour des grands, fidèle à sa tradition d’éclaireur.

Qu’elle dépense pour cela des sommes considérables, en soutien des énergies renouvelables électriques et demain en développement d’une filière hydrogène, est peu connu du grand public, qui ne fait pas spontanément la relation avec l’accroissement préoccupant des taxes.

Les Gilets Jaunes, qui posaient la bonne question et tenaient une partie de la réponse, n’ont pas tiré le fil jusqu’au bout, car en effet, le produit de la taxe carbone alimente bien le soutien aux renouvelables électriques (4).

Qu’en l’occurrence, il s’agisse là d’une vraie transition, quand on prétend décarboner une électricité déjà décarbonée, n’est hélas, plus une question ouverte, comme s’en désole ce papier, sans doute en vain.

Ainsi, que dans notre France moderne, où la qualité de l’information est réputée telle, qu’on imagine pouvoir confier à une cohorte de citoyens, tirés au sort, le soin d’orienter la politique de la nation, sur des questions ayant secoué le pays pendant des mois, constater qu’il reste néanmoins possible de bouleverser radicalement notre système électrique, sans que l’opinion ne se questionne sur cette nécessité, même un peu, est tout de même paradoxal, mais en même temps, tellement révélateur.

Ce système avait pourtant assuré, quarante années durant, une fourniture d’électricité, fiable, propre sur elle et bon marché, et renforcé l’indépendance énergétique du pays. Mais ce bilan exceptionnel, qu’on saurait aisément pérenniser, semble ne compter pour rien, face aux promesses de la modernité renouvelable.

Promesses qu’il conviendra pourtant de réitérer régulièrement, quand les résultats promis se feront attendre, des promesses renouvelables, en somme.

———————–

(1) : d’après Francis Bacon…

(2) : La Transition, par Hervé Gardette, 8h50 France-Culture

(3) : PPE = Programmation Pluriannuelle de l’Energie (période 2018-2028)

(4) : La taxe carbone est portée par des taxes existantes TICPE, TICC, TICGN,… et son produit correspond, en ordre de grandeur, (au moins en 2018 et 2019) aux sommes que le budget de l’Etat alloue au soutien des renouvelables électriques (via le CAS-TE)

commentaires

COMMENTAIRES

  • Et le modèle énergétique Français est excellent puisque, empiriquement, le contenu carbone de son électricité est nettement en dessous de ses voisins, et surtout de ceux qui possèdent des grands parcs de « renouvelables ». Alors, pourquoi le sacrifier et au nom de quoi ?

    Répondre
  • Après avoir dépensé des centaines de milliards d’euros dans les énergies renouvelables, les importations allemandes d’énergie sont passées de 206 millions de TEP (tonne équivalent pétrole) en 2000 à 200 millions de TEP en 2018.

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