Le plan de sortie du charbon en Allemagne est-il réaliste ?

Tribune de Maxence Cordiez, ingénieur dans le secteur de l’énergie

La commission allemande sur la sortie du charbon a proposé un plan censé permettre à l’Allemagne de se débarrasser de cette source d’énergie, la pire pour le climat, en 2038. Outre le fait que cette échéance soit très lointaine et que l’on puisse s’interroger quant à son adéquation avec l’urgence climatique, l’adoption de ce plan permettrait-elle réellement de sortir du charbon en 2038 ?

Rappel des faits…

L’Allemagne est un pays industriel de 83 millions d’habitants. Cela suppose certains besoins électriques, même en l’absence de vent et de soleil. Actuellement, la production électrique de base y est assurée par du charbon, du nucléaire et de la biomasse.

Le suivi de charge, c’est-à-dire la production qui varie pour s’adapter aux fluctuations de la consommation et à l’intermittence des sources d’énergie éolienne et solaire, est assuré par du gaz naturel et du charbon.

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L’Allemagne prévoit donc d’abandonner le nucléaire d’ici 2022 et, peut-être, le charbon en 2038. Cela suppose qu’en l’absence de vent et de soleil, l’approvisionnement électrique sera assuré par du gaz naturel et du stockage d’électricité.

L’Allemagne pourra-t-elle accroître ses importations de gaz, alors qu’en Europe les réserves de cette ressource fossile s’épuisent et que la production décline? Concernant le stockage d’électricité, aucune technologie n’est actuellement mature à grande échelle et cela implique d’importantes pertes énergétiques, à compenser par une surproduction conséquente.

Cette annonce, faisant peu de cas de la physique, est aisée à émettre. Ses auteurs ne seront plus en poste au moment d’en dresser le bilan… dans 19 ans.

Petite comparaison avec le Royaume-Uni

Quelqu’un ne travaillant pas dans le domaine de l’énergie pourrait, avec raison, s’interroger quant à la longueur de cette période: indépendamment des délais imposés par le climat, est-ce que, sur le plan technique, 19 ans est une durée courte, raisonnable ou longue pour remplacer les 38% de production électrique issue du charbon en Allemagne ?

Prenons l’exemple du Royaume-Uni dont l’électricité provenait, en 2013, à 37% du charbon. Quatre ans plus tard, en 2017, cette part était tombée à 6,7 %. Ce repli impressionnant s’explique par l’instauration en 2013 d’un prix plancher de 18£ par tonne de carbone émise.

Cela signifie qu’indépendamment des fluctuations du marché européen des quotas d’émission de CO2, les énergéticiens britanniques savaient qu’ils paieraient au minimum 18£/tonne de CO2, et que ce prix minimal augmenterait avec le temps.

Cette mesure a ôté au charbon sa compétitivité économique. Il a ainsi été remplacé par du gaz naturel, également une source d’énergie fossile, mais qui émet deux fois moins de CO2 par unité d’énergie produite, une diminution de la consommation électrique et des énergies renouvelables (éoliennes principalement).

L’extraction de gaz au Royaume-Uni s’effondrant depuis le passage de leur pic de production en 2000, le recours à cette source d’énergie pour remplacer rapidement le charbon est transitoire. À plus long terme, le gaz devrait être remplacé par de l’énergie nucléaire (bas carbone), renouvelable (éolienne) et des importations d’électricité depuis le continent.

En résumé, alors que l’Allemagne prévoit de sortir de ses 38% de charbon en 19 ans, le Royaume-Uni a presque fini de le faire en 4 ans…

Et si l’Allemagne n’avait pas fait le choix de sortir du nucléaire ?

Regardons à présent combien l’Allemagne aurait pu éviter d’émissions de CO2 en décidant de sortir en priorité du charbon plutôt que du nucléaire.

En 2010, avant le début des fermetures de réacteurs, l’Allemagne a produit 133 TWh d’électricité d’origine nucléaire sur l’année. En 2018, après avoir fermé plus de la moitié de ses capacités, elle en a produit 72,1 TWh. Sur son cycle de vie (exploitation, infrastructures, chaîne d’approvisionnement…) le nucléaire émet 12 gCO2éq/kWh et le charbon environ 1000 gCO2éq/kWh.

Ainsi, eut-elle fait le choix de sortir du charbon plutôt que du nucléaire, l’Allemagne aurait pu aujourd’hui éviter chaque année l’émission de 60,2 millions de tonnes équivalent CO2 de gaz à effet de serre. Lorsqu’elle sera complètement sortie du nucléaire en 2022, cette valeur s’élèvera à 131 MtCO2éq/an (soit environ 14% de la totalité des émissions domestiques allemandes, tous secteurs confondus: électricité, transports, chauffage, industrie, agriculture…).

Une proposition plus sage aurait donc été de geler la sortie du nucléaire (voire de décider la construction de nouvelles centrales) et de sortir le plus vite possible du charbon puis du gaz.

Sachant que le climat est en jeu (donc l’avenir de la planète et, incidemment, le nôtre), le pari allemand est plus que risqué. S’il fonctionne, l’Allemagne aura mis longtemps à sortir du charbon, émis beaucoup de gaz à effet de serre, et restera dépendante du gaz naturel (ressource fossile). S’il échoue, ce qui semble probable, l’Allemagne continuera à brûler du charbon et nous en paierons tous l’addition.

 

Article publié dans Le Figaro le 29 janvier 2019.

commentaires

COMMENTAIRES

  • C’est plus compliqué puisqu’il y a des considérations, historiques, industrielles, sociales et électorales (voir élections récentes) liées au charbon en Allemagne et l’organisation et poids des Länder. De plus en GB le prix du MWh d’Hinkley Point et de 92 £ (105 euros) / MWH pour 35 ans par contrat. En Allemagne le prix de marché de l’électricité est moins cher qu’en France d’où notre position « d’importateurs nets » depuis leur transition. L’aspect coût a été un paramètre important pour leur industrie en particulier exportatrice très consommatrice. Prix de production du mix électrique allemand moins chers qu’en France (source Epexspot) :

    https://www.renewable-ei.org/en/activities/column/img/20180302/img02.jpg

    Répondre
    • En 2018, l’Allemagne a eu une production nette de 542 TWh et un bilan net exportateur de 46 TWh.
      Mais dans ce bilan global d’échange avec ses voisins, elle a été importatrice nette de 8,3 TWh.
      Et bien évidemment, la France exporte une électricité beaucoup moins carbonée.
      Ajoutons que, la production nucléaire française, décarbonée, doit s’effacer devant les surproductions occasionnelles des éoliennes ou panneaux solaires, grâce aux règles européennes qui les favorisent, au détriment des productions conventionnelles pourtant indispensables à la sécurisation de notre système électrique interconnecté.
      Ces situations entraînent une perte de valeur financière importante vis à vis des centrales conventionnelles. Et, au-delà d’un certaine part (40 à 50%) dans le mix de production électrique, les éoliennes et le photovoltaïque fragilisent l’équilibre production-consommation au risque du black-out si redoutable.

      Répondre
  • Si l’Allemagne avait fait le choix du nucléaire, elle aurait un prix de l’électricité plus cher par exemple que le nôtre et elle n’aurait pas exporté dans le monde entier un ensemble important de technologies renouvelables, avec entre autres Siemens n° 1 mondial de l’éolien, et ne représenterait pas 15,4% du marché mondial de l’environnement, tout en ayant largement contribué avec entre autres la Chine à faire baisser les prix des ces technologies qui sont universelles puisqu’elle profitent à 197 pays alors que le nucléaire est beaucoup plus restreint, tout comme ses perspectives au plan électrique mondial comparé aux renouvelables et encore plus en énergies primaires (autour de 5% au mieux dans les décennies à venir).

    Le nucléaire est en outre devenu indéfendable face aux missiles hypersoniques actuels (moins de 60 secondes pour réagir) donc source de problèmes majeurs dont il faut désormais tenir compte.

    « Les dernières enchères de solaire et d’éolien en Allemagne ont atteint des fourchettes de prix de 45 à 60 euros par MWh, ce qui signifie que le coût de l’énergie renouvelable est désormais similaire, voire même inférieur, aux prix de gros de l’électricité dans de nombreux pays » comme le rappelle Matthias Buck, responsable de la politique énergétique européenne à Agora Energiewende.

    À l’inverse, les prix du charbon ont augmenté de 15% et les prix du gaz de 30% tout au long de l’année dernière.

    « Les pays connaissant le plus grand essor de renouvelables sont aussi ceux qui observent les plus grandes chutes d’utilisation de charbon », affirme le rapport, « ce qui remet en cause le concept selon lequel les pays se tourneront d’abord vers le gaz comme alternative au charbon ».

    https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/les-energies-renouvelables-font-de-l-ombre-au-charbon-806012.html

    .

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