Mix électrique français : comment répondre aux risques de surproduction ?

La transition énergétique française semble s’enrayer. Prévue en août 2025, la publication du décret sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) a été reportée sine die par François Bayrou, alors Premier ministre. Ce texte devait relancer la construction de nouvelles capacités renouvelables, mais une note du Haut-Commissariat à l’énergie atomique (CEA), alertant sur des risques de surcapacité, a interrompu le processus. La France doit désormais renforcer la flexibilité de la demande électrique afin de mieux l’ajuster à l’offre. Tour d’horizon des pistes possibles.

La PPE3 reportée : prudence budgétaire et choc industriel

Entre retards sur l’éolien en mer, recours juridiques contre les parcs terrestres et incertitudes sur le solaire, les énergies renouvelables (EnR) françaises sont sous pression. Le 1er août 2025, Matignon a repoussé la publication du décret fixant la PPE3 pour 2024-2030, déjà en retard d’un an et demi.

Jugé peu ambitieux au regard des objectifs européens en matière d’EnR, ce texte était toutefois attendu comme un signal par l’industrie. Il devait offrir la visibilité nécessaire pour des investissements massifs dans les renouvelables, alors que les concurrents européens – Allemagne, Espagne, pays nordiques – accélèrent.

Le rapport du Haut-commissaire : la racine du problème

Ce gel trouve son origine dans une note stratégique du CEA, datée du 10 juillet 2025, alertant l’exécutif sur les risques d’une possible surproduction. Les objectifs de la PPE3 s’appuient en effet sur le « scénario A » de RTE, qui anticipe une forte hausse de la demande électrique : +140 TWh entre 2019 et 2035, justifiée par une électrification massive de la mobilité, une augmentation des besoins de l’industrie et l’émergence d’une filière d’hydrogène produit par électrolyse.

Or, aucun de ces sous-scénarios ne se réalise au rythme attendu. La vente de véhicules électriques stagne, la consommation d’électricité de l’industrie est en baisse, et la filière de l’hydrogène bas-carbone reste embryonnaire. Les efforts de sobriété, renforcés par la hausse des prix de l’énergie en 2022-2023, ont par ailleurs permis une baisse de la consommation électrique.

La France a également favorisé un développement massif du solaire photovoltaïque (PV), au détriment de l’éolien, plus controversé. Or, durant certaines périodes de forte production (entre 9 h et 16 h au printemps), le PV génère déjà une offre d’électricité excédant la demande. Depuis 2024, cette situation provoque de plus en plus souvent des prix spot nuls ou négatifs – durant 23 jours sur 30 en avril 2025, et 29 jours sur 31 en mai 2025.

Un déséquilibre coûteux

Cette surproduction impose de coûteux ajustements au système énergétique français. En effet, pour maintenir la stabilité du réseau électrique, la production et la consommation doivent être constamment équivalentes.

Or, le mix électrique français s’appuie largement sur du nucléaire, qui n’est que partiellement pilotable. Arrêter et redémarrer un réacteur est un processus long ; réduire sa production sans l’arrêter est possible, mais dans une limite stricte.

« Lorsque l’on se rapproche de cette limite, ce qui est déjà parfois le cas aujourd’hui, il devient très pénalisant de baisser encore la production pendant la journée, parce que l’on a besoin d’elle le soir lorsque le soleil se couche », lit-on dans la note du haut-commissaire.

Un manque de flexibilité

En cas de surproduction, si toutes les centrales pilotables (gaz, charbon, hydraulique) sont à l’arrêt et que le nucléaire module au minimum, la seule option pour stabiliser le réseau est de stopper une partie de la production PV — imposant à l’État à indemniser pour une électricité non produite et non consommée. Le CEA s’inquiète d’une PPE3 qui encouragerait une construction excessive de centrales PV, avec un risque réel « d’actifs en partie échoués dès leur inauguration ».

Ce déséquilibre est aggravé par l’insuffisant développement des technologies censées compenser l’intermittence des EnR, comme le stockage ou la mobilité électrique. Aucune solution de stockage à grande échelle n’a émergé, en dehors des stations de pompage hydraulique (STEP), déjà utilisées au maximum de leur capacité en France.

Pour autant, la France, si elle veut atteindre la neutralité carbone en 2050, doit électrifier massivement ses usages. Cela implique d’investir à la fois dans le nouveau nucléaire et dans les EnR, pour disposer sur le long terme d’une électricité bas carbone compétitive. Mais, pour rendre cette trajectoire réaliste, l’État devrait soutenir plus fortement cette transition encore timide, en particulier pour la mobilité, l’industrie et la production d’hydrogène.

Un choix stratégique pour la France

À court terme, la note du CEA invite donc à repenser le système autour de la flexibilité et de la gestion de la demande, plutôt que de poursuivre une logique purement capacitaire. Des pistes existent, comme un mécanisme d’heures pleines/creuses saisonnières – actuellement à l’étude – ou de tarifs évolutifs pour les secteurs industriel et tertiaire.

Dans ce contexte, les experts insistent également sur la nécessité de développer des solutions innovantes pour valoriser l’électricité excédentaire et en faire un moteur de croissance plutôt qu’un fardeau économique. La France a besoin d’activités capables de moduler leur consommation en fonction de l’abondance ou de la rareté de l’électricité.

S’appuyer sur les data centers et le minage de Bitcoin

Les datacenters constituent une réponse potentielle à ce défi. Certains de leurs usages ne sont pas flexibles, mais d’autres, comme le Calcul Haute Performance pour l’IA, peuvent concentrer les opérations les plus gourmandes à certains moments de la journée – dans le cadre de projets non urgents. Ces modulations pourraient être encouragées par un signal prix : si l’électricité est moins chère quand elle est excédentaire, les utilisateurs seront incités à concentrer leurs usages les plus énergivores durant ces périodes.

Le minage de bitcoin s’inscrit dans cette même logique. Encore peu développé en France, ce secteur ne souffre d’aucune contrainte temporelle. Le minage de bitcoin permet notamment de valoriser l’électricité quand elle est excédentaire, et de s’interrompre quand la demande est plus forte, évitant ainsi à la fois le « gaspillage » de précieux électrons et toute incidence pour les consommateurs. Cette industrie représente alors une solution concrète pour réduire le risque coûteux de surproduction en France, ainsi qu’un levier stratégique au service de la transition énergétique nationale.

Répondre à la situation critique que connaît actuellement le réseau électrique devient urgent. Sans un véritable virage ouvrant la voie à une expansion soutenable de ses capacités en énergies renouvelables, la France risque de compromettre durablement ses ambitions climatiques et industrielles, pourtant essentielles à sa compétitivité et à sa souveraineté énergétique.

 

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