« Dans les années qui viennent, c’est le nucléaire qui fera partie des solutions pour diminuer notre empreinte carbone  »

Pour certains, le nucléaire est une énergie du passé. Pour d’autres, c’est une source d’énergie du futur. Loïk Le Floch Prigent, plutôt de la seconde catégorie, nous explique pourquoi l’avenir de la politique énergétique de la France passe par l’atome. Interview.

Dans un contexte de campagne présidentielle à venir, le nucléaire occupe de plus en plus l’espace médiatique et, surtout, semble connaître un regain de légitimité.

Comment expliquer ce contexte favorable à l’atome, largement partagé à droite mais aussi souvent à gauche, avec — entre autres — le discours pronucléaire assumé du Parti communiste ?

Loïk Le Floch-Prigent —Le Programme Pluriannuel de l’Electricité (PPE) a été élaboré sans prise en compte des réalités techniques et encore moins des coûts. Il était essentiellement idéologique et politique, bâti pour satisfaire une minorité très relayée, celle de l’écologie politique qui est avant tout antinucléaire.

Ce programme était basé sur une augmentation des investissements dans l’éolien et le solaire et un affaiblissement programmé du recours au nucléaire. Le résultat est un échec, chez nos voisins allemands d’abord, et chez nous aujourd’hui, les prix de toutes les énergies dépassant tous les plafonds envisagés et la pénurie éventuelle en cas de froid intensif devenant une probabilité insistante.

Les éoliennes nous coûtent trop cher, les riverains n’en veulent plus, elles dérèglent trop les réseaux et l’arrêt de Fessenheim et du projet Astrid ont désespéré toute une filière industrielle d’excellence qui regroupe plus de 200 000 travailleurs dans notre pays.

Il faut donc revoir la copie et affronter un lobby antinucléaire qui se nourrit des peurs et des catastrophes, et c’est ce qui semble arriver aujourd’hui après dix ans d’hésitations : on ne peut pas disposer ces prochaines années d’une énergie abondante, bon marché et pauvre en émissions carbonées sans recours au nucléaire.

Après, dans une campagne électorale, chacun essaie de faire plaisir à son électorat, une partie de la gauche traditionnelle n’est pas antinucléaire.

À l’approche de la décision de la Commission européenne sur la taxonomie verte, la question du nucléaire reste encore en suspens.

Quelle serait, pour la filière, les conséquences d’un rejet du nucléaire de la taxonomie verte, si la fronde antinucléaire menée notamment par l’Allemagne, l’Autriche ou encore le Luxembourg, venait à porter ses fruits ?

Loïk Le Floch-Prigent —Pour moi, il est clair que l’Europe telle qu’elle avait été imaginée a été détruite par la position unilatérale de l’Allemagne après le tsunami de Fukushima. Le fait que les deux plus grands pays, la France et l’Allemagne, divergent sur l’électricité tout en étant durablement interconnectés pose un problème de fond sur l’avenir de l’Europe que nous avons voulu ignorer depuis dix ans.

Nous sommes au pied du mur, si la Commission n’admet pas que le nucléaire conduit à une énergie grandement décarbonée, nous allons assister à un détricotage de l’Europe. Pour les Européens convaincus, c’est un drame, mais il n’y a pas d’alternative, si la Commission cède, c’est la fin d’un espoir, peut-être d’un rêve ou d’une utopie, mais c’est ainsi.

Le sujet des petits réacteurs modulaires (SMR) s’est, depuis quelques semaines, imposé dans le débat public avec un soutien financier annoncé par Emmanuel Macron, pour en accélérer le développement dans le cadre du plan France Relance.

Ces réacteurs portent de belles promesses, mais ont-ils un intérêt en termes d’avantage-coût ?

Loïk Le Floch-Prigent —Le dossier des SMR était une façon de rentrer dans le débat nucléaire par une autre porte que l’annonce de l’autorisation d’investir dans les prochaines années dans de nouveaux grands réacteurs. Pour la France, avec un réseau très maillé, nous devons continuer à produire avec de grosses centrales pour avoir un courant moins cher.

Les SMR sont adaptés à des collectivités plus isolées qui ne peuvent justifier d’une interconnexion lourde.

On a vu l’intérêt de la barge russe pour les territoires en Sibérie, on peut imaginer beaucoup de réalisations semblables dans le monde entier, et notre industrie qui réalise des prouesses pour nos sous-marins nucléaires, est bien placée pour répondre aux besoins extérieurs.

Les SMR sont souvent présentés comme pouvant avoir un intérêt pour la France, uniquement à l’export. Peut-on envisager un déploiement, sur le territoire français, de ces réacteurs, en complément des centrales historiques ?

Loïk Le Floch-Prigent – S’il faut pour cela en faire un en France pour démontrer ses performances, pourquoi pas, mais l’essentiel pour nous assurer un maintien de nos activités et leur développement comme celles du véhicule électrique est de construire de nouvelles grandes unités. On ne peut pas à la fois vouloir augmenter le poids de l’électricité dans le pays et vouloir restreindre sa production.

En mettant en œuvre une « politique publique de la sobriété », l’association négaWatt estime qu’une neutralité carbone uniquement fondée sur le recours aux renouvelables est possible, avec une fermeture du dernier réacteur nucléaire en 2045.

Une telle conclusion est-elle, selon vous, pertinente et concrètement applicable sur le territoire français ?

Loïk Le Floch-Prigent —La politique de « neutralité carbone » est d’abord à discuter. Elle repose sur des hypothèses concernant la « propreté » de certaines filières qu’il faut revoir avec l’aide de la communauté scientifique.

Les compensations diverses, comme les plantations d’arbres qui vont absorber le CO2 dans dix ou vingt ans, mais qui font partie du calcul ne sont pas sérieuses. De la même façon, oublier les coûts et les rendements pour justifier une politique 100 % renouvelable est une illusion.

Nous restons encore aujourd’hui, malgré toutes les gesticulations, avec un charbon dont on augmente la production et l’utilisation alors que l’on sait qu’en pollution et en CO2, c’est le plus urgent à traiter.

Si l’on réalise des matériels éoliens ou solaires en consommant du charbon comme énergie, ce qui est le cas aujourd’hui, on ne fait rien pour diminuer l’empreinte carbone véritablement.

Désolé pour ceux qui confondent défense de l’environnement et combat contre le nucléaire, mais dans les années qui viennent c’est le nucléaire qui fera partie des solutions pour diminuer notre empreinte carbone, et pas le charbon. Les Allemands eux-mêmes s’en aperçoivent sans encore oser le dire !

> Retrouvez une autre tribune de Loïk Le Floch-Prigent : « Une énergie écologique, c’est quoi ? »

commentaires

COMMENTAIRES

  • C’est bien le message de l’Académie des Sciences :  » l’Académie
    recommande :
    – de conserver la capacité électronucléaire du bouquet énergétique de la France par la prolongation des
    réacteurs en activité, quand leur fonctionnement est assuré dans des conditions de sûreté optimale, et
    par la construction de réacteurs de troisième génération, les EPR, dans l’immédiat. Ces derniers
    reposent sur la meilleure technologie disponible actuellement et offrent les meilleures garanties de
    sûreté ;
    – d’initier et de soutenir un ambitieux programme de R&D sur le nucléaire du futur afin de préparer
    l’émergence en France des réacteurs à neutrons rapides (RNR) innovants de quatrième génération
    (GenIV), qui constituent une solution d’avenir et dont l’étude se poursuit activement à l’étranger ;
    – de prendre en compte dans ce programme tous les aspects scientifiques du recyclage du combustible
    associés aux réacteurs, incluant la gestion des déchets radioactifs ;
    – de maintenir des filières de formation permettant d’attirer les meilleurs jeunes talents dans tous les
    domaines de la physique, la chimie, l’ingénierie et les technologies nucléaires pour développer les
    compétences nationales au meilleur niveau ;
    – d’informer le public en toute transparence sur les contraintes des diverses sources d’énergie, l’analyse
    complète de leur cycle de vie et l’apport de l’électronucléaire dans la transition énergétique en cours. » https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/20210614_avis_nucleaire.pdf

    Répondre
  • Le développement des énergie renouvelables en Allemagne, suite à la loi d’avril 2000 et la sortie du nucléaire en 2022, suite à celle de février 2002 est un succès en ayant fortement réduit le contenu en CO2 de l’électricité.

    De 559 g CO2/kWh en 2000, ce contenu est passé à 483 g CO2/kWh en 2010 et à 338 g CO2/kWh en 2019, selon l’Agence européenne de l’environnement.

    En septembre 2010, le gouvernement conservateur avait remis en cause la loi de 2002 en repoussant de douze ans la sortie du nucléaire.

    Après la catastrophe nucléaire de Fukushima, le même gouvernement a dû rétablir la loi originale de sortie du nucléaire en 2022.

    Alors que la production d’électricité nucléaire en Allemagne a baissé de 77 TWh entre 2010 et 2019 (141-64), celle des fossiles a baissé encore plus avec 130 TWh (361-231). La production d’électricité renouvelable est passée de 105 à 251 TWh pour les mêmes dates, soit 146 TWh de plus.

    Contrairement aux mensonges sans cesse répétés par les soutiers du nucléaire, l’Allemagne a réduit la production d’électricité fossile de 36 % en neuf ans.

    Répondre
  • Le tarif d’achat pour l’éolien terrestre est de 60 à 65 €/MWh, suite aux appels d’offres des trois dernières années. Sur la même période, le tarif d’achat du photovoltaïque des grandes centrales est de 55 €/MWh.

    A Dunkerque, l’éolien en mer a été attribué à 44 €/MWh, l’offre la plus élevée étant à 61 €/MWh. La moyenne sur huit offres était de 51 €/MWh, avec quatre autres offres allant de 47,5 à 51 €/MWh.

    Tout cela est bien moins cher que le nucléaire ancien, déjà à 59,8 €/MWh en 2013 (rapport Cour des comptes), et pratiquement deux à trois fois moins cher qu’avec l’EPR (120 €/MWh) aussi bien en France qu’en Angleterre.

    Répondre
  • « Pour comparaison, le dernier parc attribué à Dunkerque vendra son électricité au tarif de 44 euros par MWh. »

    Les premiers appels d’offres pour l’éolien en mer étaient plus coûteux car, à l’époque, l’expérience était encore faible.

    Les coûts au kW de puissance des éoliennes marines étaient encore élevés, l’incertitude sur les difficultés technique était grande. Le coût du capital était plus élevé car les banques ne savaient pas estimer leur risque financier.

    La France a aussi cette particularité d’une opposition systématique très bien organisée, avec tous les arguments trompeurs à l’appui, ce qui entraîne d’importants retards et augmente les coûts.

    La situation a rapidement changé comme le montrent les appels d’offres en Grande-Bretagne pour l’éolien « offshore » :
    – en 2015, de 114 à 120 £/MWh,
    – en 2017, de 57,5 à 74,7 £/MWh,
    – en 2019, de 39,6 à 41,6 £/MWh

    Ces valeurs sont données en prix (monnaie) de 2012 pour être comparable au tarif d’achat du nucléaire de Hinkley Point, à 92,5 £/MWh. Solution nucléaire très nettement plus coûteuse qu’une solution récente éolienne ou solaire.

    L’évolution est la même dans tous les pays.

    Le tarif d’achat n’est pas une subvention. Celle-ci se calcule par différence entre le prix du marché et le tarif d’achat attribué.

    Par exemple, une installation éolienne (terrestre) ou solaire ayant reçu un tarif de 65 €/MWh recevait une subvention réelle de 8 €/MWh en mai 2021, lorsque le prix du marché était de 57 €/MWh.

    En septembre 2021, la même installation ne touchait rien mais reversait de l’argent, 69 €/MWh (subvention négative) car le prix du marché était de 134 €/MWh.

    Répondre
  • La grande-Bretagne n’est pas la France et les conditions d’installations de l’éolien offshore ne sont pas les mêmes.
    L’éolien ne produit que quand il veut et selon la force du vent. Vous oubliez cet impact sur le coût économique de cette production si variable. Vous ne pouvez pas compter, pour l’alimentation d’un réseau électrique, sur ce type de production.
    https://www.bmreports.com/bmrs/?q=eds/main
    Et vous oubliez, pour la France les charges de service public considérables payés par les contribuables, de l’ordre de 5 milliards d’euros par an pour les ENR, comme la précise la Cour des Comptes.

    Répondre
  • Selon l’enquête de novembre 2011 de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), 41 % des gens accepteraient de vivre près d’un parc éolien, mais seulement 16 % près d’une centrale nucléaire et encore moins, avec 7%, près d’un site de stockage de déchets radioactifs.

    Dans d’autres études, la proportion de gens favorables à l’éolien est plus importante à proximité des éoliennes que dans la population générale et cette proportion est plus importante après réalisation du parc éolien qu’auparavant.

    Les éoliennes ne perturbent pas les réseaux. RTE, qui gère très bien le réseau de transport, a déjà eu l’occasion de répondre à ce mensonge. Par contre un réacteur nucléaire qui disjoncte brusquement avec ses 900- 1300 ou 1500 MW, cela fait mal.

    Encore plus lorsqu’une centrale de 3.600 MW se retrouve un peu trop les pieds dans l’eau comme au Blayais en décembre 1999. Ce n’était pas le « bug » de l’an 2000, mais celui du nucléaire.

    Lorsque Fessenheim, dont la production moyenne était de 10,3 TWh/an pendant les années 2015 à 2019, a été arrêté, cette production avait déjà été compensée en deux ans par l’augmentation de 12,5 TWh de la production annuelle de l’éolien et du solaire, de 33,2 TWh en 2017 à 45,7 TWh en 2019.

    Répondre
    • Mais il faut raisonner en termes de productions régionnales car le maillage du pays ne peut pas répartir toutes les productions ENR disséminées sur tout le territoire.. Comparer, encore une fois, la production pilotable de Fessenheim en Gtand-Est avec des productions variables, solaire PPV et éoliennes, disséminées à travers la France, n’a aucun sens puisque ces productions sont en partie exportées.

      Répondre
  • De nombreuses solutions existent pour produire une électricité très peu carbonée. Le nucléaire est la moins rapide de toutes à mettre en œuvre.

    Pour l’EPR d’Olkiluoto, ce sera 16 ans. Pour celui de Flamanville, ce sera 15 ans. Pour les quatre derniers réacteurs, à Chooz et Civaux, cela a pris de 11 à 16 ans avant l’acceptation en service commercial.

    Au niveau mondial, en moyenne des différentes évaluations, la production d’électricité nucléaire serait seulement de 3.400 TWh en 2030 (2.700 TWh en 2020), celle de tous les renouvelables de 17.800 TWh (7.450 TWh en 2020) (source IEA).

    Eolien et solaire dépasseront ensemble la production du nucléaire en 2022.

    En 2030, éolien et solaire dépasseront allègrement le nucléaire, chacun de son côté. Pour l’éolien, une évaluation moyenne de 5.850 TWh en 2030 (1.590 TWh en 2020). Pour le photovoltaïque, 4.900 TWh en 2030 (860 TWh en 2020).

    L’agence internationale du nucléaire fait une évaluation identique pour ce qui la concerne, le nucléaire.

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