Fessenheim : un gâchis industriel et un non-sens écologique

Article préalablement publié sur le site « European scientist« , signé Jean-Pierre Riou.

Les raisons de la fermeture de la centrale de Fessenheim sont éminemment symboliques. Le battage médiatique a fait perdre de vue que cette doyenne du parc électronucléaire français est en parfait état et dans la force de l’âge.

Les conséquences de ce gâchis industriel seront lourdes pour tout son territoire comme pour l’ensemble de la Nation. Celles de ce non-sens écologique éloignent nos objectifs climatiques de notre portée.

La fermeture de la doyenne de notre parc électronucléaire faisait partie des promesses électorales du candidat François Hollande. Le 22 février prochain, ce sera chose faite pour son premier réacteur, et le 30 juin pour le second.

Une décision qui coûtera 1 milliard d’euros par an de perte d’exploitation, soit 10 milliards[1] dans l’hypothèse raisonnable d’une prolongation de la durée d’exploitation de 10 ans.

En effet, l’Autorité de sûreté nucléaire considérait encore en 2018[2] que les performances de la centrale de Fessenheim en matière de sûreté nucléaire la « distinguent de manière favorable par rapport à la moyenne du parc » malgré ses quarante années de service. Mais quarante ans, est-ce trop vieux pour une centrale ?

Un petit regard sur ce qui se pratique outre-Atlantique démontre que l’abandon de Fessenheim est une absurdité économique et énergétique. Mais à qui profite de crime ?

Des réacteurs américains exploités de 40 à 80 ans

Aux États-Unis, l’exploitation commerciale des réacteurs nucléaires est régie par l’attribution de licences reconductibles dont la période initiale est de 40 ans. Une première phase dont la durée est déterminée pour une raison explicitement « économique et antitrust » et non en raison d’une quelconque limite « liée à la technologie nucléaire ». [3]

Mais si l’installation satisfait aux normes de sécurité de l’U.S.N.R.C (United States Nuclear Regulatory Commission), le propriétaire peut solliciter une prolongation de 20 ans d’exploitation supplémentaire. À l’issue des 60 ans d’activité ainsi cumulés, une nouvelle licence de 20 ans (subsequent license renewal)[4] peut prolonger son exploitation… à 80 ans.

Ainsi, au 1er septembre 2019, 89 des 97 réacteurs en activité aux États-Unis avaient déjà obtenu leur licence de 20 ans supplémentaires[5] tandis que 5 réacteurs, dont la licence avait été renouvelée, avaient cessé leur activité pour cause économique.

La carte ci-dessous illustre cette situation.

                                                               (Illustration U.S.N.R.C.)

Dans le détail : six demandes de prolongation d’exploitation à 80 ans ont déjà été déposées, celles de Turkey Point 3 et 4, de Peach Bottom 2 et 3 et de Surry Units 1 et 2 [4] .Le 5 décembre 2019, l’U.S.N.R.C. délivrait à Turkey Point 3 et 4 la « subsequent licence » autorisant leur exploitation jusqu’à leurs 80 années de fonctionnement[6] .

Ces 80 ans doivent être mis en regard avec l’arrêt de Fessenheim après 42 ans d’exploitation. Pourquoi la date de quarante ans fait-elle peur en France, alors qu’aux États-Unis, c’est quasiment la durée minimum pour l’exploitation d’une centrale ?

Le nucléaire français sous pression politique et géopolitique

Mais les centrales nucléaires françaises sont la cible des attaques des écologistes et de certains voisins européens, comme la Suisse et l’Allemagne. Par 2 fois, l’ancienne ministre de l’Environnement, Corinne Lepage, a notamment déposé une plainte contre la centrale du Bugey[7] au nom du canton de Genève.

Et depuis 2014, c’est la ministre allemande Barbara Hendricks qui s’est efforcée de faire pression sur Paris en exigeant la fermeture de Fessenheim « le plus vite possible » [8] . Sans sembler mettre en balance les décès imputés chaque année, en France[9] , aux centrales à charbon allemandes.

Une offensive stratégique pour Berlin : l’Allemagne sait pertinemment que toute réduction de notre parc nucléaire améliorera la compétitivité de son charbon, ainsi que l’analyse le rapport franco allemand Agora Iddri[10] « LEnergiewende et la transition énergétique à lhorizon 2030 » qui mentionne, en effet, p 91 : « L’évolution du parc de production nucléaire en France influera sur la rentabilité du parc à charbon en Allemagne. Le nucléaire a un coût marginal plus faible que le charbon, si bien que sa production peut se substituer à celle des centrales à charbon lorsqu’il reste des capacités d’interconnexion disponibles. À l’inverse, si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la compétitivité des centrales à charbon maintenues dans le système en Allemagne est améliorée ».

Un gâchis industriel et un non-sens écologique

Après 40 ans d’activité à Fessenheim, les investissements initiaux sont largement amortis et le prix du combustible représente une part infime du MWh produit. La fermeture de la centrale prive ainsi EDF de revenus conséquents.

Mais après avoir été une promesse de campagne du candidat Hollande, cette fermeture était devenue hautement symbolique. Et son exécution conditionne le paysage électoral, à l’instar de la fermeture de Superphénix[11] , en son temps.

Alors que la réduction des émissions de CO2 est érigée en priorité nationale, on ne peut que déplorer la fermeture d’une centrale nucléaire en parfait état de fonctionnement. Et ce, alors même qu’une centrale à gaz est construite à Landivisiau[12] , en Bretagne : un non-sens écologique.

En effet, selon RTE, chaque MWh produit par de telles centrales (CCG) émet 359 kg de CO2 [13] , tandis que c’est grâce au nucléaire, qui n’en émet pas *, que le mix électrique français est décarboné à plus de 90 % depuis un quart de siècle[14] .

Enfin, la fermeture de la centrale de Fessenheim est aussi une absurdité du point de vue de la souveraineté énergétique européenne : le nucléaire demeure une industrie puissante et pilotable, capable de répondre rapidement et facilement aux besoins des pays européens.

Or, comme le rappelait un rapport de 2018 de la Fédération allemande de l’énergie[15] , le vieux-continent est de plus en plus soumis à la menace d’une pénurie généralisée en cas de grand froid et d’absence de vents sur une longue période. Un danger particulièrement pris au sérieux outre-Rhin[16] , justement accentué par la fermeture de la centrale de Fessenheim.

C’est ainsi que le véritable sacrifice de la centrale de Fessenheim, pour une raison sans lien avec sa sécurité d’exploitation, est déplorable tant sur le plan économique et environnemental que sur celui de la sécurité européenne d’approvisionnement électrique.

————————–

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/fessenheim-une-rancon-electorale-a-221282

2 https://www.asn.fr/L-ASN/L-ASN-en-region/Grand-Est/Installations-nucleaires/Centrale-nucleaire-de-Fessenheim

3 https://www.nrc.gov/reading-rm/doc-collections/fact-sheets/fs-reactor-license-renewal.html

4 https://www.nrc.gov/reactors/operating/licensing/renewal/subsequent-license-renewal.html

5 https://www.nrc.gov/reactors/operating/licensing/renewal.html

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=2ahUKEwiyv7b3tpTnAhWJxoUKHaQPDlUQFjAAegQIBRAB&url=https%3A%2F%2Fwww.nrc.gov%2Freading-rm%2Fdoc-collections%2Fnews%2F2019%2F19-062.pdf&usg=AOvVaw3sZ8qxBDkn37eoapULfznN

https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/ain/bourg-bresse/nouvelle-plainte-geneve-contre-centrale-nucleaire-francaise-du-bugey-ain-1595443.html

https://www.20minutes.fr/societe/1799863-20160304-video-fessenheim-berlin-exige-fermeture-centrale-nucleaire-plus-vite-possible

http://lemontchampot.blogspot.com/2016/07/pollutions-allemandes.html

10 https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Hors%20catalogue%20Iddri/201803FR-IDDRI%20AGORA%20energy%20transition-etude_0.pdf

11 http://www.economiematin.fr/news-superphenix-reacteur-nucleaire-fermeture-ecologie-france-riou

12 https://www.ouest-france.fr/bretagne/landivisiau-29400/centrale-gaz-de-landivisiau-siemens-confirme-la-construction-6506305

13 https://www.rte-france.com/fr/eco2mix/eco2mix-co2

14  http://lemontchampot.blogspot.com/2019/01/2019-la-fuite-en-avant.html

15 https://www.bdew.de/presse/presseinformationen/kraftwerks-kapazitaeten-der-europaeischen-union-schmelzen-dahin/

16        https://www.spiegel.de/consent-a-?targetUrl=https%3A%2F%2Fwww.spiegel.de%2Fwirtschaft%2Fsoziales%2Foekostrom-knapp-panikmache-mit-der-dunkelflaute-a-1133450.html

commentaires

COMMENTAIRES

  • Je suis heureux de voir ce texte citer avec précision ce qu’écrit la NRC a/s « 40 ans ». En France , actuellement, tout le monde répète que les réacteurs ont initialement été conçus pour fonctionner 40 ans mais il me semble que c’est faux. Sauf erreur de ma part, la limitation principale semblait venir du vieillissement des générateurs de vapeur : les stratégies de contrôle, obturation,.. étaient coûteuses et ne rassuraient pas vraiment face au risque de l’accident de « RTGV ». Tout change à partir du moment où apparaît le « changement de GV » qui rend possible les durées du type « 60 ou 80 ans » et non plus « 25 ou 30 » !
    Mon analyse est-elle exacte? Quelqu’un sait-il à partir de quand s’est diffusé en France le mantra « 40 ans est la durée prise en compte dans la conception initiale » ?

    Répondre
  • Bonjour M. Riou,
    Je ne comprends pas vos calculs. Est-ce que vous vous calquez sur le prix de vente de courant exorbitant prévu pour les nouvelles centrales nucléaires actuellement en construction au Royaume Uni?
    1 milliard par an, en considérant un très optimiste 85% de taux d’utilisation à puissance maximum de deux fois 900 MW donnent 75 EUR / MWh de bénéfice! Bien plus élevé que le prix moyen du courant sur le marché.
    A cela il faudrait ajouter un grand carénage sur ce site se trouvant sur une faille géologique. Un très long arrêt en perspective et quelques milliards à la clé.
    Plus le coût de l’uranium et de son retraitement.
    Reste à savoir quelle centrale fonctionnera jusque 60 puis 80 ans, alors que les plus anciennes n’ont que 45 ans…

    Répondre
  • Il est clair pour tout énergéticien que le nucléaire est ce qu’il y a de plus performant en terme d’émissions de CO2 après l’hydraulique, et, loin devant l’éolien qui nécessite des centrales à gaz pour la régulation quand il y a du vent et produire quand il n’y en a pas.
    Remplacer une centrale nucléaire par des milliers d »éoliennes et d’une centrale gaz, ce sont des milliards jetés par les fenêtres et une augmentation des émissions de CO2.

    Répondre
  • Vous chiffrez à 1 milliard d’Euros la perte annuelle d’exploitation. Comment obtenez-vous cette valeur ? Me concernant, étant « ni pour ni contre » le nucléaire, ainsi qu’aime à le répéter mon plombier préféré, je propose un calcul simple, avec un MWh électrique à 42,00 € (ARHEN), pour un fonctionnement annuel de 5.000 heures, et une puissance de 900 MW. J’obtiens, ainsi, 42 * 900 * 5.000 = 189.000.000 € (valeur de référence, alors que le MWh électrique se situe aux environs de 30.00 € actuellement). Nous sommes loin du milliard annuel ! Que de contorsions ! Je vous suggère de trouver d’autres arguments plus cohérents, pour défendre le nucléaire, ce qui est votre droit.

    Répondre
  • Bravo Monsieur Riou de montrer l’ineptie catastrophique de nos gouvernants.
    Monsieur Rochain va certainement vous tomber sur le dos en vous traitant de nucléocrate, insulte suprême de la part d’un pseudo écologiste qui préfère les émissions de GES à l’électronucléaire domaine dans lequel il ne connaît rien.

    Répondre
  • C’est désespérant ! Le gouvernement pour gagner les minables votes d’ écolos dogmatiques prend une décision stupide. La PRIORITE est de BAISSER les émissions de CO2 ; la production électrique à partir de l’énergie nucléaire émet très peu de CO2. On ferme un site peu émetteur de CO2 sans le remplacer par une source bas carbone.

    La VRAIE écologie doit, entre autres, VISER à BAISSER LES EMISSIONS DE CO2.

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