exploitant capacite mieux controler methane qui echappe - Le Monde de l'Energie

« L’exploitant a la capacité de mieux contrôler le méthane qui s’échappe »

Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Malika Menoud, chercheuse en sciences atmosphériques au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) de l’Université Paris-Saclay, spécialiste des émissions de méthane, co-autrice de l’article Ces émissions de méthane faciles à éviter pour lutter contre le changement climatique.

Le Monde de l’Énergie —Quelle est la place du méthane dans le changement climatique anthropique ? Quelles activités humaines le produisent majoritairement ?

Malika Menoud —Le méthane est responsable d’environ 30 % du réchauffement que l’on connaît actuellement. La majorité du réchauffement est du au dioxide de carbone (CO2), car nous en émettons beaucoup plus que du méthane. Mais le méthane (CH4) est un gaz à effet de serre bien plus puissant, donc même des faibles émissions ont un grand impact; c’est une des raisons pourquoi nous les étudions de plus près.

Le CH4 est un produit de la fermentation microbienne anaérobie (c’est-à-dire en l’absence d’oxygène). Ces réactions se passent naturellement dans les eaux stagnantes, les sols marécageux, les fonds marins, les estomacs des ruminants, etc. Les activités humaines favorisent cette production avec l’élevage intensif de bovins, la riziculture et le dépôt de grandes quantités de déchets en décomposition.

Le CH4 est aussi le gaz naturel que l’on exploite pour alimenter notre chaudière. Les réservoirs de méthanes sont aussi associés aux réservoirs de pétrole et de charbon: le gaz s’échappe donc aussi lorsque nous exploitons ces énergies fossiles.

Le Monde de l’Énergie —Quels sont les émissions issues de l’industrie pétrolière et gazière qui pourraient être simplement réduite ? Où en est la prise en compte de la lutte contre les fuites de méthane par les industriels ?

Malika Menoud —Les émissions de méthane dues aux fuites sont présentent sur toute la chaîne de production d’énergies fossiles: de l’extraction aux réseaux de distribution. Lors de l’extraction, le méthane associé au charbon et au pétrole, ainsi que le méthane qui « s’enfuit » des réservoirs de gaz naturel est torché, c’est-à-dire conditionné dans un tuyau et brûlé à l’air libre, quand il n’est pas tout simplement évacué à l’air libre sans même être brûlé (dégazage). Les deux méthodes constituent un gâchis de ressource conséquent.

Les émissions peuvent être réduites sur les réseaux de distribution par le contrôle régulier et la réparation ou le remplacement de tuyaux, de jonctions, de valves…

Le Monde de l’Énergie —Quel était le protocole de votre étude de cas en Roumanie, et que vous a-t-elle appris ? Est-elle conforme à la littérature scientifique sur le sujet ?

Malika Menoud —En Roumanie, nous avons déployé plusieurs équipes venant de différents instituts de recherche européens et américains. Elles travaillent surtout sur la quantification de flux émetteurs de méthane à partir de mesures dans des véhicules mobiles. Les méthodes varient, de capteurs embarqués sur des drones à l’utilisation d’un autre gaz pour « tracer » le méthane.

Nous avions obtenu la géolocalisation des installations pétrolières et gazières de notre zone d’intérêt: la plaine sud de la Roumanie. Plusieurs équipes effectuaient d’abord un premier repérage des sites émetteurs de méthane, puis si le lieu était propice, revenaient pour effectuer un quantification précise. Pour couvrir les infrastructures pétrolières à l’échelle régionale, la zone a aussi été quadrillée avec des petits avions dotés d’appareils de mesure de concentration de méthane. Des échantillons ont aussi été récoltés pour identifier la provenance du méthane observé.

Nos résultats de flux d’émissions de CH4 sont 2 à 5 fois plus élevés que les chiffres des rapports annuels (qui servent de base aux négociations). Nous avons repérés des « super-émetteurs », c’est à dire que 10% des sites émettent 70% des flux totaux de CH4. Le plus souvent, le gaz est évacué par des tubes à ciel ouvert (dégazage). Nous avons aussi remarqué une réduction des fuites de CH4 sur les sites qui présentent naturellement du H2S, un gaz très toxique. Cela indique que lorsque les mesures de sécurité l’exigent, l’exploitant a la capacité de mieux contrôler le CH4 qui s’échappe. C’est d’autant plus choquant que ces contrôles ne soient pas systématiques.

Les autres études scientifiques menées dans d’autres régions montrent que les émissions en Roumanie sont particulièrement importantes, en comparaison de la production. Il n’y a pas d’autre étude de ce type qui avait été faite en Roumanie. Les entreprises exploitant les énergies fossiles ne donnaient jusqu’à présent pas accès à leur infrastructures et à leur données.

Le Monde de l’Énergie —Quelles initiatives internationales, engagements ou textes de loi, ouvrent à une réduction des émissions de méthane issus de l’industrie des fossiles ?

Malika Menoud —La Commission Européenne avait participé au financement de ce projet et à la collaboration avec l’entreprise exploitante. Suite à nos conclusions, un texte de loi a été voté par le Parlement Européen. Il oblige les entreprises exploitantes à mesurer et rendre compte de leurs émissions. Elles seront aussi obligé de contrôler et réparer les fuites, et auront l’interdiction de systématiquement dégazer le méthane directement dans l’atmosphère. Mais les restrictions sur le dégazage des mines de charbon ne s’appliqueront qu’à partir de 2027. Les exploitants devront inventorier les installations abandonnées ou inactives, et aussi surveiller leur émissions.

Cette loi s’applique à l’Union Européenne, mais celle-ci est dépendante d’importation de combustibles fossiles à plus de 90%. Les nouveaux standards seront imposés aux importations à partir de 2027.

Le Monde de l’Énergie —Quels autres leviers pourraient encourager les producteurs d’énergie fossile à limiter ces fuites ?

Malika Menoud —La loi européenne devrait réduire les émissions de l’industrie fossile, mais il est nécessaire de poursuivre les travaux de vérification indépendant tels que les laboratoires scientifiques le font. La publication des données est primordiale pour maintenir une certaine pression sur les acteurs industriels, surtout si l’on considère la gravité et l’universalité des conséquences de ces émissions.

L’observatoire des émissions de méthane internationales (IMEO, en anglais) a été crée en 2020 au sein de l’UNEP. Il vise a financer, coordonner, et publier des travaux scientifiques de mesure de ces émissions de méthane parfaitement évitables, et vérifier que les nouveaux standards sont respectés.

Au niveau mondial, si les entreprises exploitantes entretiennent leurs infrastructures en surveillant et réparant les fuites, et stoppent le dégazage et le torchage d’ici à 2030, nous pourrions réduire de 0.2∘C le réchauffement en 2100. Cette réduction pourrait être de 0.5∘C en considérant l’ensemble des mesures envisageables sur d’autres secteurs d’émissions anthropogéniques de méthane. Les mesures dites envisageables désignent celles à zéro coût net, pouvant immédiatement être mises en place. Il est donc nécessaire de responsabiliser les acteurs industriels au niveau mondial.

 

Références:

https://acp.copernicus.org/articles/23/10399/2023/

https://methanedata.unep.org/

https://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/20240408IPR20309/methane-parliament-adopts-new-law-to-reduce-emissions-from-energy-sector

https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/abf9c8

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